Intervention de Christian Cambon

Réunion du 28 novembre 2014 à 15h00
Loi de finances pour 2015 — Immigration asile et intégration

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’immigration cristallise aujourd’hui les passions et les oppositions, provoque des réactions aussi bien de défiance que de compassion. Nous voilà donc, à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », une nouvelle fois face à nos responsabilités à l’égard des peuples de migrants. Que peux, que doit faire la France vis-à-vis d’eux ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1990, il y avait 150 millions de migrants internationaux ; en 2013, ils étaient 230 millions. Ce phénomène n’est pas prêt de cesser, ni même de décroître, tant qu’une disparité économique aussi forte, provoquant une instabilité sociale chronique, se maintiendra entre le Nord et le Sud. Au cours de la seule année 2014, plus de 3 000 migrants sont morts à nos portes, et le poids que les autorités italiennes doivent assumer du fait de l’arrivée massive d’immigrants à Lampedusa ne cesse de s’alourdir.

Face à cette situation, la France a toujours essayé de rester fidèle à sa mission de terre d’asile et de pays des droits de l’homme. Le budget que nous étudions aujourd’hui devrait nous permettre de poursuivre cette mission. Cependant, nous sommes profondément convaincus que le problème de l’immigration n’est pas seulement français, mais également européen, et doit être reconsidéré plus en profondeur.

Pris en tenaille entre notre volonté de rester une terre d’accueil et la réduction de nos moyens économiques pour accueillir les migrants, nous sommes obligés de faire des choix. Jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements successifs ont toujours semblé dépassés par le phénomène, et les politiques publiques, pourtant indispensables, qu’ils ont entreprises, n’ont fait que répondre à des urgences, alors qu’il aurait fallu travailler à une réponse globale.

L’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » nous donne un bref aperçu de la politique migratoire menée par la France. Certes, toute notre politique migratoire n’est pas comprise dans cette mission. Pour autant, les crédits ouverts représentent près de 80 % des crédits destinés à la politique d’asile.

Je traiterai d'abord le volet budgétaire de cette politique. J’évoquerai ensuite les perspectives que nous offrent l’Union Européenne et le Gouvernement à travers leurs initiatives respectives.

L’analyse des crédits de la mission et des dépenses globales de notre politique d’asile révèle – cela a été souligné par de précédents intervenants – un décalage criant entre les déclarations d’intention du Gouvernement et ses arbitrages. Le cahier des charges que nous présente le Gouvernement pour justifier le montant et la répartition des crédits peut sembler acceptable : le Gouvernement souhaite « réussir à stabiliser et, à terme, faire décroître les dépenses d’asile, d’un côté, et optimiser l’utilisation des moyens réduits alloués aux politiques d’intégration, de l’autre ».

Avoir comme objectif final la diminution des crédits du programme 303, « Immigration et asile », d’un côté, et la préservation et l’optimisation des crédits alloués au programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », de l’autre, nous paraît tout à fait opportun.

Malheureusement, la politique suivie par le Gouvernement semble en totale contradiction avec les ambitions qu’il affiche. Loin de maîtriser l’envol des dépenses issues du programme 303, le Gouvernement entérine une nouvelle hausse des crédits : de 1, 48 % en autorisations d’engagement, pour un montant de 597 millions d’euros, et de 1, 25 % en crédits de paiement, pour un montant de 606 millions d’euros.

Les faits sont là pour contredire la volonté politique affirmée par le Gouvernement : nous avons pu constater une hausse de 87 % des demandes d’asile entre 2007 et 2013. Notons d’ailleurs que le programme consacré au traitement des demandeurs d’asile représente plus de 90 % des crédits de la mission, les 10 % restants étant consacrés à la lutte contre l’immigration clandestine.

Les pays d’origine changent rapidement, mais les pays destinataires ne changent pas vraiment. Dès lors, si nous ne faisons rien, la somme consacrée aux politiques d’intégration – 59 millions d’euros aujourd'hui – risque de diminuer dangereusement. Les chiffres sont éloquents : en 2015, les crédits du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », seront une nouvelle fois en baisse, de près de 3 %. L’intégration des migrants sera donc une nouvelle fois sacrifiée du fait de la hausse des coûts liés aux demandes d’asile. Les arbitrages budgétaires du Gouvernement sont ainsi, une fois de plus, contraires à ses déclarations.

L’État se donne toujours plus de moyens, mais, malgré cela, nos services sont saturés – mon excellent collègue Aymeri de Montesquiou l’a souligné – et les dépenses dérivent inexorablement.

L’évaluation des moyens de notre politique d’asile n’est pas chose aisée. Si l’on se réfère à la nomenclature du rapport d’information sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile rédigé par deux de nos collègues députés, les crédits consacrés à notre politique d’asile sont répartis dans cinq programmes, eux-mêmes répartis dans quatre missions. Des dépenses atomisées entre cinq programmes et quatre missions, voilà qui n’est pas de nature à faciliter l’analyse !

Nous constatons en outre que certaines dépenses sont nettement supérieures aux plafonds de crédits fixés en loi de finances. Il est donc difficile pour le Parlement d’exercer un véritable contrôle sur l’exécution du budget. L’écart entre les dépenses constatées et les plafonds de crédits est même croissant : le plafond pour 2015 est inférieur de plus de 30 millions d’euros à la dépense constatée en 2013 et de plus de 100 millions d’euros à la dépense prévisionnelle pour 2014.

