Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 28 novembre 2014 à 15h00
Loi de finances pour 2015 — Immigration asile et intégration

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier très chaleureusement de la richesse de vos interventions, d’où qu’elles viennent, à la faveur de l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Avant de répondre à toutes les questions qui ont été posées, sans prétendre à l’exhaustivité, compte tenu de leur nombre et du faible temps qui m’est imparti, je souhaite dire quelques mots sur la réforme de l’asile dans laquelle nous sommes engagés.

J’ai entendu notamment M. Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances, et M. Cambon faire part de leurs interrogations, que je comprends, concernant le décalage existant entre la situation de l’asile en France et l’organisation de l’accueil des migrants. Ces interrogations, également formulées par Mme Benbassa, méritent des réponses extrêmement précises.

Je veux tout d’abord insister sur l’ambition de la réforme que je viens d’évoquer et rappeler à chacun les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Il faut savoir que le délai moyen de traitement des dossiers des demandeurs d’asile entre le moment où la première demande est émise et le moment où la réponse définitive est apportée est actuellement en France de vingt-quatre mois, alors que, dans la plupart des pays européens, elle est inférieure à neuf mois, atteignant parfois même six mois.

Comme vous le savez, cette situation est loin d’être nouvelle. Elle n’est pas le résultat de la politique menée par ce gouvernement : celui-ci l’a trouvée en arrivant aux responsabilités.

Il est tout à fait exact que plus le délai de traitement des dossiers des demandeurs d’asile est long, moins il est facile de traiter, dans des conditions humaines, la situation de ceux qui, au terme de l’ensemble des procédures et des voies de recours, se trouvent déboutés du droit d’asile.

Si nous voulons humaniser la situation des demandeurs d’asile en France, nous devons prendre un certain nombre de dispositions, que j’aurai l’honneur de présenter au Sénat et à l’Assemblée nationale dans quelques semaines. Quelles sont-elles ?

D’abord, nous voulons absolument que les délais soient raccourcis. Cela implique que ceux qui sont en charge du traitement des dossiers des demandeurs d’asile soient davantage armés pour remplir leur mission rapidement.

Nous avons donc pris des dispositions concernant l’organisation de l’OFPRA, lesquelles ont permis à cet organisme de traiter cette année 15 % de dossiers supplémentaires. Il s’agit de mesures d’organisation interne, qui concernent notamment les conditions dans lesquelles se répartissent les dossiers entre les différents officiers traitants selon les zones géographiques considérées. Cette réforme a donné des résultats significatifs.

De plus, nous allons créer 55 postes équivalents temps plein à l’OFPRA, qui sont prévus dans le budget pour 2015. Ceux-ci vont permettre de renforcer considérablement les moyens de cet office et donc de traiter plus vite les dossiers.

Nous allons également, avec le même objectif, procéder à une réorganisation de l’OFII et allouer des moyens supplémentaires à la CNDA, qui a besoin, autant que l’OFPRA, d’être mise en mesure de gérer dans de meilleures conditions les dossiers qui lui sont soumis.

Par ailleurs, nous voulons renforcer les droits des demandeurs d’asile. Je rappelle à cet égard que le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, qui sera prochainement examiné par le Parlement, permettra d’énormes progrès dans la reconnaissance des droits des demandeurs d’asile, répondant ainsi à la préoccupation que plusieurs orateurs ont exprimée quant à la dignité de l’accueil réservé à ces personnes.

Sans prétendre donner une représentation exhaustive de la réforme, je citerai deux exemples.

Dans le cadre de la procédure accélérée, le caractère suspensif de l’appel sera reconnu. Ainsi, les demandeurs d’asile ne seront plus susceptibles d’être reconduits à la frontière avant même que le résultat de l’appel ne soit connu, ce qui représente un progrès considérable.

Nous avons également décidé que les demandeurs d’asile pourraient être accompagnés par un certain nombre de conseils dans leurs démarches auprès de l’OFPRA : voilà un autre progrès considérable.

Par ailleurs, nous souhaitons que les demandeurs d’asile puissent être accueillis en France dans des conditions plus dignes que celles qui prévalent dans un certain nombre de territoires que j’ai pu visiter et où je retournerai, notamment à Calais. Il faut donc un nombre suffisant de places en CADA pour accueillir ces personnes dans de bonnes conditions. Si ces places n’existent pas, nombre de ces personnes sont réduites à vivre dans la rue ou à accepter des conditions d’hébergement d’urgence qui ne correspondent pas aux standards que nous souhaitons.

