Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on aurait pu s’attendre à ce que la mission « Travail et emploi » bénéficie d’un effort exceptionnel au vu de la situation dramatique de l’emploi en France, constat qui a été corroboré, hier encore, par la publication des chiffres du chômage du mois dernier. On aurait aussi pu s’attendre à ce que les réformes structurelles soient enfin engagées. Il n’en est rien !
Les crédits de la mission, tels qu’ils étaient prévus dans le projet de loi de finances initial, s’établissaient à un peu plus de 11 milliards d’euros, en baisse de 3 % par rapport à 2014, soit une perte de 1, 6 milliard d’euros sur trois années. Certes, l’Assemblée nationale a modifié ces crédits, mais le texte que vous avez présenté révèle votre intention initiale réelle.
La réduction des crédits s’explique non pas seulement par le souci de redressement des finances publiques, mais aussi par la confiance que le Gouvernement place dans les retombées de sa politique économique, comme il est expliqué dans la présentation budgétaire : le pacte de responsabilité et de solidarité doit conduire à relancer la croissance et l’emploi.
Hélas ! les effets du pacte ne sont pas vraiment prévisibles et, de toute façon, ne se feront sentir qu’en 2016. En outre, son financement n’est pas clairement fléché et va peser sur le déficit public.
Il faut craindre qu’une nouvelle fois le chef de l’État ne soit dans le déni, comme il l’était déjà lorsqu’il répétait régulièrement la fameuse et dorénavant célèbre promesse sur «l’inversion de la courbe du chômage ».
Par ailleurs, alors que l’on constate une baisse globale des crédits de la mission, le Gouvernement choisit de cibler une augmentation de certaines aides, mais ces postes ne sont pas forcément ceux que l’on espérait, puisque le quart de la mission « Travail et emploi » concerne les contrats aidés. Qui plus est, ce sont les contrats aidés du secteur non marchand qui ont été priorisés.
On connaît pourtant l’inefficacité de ces contrats en période de crise et de déficit public, car ils ne débouchent pas, ou peu, sur des emplois pérennes. C’est le secteur privé qui offre non seulement des débouchés aux contrats aidés, mais également des statuts moins précaires. Je crois, monsieur le ministre, que vous en êtes convaincu.
Les études sur le sujet sont unanimes : pour parvenir à une insertion durable, les contrats aidés doivent à la fois assurer une formation exigeante et être créés dans des secteurs pourvoyeurs d’emplois.
J’aurais pu évoquer les rapports de la Cour des comptes ou du Conseil d’analyse économique, mais je m’en tiendrai au dernier bilan de la DARES sur les contrats aidés conclus en 2012 : six mois après la fin de leur contrat, 66 % des personnes sorties d’un contrat d’insertion du secteur marchand avaient un emploi, généralement conclu en CDI. Elles étaient seulement 36 % dans le secteur non marchand. En outre, ce taux descend à 22 % pour l’accès à un emploi durable.
Souvenons-nous des débats sur les emplois d’avenir. Notre groupe dénonçait déjà la politique à court terme du Gouvernement. La suite nous a donné raison, les collectivités peinant à créer des postes, ou se heurtant au manque de qualification des demandeurs.
Le seul effet sur le chômage a été de pouvoir sortir des chiffres de Pôle emploi les personnes en contrat d’accompagnement dans l’emploi, en emploi d’avenir ou en contrat de génération.
Pourtant, le PLF pour 2015 a prévu le financement de 80 000 contrats dans le secteur marchand, contre 270 000 dans le secteur non marchand. L’Assemblée nationale a même accentué ce déséquilibre en adoptant un amendement tendant à créer 45 000 contrats supplémentaires : 30 000 postes dans le secteur non marchand et 15 000 emplois d’avenir, eux-mêmes orientés vers le secteur non marchand.
Une telle augmentation des crédits est étonnante : nous ne savons aucunement à quoi ils correspondent, en tout cas pas à des besoins réels, et ils viennent creuser un peu plus le déficit public. Ils sont avant tout le reflet d’une idéologie, dont les tenants se refusent à admettre que ce sont les entreprises qui sont facteurs à la fois de richesse et d’emplois dans un pays. Néanmoins, comme le Gouvernement ne s’y est pas opposé, on peut même penser qu’il est à l’origine de cette initiative ! Courage, fuyons !
Nous dénonçons aujourd’hui ces incohérences en déposant des amendements visant à revenir sur cette décision des députés et sur le montant des crédits consacrés aux contrats aidés du secteur non marchand.
J’ajouterai que les contrats aidés de cette législature n’ont pas rempli leur fonction de formation, condition pourtant essentielle pour parvenir à insérer dans le marché du travail des personnes ayant une faible qualification.
La même étude de la DARES souligne en effet que, malgré le renforcement des exigences en matière d’accompagnement et de formation dans le cadre du contrat unique d’insertion, seulement un tiers des sortants déclarent avoir suivi une formation. Et encore, celle-ci ne représente souvent qu’une simple adaptation au poste de travail. Les dispositifs des contrats d’insertion et des emplois d’avenir sont donc manifestement à revoir.
Coûteux, ils n’ont pas empêché le chômage de grimper à 9, 7 % au deuxième trimestre 2014, comme l’ont révélé les derniers chiffres rendus publics hier. Depuis un an, le chômage n’a donc pas cessé d’augmenter.
Les fonds publics auraient été mieux employés à traiter les causes du chômage. Comme je viens de le souligner, l’une d’elles est souvent l’absence ou l’insuffisance de qualification, spécialement concernant les jeunes, pourtant déclarés publics prioritaires de cette mission. Or, selon le Conseil d’analyse économique, l’enseignement professionnel par l’alternance est encore trop peu développé et trop difficile d’accès pour les jeunes non qualifiés.
Certes, dans ce projet de loi de finances, une prime de 1 000 euros est accordée aux employeurs d’apprentis. Cette prime, d’abord réservée aux très petites entreprises, les TPE, a heureusement été étendue aux entreprises de moins de 250 salariés.
Mais il ne faut pas oublier que cette prime a été créée l’année dernière pour compenser, très partiellement, une mesure désastreuse prise dans le projet de loi de finances pour 2014, comme le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales l’a bien rappelé : la division par deux du crédit d’impôt apprentissage.
Malgré un discours favorable à l’apprentissage, le chef de l’État s’est désengagé et n’a fait que mener une politique de stop and go dans le but de réaliser des économies et de financer les contrats aidés du secteur non marchand, ce qui a eu des effets déplorables.
Ces signaux contradictoires sont une des causes essentielles de la désaffection des entrepreneurs pour la prise en charge d’apprentis, ce qui est tout à fait regrettable. De ce fait, l’apprentissage a plongé de 8 % entre 2012 et 2013 et de 14 % depuis le début de l’année 2014. J’espère qu’un rebond se produira. Si le Gouvernement a heureusement revu sa copie, je regrette le caractère tardif de ce repentir qui, de toute façon, ne vient pas rétablir le montant initial des incitations.
Décidément, le Gouvernement fait appel à des économistes, mais il a du mal à suivre leurs avis ! Il est vrai que ceux-ci viennent contredire la plupart du temps les principes idéologiques de la majorité : je pense notamment au coût du travail, aux 35 heures, à la flexibilité – sur laquelle un rapport a été remis hier – et, surtout, à notre système éducatif. Vous comprendrez que, dans ces conditions, notre groupe ne votera pas les crédits de la mission, qui reproduisent les mêmes erreurs, à moins que nos amendements ne soient adoptés.