Prenons l’exemple du dispositif d’hébergement d’urgence et de l’allocation temporaire d’attente. La somme des dépenses liées à ces deux dispositifs s’élève à près de 135 millions d’euros, alors que la dépense prévisionnelle pour 2014 relative à la seule allocation temporaire d’attente s’élève à 185 millions d’euros.

Nous sommes donc face à un cas manifeste d’insincérité budgétaire, quelles que soient les explications, certes courageuses, mais parfois laborieuses, du Gouvernement. À cet égard, je salue l’initiative de Roger Karoutchi, qui a déposé un amendement pour tenter de corriger cette difficulté.

Nous sommes confrontés à des coûts qui explosent, sans perspective de solution. Le meilleur exemple est fourni par l’observation de la situation des CADA. Leur capacité aura quadruplé en dix ans, puisqu’ils sont passés de 5 280 places en 2001 à 24 700 à la fin du premier semestre de 2014. De surcroît, 1 000 places supplémentaires sont prévues d’ici à la fin de l’année.

Pourtant, avec 66 000 demandes d’asile en 2013, l’essentiel des demandeurs, à savoir 68 %, a été logé à l’hôtel via le dispositif d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile, dispositif dont le coût vient s’ajouter aux 220 millions d’euros prévus pour les CADA. Et je ne parle pas des difficultés qu’entraîne cette situation pour les maires, notamment de la région parisienne, qui doivent accueillir ces populations qui arrivent dans des conditions extrêmement précaires. §

Dans la même logique, les moyens d’instruction des demandes de l’OFPRA, comme ceux de sa juridiction de recours, ont été complétés. Ainsi, la CNDA a réussi à réduire ses délais de jugement, lesquels sont passés de treize mois à huit mois et demi aujourd’hui. Malheureusement, là encore, la mise à disposition de moyens par l’État n’est pas de nature à répondre à la demande sans cesse croissante.

Pour résumer, les crédits du programme 303 sont passés de 350 millions à 650 millions d’euros entre 2008 et 2014, et pourtant, il est fort à parier que cela ne suffira pas.

Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à endiguer cette évolution ou, au contraire, souhaite-t-il, quelque part, l’encourager ?

En réalité, mes chers collègues, la gestion des demandes d’asile est tout autant un défi européen.

Le nombre des demandes d’asile ne cesse de croître dans l’Union européenne : en 2013, il s’élevait à plus de 434 000, contre 332 000 en 2012, soit une augmentation de plus de 30 %.

La croissance des demandes d’asile ne concerne donc plus simplement la France. Nous pouvons même dire que se déroule aujourd’hui un phénomène de rattrapage chez nombre de nos voisins ; c’est notamment le cas en Bulgarie, à Malte, en Italie et dans quelques autres pays. Et nous constatons un fort décalage, très inquiétant, entre les pays qui accordent l’asile et ceux qui, concrètement, auront à leur charge les flux migratoires.

Malheureusement, avec l’adoption du règlement dit Dublin III, nous ne répondons toujours pas aux difficultés que pose cette asymétrie dans la délivrance du statut de réfugié. Ce règlement est l’exemple typique de la difficulté qu’éprouvent les pays européens à faire appliquer le droit communautaire. En effet, si le droit à un recours juridictionnel effectif ne se discute pas, les textes communautaires s’empilent parfois sur des dispositifs nationaux, avec des procédures administratives fondamentalement divergentes.

Pour cette raison, il nous faudra être très attentifs aux modalités de transposition des directives du 26 juin 2013. La première est relative aux procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale : il s’agit de la directive dite « Procédures ». La seconde a pour objet d’établir des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale : c’est la directive dite « Accueil ». Par ailleurs, nous devrons aussi conserver notre vigilance en ce qui concerne la transposition de la directive « Qualification », qui n’est toujours pas achevée.

Tel sera l’enjeu de l’examen prochain des deux projets de loi afférents aux questions migratoires : le projet de loi relatif au droit des étrangers en France et le projet de loi relatif à la réforme de l’asile.

Le Gouvernement dénonce lui-même, dans l’exposé des motifs du second texte, des recours abusifs à la procédure d’asile. Il propose, par ailleurs, de permettre plus facilement au dispositif d’écarter rapidement la demande d’asile infondée.

Malheureusement, beaucoup de dispositions visant à accroître les mécanismes de protection des libertés fondamentales des migrants nous semblent aller au-delà du but recherché ; mais nous aurons le temps d’y revenir.

En conclusion, je dirai que les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » sont le parfait reflet de la politique actuellement menée par le Gouvernement dans ces domaines.

Parce que vous êtes obligé, monsieur le ministre, et nous pouvons le comprendre, de parer au plus pressé, plutôt que d’élaborer une stratégie qui permette de préserver notre droit d’asile de dérives croissantes, vous réduisez inexorablement les moyens mis à disposition pour faciliter l’intégration des migrants, qui reste pour nous une priorité, dans les conditions légales que nous avons rappelées.

Nous en appelons donc au Gouvernement afin qu’il mette en place, avec nos partenaires européens, une véritable politique migratoire et d’insertion cohérente, et ce sur le long terme. Nous nous devons de répondre, en conformité, certes, avec nos valeurs, mais aussi avec nos moyens, à un phénomène d’immigration qui, à n’en pas douter, restera au cœur de nos préoccupations dans les années qui viennent. §

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