C’est la raison pour laquelle il a été décidé, l’an dernier, de créer 4 000 places en CADA. Et cette année, nous en ajouterons 5 000, ce qui n’est pas négligeable, madame Benbassa. Même s’il existe un décalage de 20 000 unités entre le nombre de places déjà disponibles et le nombre de demandeurs d’asile qui se présentent en France annuellement, nous escomptons que ces créations de places, d’une part, et la diminution des délais de traitement des demandes, d’autre part, qui aura pour effet de faire sortir plus rapidement les demandeurs d’asile du processus d’hébergement en CADA, nous permettront d’atteindre des objectifs qui, jusqu’à présent, restaient hors de portée.

Bien entendu, ces places en CADA représentent un coût que nous budgétons. Par ailleurs, un certain nombre d’entre elles est financé par la transformation de places d’hébergement d’urgence. Monsieur Cambon, monsieur Karoutchi, madame Benbassa, madame Assassi, vous voyez que la politique que nous mettons en place apporte des réponses qui, jusqu’à présent, n’avaient pas été proposées.

Nous le faisons non pas simplement pour mettre la France en conformité avec trois directives de l’Union européenne, mais parce que nous considérons que la tradition de la France, son message et ses valeurs doivent la conduire à accueillir dans de meilleures conditions ceux qui ont pris le chemin de l’exode. Ceux-ci ne sont pas tombés amoureux du « code frontières Schengen », contrairement à ce que je peux lire de temps en temps, ils quittent leur pays parce qu’ils y ont été persécutés, emprisonnés, torturés, maltraités pour mille raisons qui tiennent à la politique, à la religion ou à l’orientation sexuelle. Tout cela doit être dit.

J’ajoute que l’idée selon laquelle il y aurait moins de migrants si les accords de Schengen n’existaient pas est une idée courte, qui ignore ce que sont les mouvements de populations dans le temps long de l’histoire de l’humanité.

Je souhaite ajouter quelques mots sur notre politique à l’égard de l’Union européenne en matière d’asile. J’entends dire que nous devrions prendre des mesures que nous avons déjà prises : c’est donc que je ne me suis pas suffisamment expliqué ! Je profite de l’interpellation de certains sénateurs pour le faire à nouveau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous eu raison de signaler qu’il fallait prendre en compte la dimension européenne de la politique de l’asile, et je vais essayer de vous apporter des réponses à cet égard. Nous assistons à une arrivée massive sur le territoire européen de migrants poussés sur le chemin de l’exode par les persécutions que je viens d’évoquer.

Pour donner un chiffre à tous ceux d’entre vous qui se sont interrogés sur ce point, avec les « printemps arabes » en 2011, quelque 110 000 migrants sont arrivés en Italie en un an. Au mois de novembre 2014, nous avons déjà enregistré 160 000 arrivées depuis le début de l’année. On constate donc une augmentation, pour des raisons liées à la conjoncture internationale et à la géopolitique.

Par ailleurs, les Italiens ont souhaité mettre en place l’opération Mare nostrum, qui vise le sauvetage en mer des migrants partant de Libye, notamment, au plus près des côtes africaines. Cette opération, dont je comprends les motivations humanitaires, a eu un résultat immédiat : elle a permis de sauver plus de vies. Elle a eu aussi une conséquence non désirée : il y a eu plus de morts, tout simplement parce que les responsables des filières d’immigration irrégulière ont placé des migrants de plus en plus nombreux sur des embarcations de plus en plus frêles, après avoir prélevé sur eux des dîmes de plus en plus importantes, qui sont de véritables impôts sur la mort. Au final, il y a plus de sauvetages, mais aussi plus de morts en mer.

C’est la raison pour laquelle j’ai effectué une tournée de nos partenaires européens au mois d’août dernier, pour rencontrer mes homologues et leur présenter des propositions qui ont été ensuite adoptées par l’Union européenne.

Premièrement, nous voulons substituer à Mare nostrum, qui est un dispositif italien, une opération conduite par Frontex, qui sera une opération de contrôle aux frontières méridionales de l’Union européenne. Cette opération ne laissera pas les migrants mourir en mer, puisque le droit de la mer s’appliquera évidemment. La semaine dernière, quelque deux cents migrants ont d’ailleurs été sauvés.

