Intervention de Annie David

Réunion du 28 novembre 2014 à 9h30
Loi de finances pour 2015 — Compte d'affectation spéciale : financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage

Photo de Annie DavidAnnie David :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon les prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, publiées cette semaine, le taux de chômage en France devrait passer à 10, 1 % fin 2015, avant une légère baisse à 10 % fin 2016.

Bien évidemment, personne ne se satisfait de ces prévisions. Néanmoins, le chiffre record de 3, 43 millions de demandeurs d’emploi en 2014 est le résultat de l’échec des politiques menées par les gouvernements successifs. Pourtant, les crédits de la mission « Travail et emploi » diminueront de 13, 8 % entre 2014 et 2017, ce qui représente 1, 5 milliard d’euros de moins en quatre ans, alors que ce budget aurait dû être à la hauteur des enjeux pour les millions de femmes et d’hommes en situation précaire et privés d’emplois.

Les crédits en faveur de l’accès et du retour à l’emploi sont en baisse. Le Gouvernement anticiperait d’éventuels effets positifs sur l’emploi du pacte de responsabilité et du CICE. Il va sans dire que le groupe CRC aurait préféré que le Gouvernement attende que l’impact de ces dispositifs sur l’emploi soit effectif et avéré pour réduire la dotation de certaines mesures de retour à l’emploi.

Si nous savons que vous partagez notre souci de lutter contre le chômage, monsieur le ministre, nous pensons que le pacte de responsabilité et le CICE, que vous avez mis en place, ne sont pas les bonnes solutions. En effet, ces mesures sont coûteuses et n’ont jamais prouvé leur efficacité pour créer de l’emploi. Bien au contraire : dans son rapport sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises, Michelle Demessine dénonce la course sans fin à la baisse des salaires et le manque de développement des entreprises, de l’emploi et des qualifications.

Il paraît également nécessaire de conditionner les aides perçues par les entreprises à une véritable création d’emplois. Nous regrettons fortement de ne disposer d’aucun chiffre à ce sujet. Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC se sont adressés au préfet de leur département pour obtenir des informations, mais ils ont reçu une fin de non-recevoir. Monsieur le ministre, cela n’est pas acceptable : la représentation nationale est en droit de disposer de ces informations.

Porter une politique d’emploi ambitieuse, c’est tout d’abord se préoccuper des jeunes. Ils sont notre avenir, et nous avons le devoir de leur offrir des perspectives et de leur permettre de s’insérer durablement sur le marché du travail. Or les dispositifs temporaires et précaires que vous souhaitez pérenniser ne constituent pas la réponse à ces impératifs. Actuellement, seuls 10 % des emplois d’avenir débouchent sur un CDI, les 90 % restants débouchant sur un contrat de travail à durée déterminée, ou CDD. Les dispositifs précaires que sont les contrats de génération, les emplois d’avenir et la « garantie jeunes » ne permettent pas l’insertion professionnelle durable des jeunes, qui est pourtant la seule réponse ambitieuse à nos yeux.

Porter une politique d’emploi ambitieuse, c’est aussi anticiper et accompagner les conséquences des mutations économiques et le développement de l’emploi. Or les crédits consacrés à ces enjeux ont diminué de 22, 5 % par rapport à 2014. Vous expliquez cette baisse par le transfert de la politique de formation professionnelle aux régions, mais aussi par les mauvais résultats du contrat de génération : alors que vous tabliez sur 100 000 aides au titre de ce contrat, il y en aura seulement 46 800, soit environ la moitié.

De même, les crédits alloués à la GPEC sont en forte baisse. Or les évolutions du marché du travail et les tensions qu’elles génèrent nécessitent d’être anticipées afin que les salariés puissent être formés. Les dispositifs de GPEC et d’engagement de développement de l’emploi et des compétences, ou EDEC, sont donc indispensables, notamment pour les seniors, et doivent être renforcés. Une politique ambitieuse aurait fait le choix de maintenir ces crédits et de les transférer à ces missions, plutôt que de les supprimer.

D’autres mesures de votre budget, monsieur le ministre, ne vont pas dans le sens d’une véritable ambition pour l’emploi.

Je pense notamment aux maisons de l’emploi et de la formation, qui doivent bénéficier de moyens à la hauteur des enjeux pour mener à bien leurs missions. Or elles subissent une réduction drastique de leurs crédits depuis la loi de finances pour 2014.

Ces structures sont pourtant au cœur des dispositifs territoriaux et disposent d’une expertise importante en matière d’emploi et de formation. Il importe de pérenniser leurs financements pour leur permettre de travailler sur le long terme. Nous y reviendrons dans le débat avec les amendements déposés, notamment celui de notre collègue Jean-Pierre Godefroy.

Je pense encore aux services de Pôle emploi et des missions locales, qui doivent fonctionner à budget constant alors que de nouvelles responsabilités leur sont constamment confiées. Ainsi, comme en 2014, les missions locales doivent non seulement ouvrir 50 000 nouveaux contrats, mais elles ont également un stock de plus de 150 000 contrats à gérer. Il en est de même pour Pôle emploi, qui, après des baisses d’effectif continues, doit dorénavant renforcer le contrôle des chômeurs, mesure que nous contestons par ailleurs, mais qui figure bien dans ses nouvelles attributions.

Par ailleurs, monsieur le ministre, comme M. le rapporteur pour avis l’a rappelé, ce budget est la consécration de la suppression des élections prud’homales, puisqu’il affiche 100 millions d’euros sur cinq ans en moins comme résultat de cette suppression. Nous sommes ici même intervenus avec force pour refuser cette suppression et nous constatons que ce recul démocratique permet surtout de réaliser de petites économies sur le budget, mais avec des conséquences néfastes très importantes sur les droits des salariés, ce que nous ne pouvons accepter.

Enfin, cette mission « Travail et emploi » comporte deux articles additionnels. En premier lieu, l’article 62 prévoit une contribution de l’AGEFIPH au financement des contrats aidés, à hauteur de 29 millions d’euros. Sachant qu’il y a 423 000 personnes handicapées privées d’emploi, il est malvenu de priver l’AGEFIPH d’une partie de ces ressources, surtout que ces dernières proviennent de l’inobservation, par les entreprises, de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés. Il est donc logique et nécessaire que cette contribution revienne à ces personnes, et tout particulièrement à leur insertion durable sur le marché du travail.

L’article 63, quant à lui, concerne l’apprentissage. Il a été introduit par vous, monsieur le ministre, en séance publique, alors que ce sujet appelait une réflexion globale, notamment sur la place de l’État en matière d’apprentissage, sur un véritable statut de l’apprenti, ou encore sur la rémunération de ces jeunes en fonction du diplôme préparé. Vous souhaitez parvenir à 500 000 apprentis à l’horizon 2017. Chiche ! Seulement, vous ne pouvez conditionner éternellement cette réflexion à une hypothétique concertation au niveau interprofessionnel.

Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe CRC considère que les crédits de la mission « Travail et emploi » sont largement insuffisants, ce qui nous conduira à voter contre.

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