Cette formule, quelque peu lapidaire, d’un de nos anciens présidents de la République, aujourd’hui décédé, reflète assez bien l’impression que laisse le débat que nous venons de mener sur la première partie du projet de loi de finances pour 2015.
S’il fallait d’ailleurs rechercher une preuve de la dérive du débat d’idées politiques vers la controverse sur des chiffres, des bilans, des comptes et des indices, nous la trouverions aisément dans ces explications de vote au terme de l’examen de la première partie. Dans un quasi-consensus, sur l’essentiel au moins – vous l’avez parfaitement démontré, monsieur le secrétaire d’État –, la majorité sénatoriale issue du scrutin de septembre dernier, le Gouvernement et le groupe parlementaire qui le soutient en toutes circonstances vont donner leur aval à la discussion de la seconde partie du projet de budget, après l’adoption de la première partie, certes modifiée par l’adoption de quelques amendements, mais dont les grandes lignes n’ont pas varié.
Après avoir refusé pendant deux ans de s’appuyer sur la diversité, la richesse et les propositions d’une majorité de gauche au Sénat dans toutes ses composantes, parfois même rejointe par des élus venus d’autres horizons, attachés à certaines valeurs, le Gouvernement en vient à accepter de débattre de manière somme toute urbaine de l’amertume de la potion austéritaire dont la Commission de Bruxelles attend l’administration aux Françaises et aux Français.
Outre que le citoyen peut dès lors s’interroger sur le sens de son propre vote, notamment en faveur des candidats partisans d’un certain changement, cette situation illustre, hélas, la convergence de vues qui existe sur bien des points entre le Gouvernement et la majorité du Sénat. Ne l’oublions pas, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, avatar d’une constitution européenne que le peuple français avait majoritairement rejetée le 29 mai 2005 – ce n’est pas si vieux –, a été ratifié, dans notre Haute Assemblée, par ceux-là mêmes qui s’apprêtent ainsi à continuer de « débattre ».
Sur le plan formel, la tenue d’une partie de la discussion du projet de budget samedi dernier a d’ailleurs conduit à confiner celle-ci à un débat entre spécialistes, loin des yeux d’une opinion publique, et même d’élus, qui auraient pu s’interroger sur certains votes.
En effet, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, qu’avez-vous retenu des 13 000 motions relatives à la baisse des dotations votées par les conseils municipaux et les conseils communautaires, en soutien à la proposition de l’Association des maires de France, qui tient son congrès en ce moment ? Pendant que les maires de certains de nos départements visitaient les locaux du Sénat, qu’avez-vous accepté, qu’avez-vous voté ?
Vous avez accepté l’essentiel de la baisse des dotations, en limitant vos efforts à la seule prise en compte de ce qui est appelé « l’inflation normative ». Il ne vous a donc pas paru anormal que, dix ans après l’absorption de la part « salaires » de la taxe professionnelle par la dotation globale de fonctionnement, le Parlement soit amené à voter pour revenir sur ce principe ! Avec la baisse des dotations à partir de 2015, mes chers collègues, c’est la réforme de la taxe professionnelle qui n’est plus respectée. Le groupe CRC, pour sa part, est fier de s’en être tenu à ses principes sur cette question essentielle.
À la vérité, l’examen des données de la discussion de cette première partie révèle d’autres éléments instructifs.
La commission des finances s’est certes penchée sur la question délicate du quotient familial, mais force est de constater que les efforts de la majorité sénatoriale ont, d’abord et avant tout, tendu à faire reposer les pseudo-économies sur les seuls salariés et à épargner les autres.
Le débat sur la situation des chambres d’agriculture et des chambres consulaires en général qui a animé le Sénat montre que certaines positions sont spontanément mieux défendues que d’autres.
Nous avons, pour notre part, fait valoir qu’il ne nous paraissait pas normal que l’État, pour résoudre ses problèmes de fins de mois parfois difficiles – alors même que nous émettons des bons du Trésor portant intérêt négatif depuis le 25 août dernier –, « fasse les poches » du Centre national du cinéma et de l’image animée, des agences de l’eau, des chambres consulaires, du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz, et j’en passe, tout en se dispensant, une fois encore, de rembourser à la sécurité sociale tout ce que coûte la politique forcenée d’exonérations et d’allégements de cotisations sociales.
Il faut, d’une part, changer les règles fiscales applicables aux taxes dédiées, et, d’autre part, aller chercher des ressources là où elles sont ! Demandez donc à votre candidat à la présidence de la Commission européenne, M. Juncker, de rendre l’argent que des cabinets de conseil bien en cour ont distrait des recettes fiscales des États de l’Union pour le planquer au Luxembourg ! Le retour des « repentis helvétiques » ne suffira pas, à nos yeux, à régler radicalement le scandale de l’évasion fiscale !
Le projet de loi Macron, que nous examinerons prochainement, va d’ailleurs plus loin, menaçant une bonne partie des garanties sociales acquises par le passé, notamment grâce à la lutte et à l’engagement de dévoués et courageux militants progressistes. Serait-il le second bras d’une politique qui joindrait à l’austérité budgétaire une « flexibilité » du travail limitée à la souplesse du dos des travailleurs et à leur capacité à tout accepter, y compris le travail de nuit et du dimanche ? On ne favorisera pas la croissance en France, pas plus que la transition énergétique, en développant l’insécurité sociale.
Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite à entendre et à méditer ces paroles du Président de la République qui fut élu un certain 10 mai 1981 : « Il n’y a et ne peut y avoir de stabilité politique sans justice sociale. Et quand les inégalités, les injustices ou les retards d’une société dépassent la mesure, il n’y a pas d’ordre établi, pour répressif qu’il soit, qui puisse résister au soulèvement de la vie. »
Nous ne voterons évidemment pas la première partie du projet de budget, telle qu’elle a été modifiée par le Sénat.