Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il faut toujours savoir apprécier la poésie lorsqu’elle se présente à nous. C’est plus vrai encore lorsqu’on est plongé, comme c’est notre cas depuis plusieurs jours, dans un exercice aussi comptable qu’est l’examen d’un projet de loi de finances.
Or ce matin, nous avons de quoi nous réjouir ! Mallarmé l’affirmait : « un poème est un mystère dont le lecteur doit chercher la clef ». Cela s’applique également à merveille à cet article 30, dirai-je un peu ironiquement ! §
Sans suspense, le groupe écologiste votera évidemment cette contribution. Non seulement parce que celle-ci découle des traités et de notre appartenance même à l’Union européenne, mais aussi en raison de notre attachement profond à ce processus, et de notre volonté de doter l’Union de moyens à la hauteur des ambitions que nous lui fixons collectivement.
Néanmoins, un Mallarmé qui s’intéresserait aujourd’hui à la construction européenne s’interrogerait sur quelques éléments, qu’il trouverait sans doute mystérieux.
Premier mystère, cette somme d’environ 21 milliards d’euros est purement indicative, et l’on aurait bien du mal à dire aujourd’hui si elle correspondra in fine à la réalité. En effet, le prélèvement sur recettes que nous votons, année après année, se retrouve presque systématiquement en décalage avec celui qui est vraiment effectué en cours d’exercice.
L’imprécision s’explique par la complexité des modes de calcul et par celle des facteurs entrant dans la définition de notre contribution, même plusieurs années après, comme cela a déjà été souligné. Cependant, elle n’en est pas moins problématique pour la représentation nationale, qui est en droit d’attendre plus de précision et d’exactitude !
Deuxième élément de mystère, qui prolonge le précédent, cet article ne permet en rien de retracer tout le bénéfice que la France tire de son appartenance à l’Union européenne. Évidemment, il existe un rapport annexé dans lequel les plus férus de chiffres pourront se plonger. Mais il n’y a, dans le projet de loi de finances lui-même, aucun article indiquant, au moins de manière symbolique, l’ampleur des apports communautaires sur notre territoire. Et je ne parle même pas des avantages indirects ou de l’effet de levier que peuvent avoir les fonds européens sur l’investissement privé.
D’une manière générale, il n’existe pas de document qui serait à la fois assez exhaustif, compréhensible et lisible par tous pour dresser une sorte d’État de la France en Europe, sur lequel nous pourrions échanger et à partir duquel nous pourrions réorienter telle ou telle de nos politiques. Ce serait pourtant un outil intéressant à des fins de prise de conscience et de participation citoyennes, ainsi que dans notre communication sur l’Europe à l’endroit de nos propres électeurs.
L’excellent rapport – je tiens à le souligner – de notre collègue François Marc revient notamment sur les problèmes de flexibilité et de fongibilité au sein du budget communautaire, sur les retards de paiement, sur les doutes quant au mode de financement du plan de 300 milliards d’euros annoncé par Jean-Claude Juncker. Ce sont des questions qui mériteraient d’être débattues – espérons que cela sera fait – plus longuement et plus largement qu’au cours d’une simple séance plénière d’une durée d’une heure trente.
Un autre élément mystérieux que cache le montant de notre contribution est la disparition progressive des ressources propres de l’Union européenne, lesquelles étaient pourtant censées constituer la base de son budget.
Les droits de douane, en particulier, n’ont pas cessé de diminuer au cours des dernières années, tandis que les États abondent désormais le budget communautaire à hauteur de 74 % de ce dernier. Leurs contributions nationales directes devaient pourtant, à l’origine, servir uniquement à garantir l’équilibre du budget européen.
Nous sommes donc inquiets, monsieur le secrétaire d’État, concernant ce qui subsiste encore de droits de douane, vu les nombreux projets de traité de libre-échange en cours de négociation. A-t-on précisément chiffré le manque à gagner budgétaire que cela représentera bientôt en Europe ? C’est une question qu’il nous faut creuser d’urgence.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, face à la disparition de ces ressources, à la mauvaise volonté de certains États membres et à la pression qui pèse sur l’ensemble des finances publiques européennes, il devient absolument nécessaire de faire apparaître de nouvelles pistes de financement direct pour le budget communautaire. Ces pistes doivent être à la fois plus adaptées à la situation actuelle et les plus indolores possible pour nos concitoyens.
La mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières fait naturellement partie de cette approche renouvelée du financement propre et de l’Union européenne, même si elle sera très loin de répondre à elle seule à l’ampleur des besoins.
En effet, comme le mystère mallarméen qui entoure la poésie, le mystère qui entoure le financement de demain du budget de l’Union européenne appelle beaucoup d’imagination de notre part, si nous voulons sortir des arrangements obscurs de petits boutiquiers que nous avons connus lors de l’élaboration du cadre pluriannuel financier 2014-2020 l’an passé et qu’il nous faudra revivre lors de la construction de chaque budget annuel de l’Union.
Je donnerai un exemple. À l’issue d’un déplacement fait à Europol et à Eurojust par la commission des affaires européennes du Sénat voilà quelques mois, j’avais proposé que les sommes éventuellement recouvrées grâce aux enquêtes menées par ces organismes permettent, au moins en partie, d’augmenter les moyens qui leur sont alloués. Ces deux agences, intégrées dans le troisième pilier, ont en effet un budget très faible. Alors que le périmètre des besoins en termes de lutte contre la fraude et la criminalité internationales s’accroît, leur budget n’augmente pas. Pourtant, ces organismes font rentrer de l’argent.
Peut-être pourrions-nous réfléchir à un mécanisme du même ordre s’agissant des projets de la Commission européenne en matière de lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, et ainsi permettre un accroissement des moyens grâce au travail que produisent l’Union européenne, ses commissions et ses agences.
C’est une piste parmi bien d’autres que la commission des affaires européennes, au gré de plusieurs rapports, a beaucoup explorée ces dernières années.
Il me semble relativement urgent qu’un dialogue continu puisse s’instaurer entre le Parlement et le Gouvernement sur ce sujet qui dépasse de loin la simple question comptable. Nous avons la capacité, en tant que pays membre de l’Union européenne, à faire des propositions en matière de ressources propres auprès des institutions européennes.