Deuxièmement, nous souhaitons que cette opération de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne soit accompagnée d’une meilleure coordination des missions des États et des missions de l’Union, en relation avec les pays de provenance, pour les migrations en Méditerranée centrale.

Troisièmement, nous voulons que les demandeurs d’asile soient répartis entre les différents pays de l’Union européenne, en tenant compte du nombre de demandeurs d’asile déjà accueillis par chacun de ces pays.

Quatrièmement, et enfin, nous souhaitons que les règles de Schengen et de Dublin soient appliquées et qu’un contrôle s’opère, notamment en Italie. Pour ce contrôle, nous mobiliserons nos fonctionnaires et ceux de Frontex afin de nous assurer que la banque de données Eurodac, qui centralise les empreintes digitales, fonctionne correctement.

Voilà ce que nous faisons. Nous menons une politique globale, cohérente, qui a sa force et sa part d’engagement. Le Parlement sera en outre amené à se saisir très prochainement des dispositifs relatifs à l’asile.

En guise de conclusion, je souhaite apporter des réponses précises à certaines questions qui m’ont été posées.

Je répondrai tout d’abord à MM. Karoutchi et de Montesquiou sur les crédits du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », consacrés à la formation linguistique. Si les crédits du programme 104 ont diminué de 20 % entre 2010 et 2014, les crédits consacrés à la formation linguistique ont, quant à eux, été sanctuarisés. Une hausse de ces crédits de 11 millions d’euros sur la période 2016-2017 est d’ailleurs proposée.

Ainsi, le Gouvernement entend rénover profondément le dispositif d’accueil et d’accompagnement, afin de concentrer les efforts sur les premières années d’installation en France. Il s’agit d’élever le niveau de langage, de faciliter le parcours d’apprentissage linguistique menant au niveau A2 à l’issue des cinq premières années d’installation, dans la perspective de la délivrance de la carte de résident.

À cette fin, un effort considérable sera consenti en matière de formation linguistique dans les années qui viennent. D’une part, le démarrage de cet effort, en 2015, est consacré au maintien des moyens budgétaires de l’État et de l’OFII, en ciblant plus particulièrement les publics qui ont le plus besoin de cette formation. D’autre part, les crédits du programme 104 centrés sur les primo-arrivants seront renforcés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’interrogez également sur la sous-budgétisation des crédits consacrés à l’asile et l’insuffisance des crédits d’intégration dans la perspective de la réforme de l’asile.

L’augmentation des stocks d’affaires pendantes devant l’OFPRA et la CNDA ces dernières années ont contribué à accroître les délais d’instruction des demandes d’asile, donc le nombre des bénéficiaires de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA. Les renforts successifs des capacités de traitement de ces organismes n’ont pas suffi, à ce stade, à réduire ces stocks, compte tenu du fait que cette tendance est ancienne et ne saurait s’inverser en quelques mois.

Néanmoins, grâce aux efforts du Gouvernement et à ceux qui ont été entrepris par Pascal Brice, le directeur de l’OFPRA, pour réduire les délais de traitement des dossiers, on note une inversion très prometteuse de la tendance depuis le début de l’année 2014.

Comme vous le savez, les dépenses liées à l’ATA se sont jusqu’à présent toujours révélées supérieures au montant prévu en loi de finances. Je tiens à attirer votre attention sur le fait que l’écart entre la budgétisation et l’exécution s’est fortement réduit depuis 2012, grâce à la volonté du Gouvernement de prévoir la budgétisation la plus sincère possible, alors que cette dépense est particulièrement difficile à prévoir.

En 2011, les crédits de l’ATA inscrits en loi de finances initiale représentaient 34 % de la dépense réelle ; en 2013 ils en représentent 94 %. Je pense que vous mesurez les progrès accomplis, qui prouvent la volonté du Gouvernement de faire en sorte que la situation évolue de manière positive.

Mme Benbassa m’a interrogé sur la réforme de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA. Je rappelle que d’autres hypothèses avaient été débattues, notamment la possibilité d’expérimenter un transfert de ce contentieux, en totalité ou en partie, aux tribunaux administratifs. Ces hypothèses n’ont pas été retenues, …

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