Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le niveau des crédits et leur variation sont certes des éléments clefs pour apprécier un budget, mais ils sont tout autant des signaux envoyés pour indiquer une orientation des politiques publiques, directement ou en marge du budget.
En l’occurrence, madame la ministre, dans sa globalité, c’est avec un certain soulagement que j’ai trouvé du sens aux orientations que traduisent votre budget et les annonces qui l’ont accompagné. C’est l’une des raisons pour lesquelles je commencerai volontairement par m’écarter du budget en relevant votre projet de stratégie pour relancer le tourisme outre-mer.
Je crois, en effet, qu’il s’agit d’un secteur qui doit concentrer toute l’attention, tant son potentiel de croissance est important. En outre, comme vous le savez, c’est un sujet auquel je suis particulièrement sensible. L’outre-mer possède la matière première touristique. Or le secteur du tourisme contribue à hauteur de moins de 10 % au PIB. On ne peut qu’en conclure que le potentiel de croissance et d’emplois inexploité est considérable.
C’est pourquoi, symboliquement, j’ai souhaité commencer cette intervention par ce point, pour saluer cette intention. Il en est de même s’agissant de l’augmentation des crédits du service militaire adapté, le SMA, car ce dispositif mérite d’être renforcé. Il répond en effet au besoin de formation et d’encadrement de la jeunesse ultramarine, qui enregistre des taux de chômage record, de plus de 30 % en moyenne.
Nous ne devons pas non plus ignorer les difficultés, inégales d’un territoire à un autre – sociales, voire parfois morales –, qui sont cachées derrière les chiffres de l’emploi. La jeunesse a besoin de repères, plus encore dans un contexte difficile, et je pense que le SMA constitue une réponse globale pour les jeunes qui s’y dirigent.
Ce budget prend par ailleurs en charge une partie de la politique fiscale mise en œuvre outre-mer. Ce serait me renier que d’affirmer que la défiscalisation est un outil que j’approuve de manière absolue. Nombreux sont ceux de mes collègues qui ont eu l’occasion de m’entendre la décrier en raison du caractère artificiel et non durable de l’activité économique qu’elle crée.
Pour autant, je considère qu’elle reste pour l’outre-mer un outil qui permet de compenser les difficultés d’accès au crédit et le déficit en capital pour l’investissement. Lier l’avantage fiscal à la réalisation d’un objectif – ce que j’ai souvent appelé « la défiscalisation de projet » – aurait à mon sens favorisé des investissements plus inscrits dans la durée.
Cela dit, au titre des mesures fiscales, je souhaiterais aborder en premier lieu la suppression de l’aide à la rénovation hôtelière. Mon collègue de Saint-Martin vient d’en parler brillamment. Je sais que nombreux sont mes collègues qui la déplorent. Je suis, pour ma part, plus nuancé, car je considère qu’il s’agissait d’un dispositif en demi-teinte.
Le parc hôtelier ultramarin de la Guadeloupe, que je connais mieux – mais j’ai entendu mon collègue de la Martinique dire la même chose du parc martiniquais –, nécessite un vaste plan de mise aux normes internationales pour pouvoir entrer véritablement en concurrence avec les îles voisines. Je mets donc cette suppression en perspective de la stratégie de relance du tourisme annoncée, souhaitant qu’elle préfigure la mise en place d’un outil de remplacement plus global et, j’ose le dire, plus efficace.
Toujours au titre des mesures fiscales, je crois inutile de préciser que je note avec satisfaction le relèvement à 50 % du crédit d’impôt recherche.
Il est effectivement vital d’encourager la recherche et le développement dans ces territoires, et, sur ce point, les chiffres parlent d’eux-mêmes : la recherche et développement représentent en outre-mer 0, 65 % du PIB, contre 2, 24 % en métropole. Le retard est donc considérable. On peut, de plus, attendre un double bénéfice de cette incitation : outre l’augmentation de la recherche par les entreprises locales, elle pourrait favoriser l’implantation d’entreprises attirées par l’avantage fiscal.
La recherche montre d’ores et déjà un dynamisme encourageant, avec une hausse de plus de 20 % des effectifs salariés du secteur de la recherche scientifique dans les départements d’outre-mer entre 2006 et 2012.
En revanche, s’agissant du crédit impôt innovation, je regrette que le taux de 20 % ait été maintenu. La mesure mérite d’être renforcée par rapport à la métropole, car elle correspond davantage au tissu entrepreneurial ultramarin, composé essentiellement de très petites, petites et moyennes entreprises.
Dans le contexte majoritairement insulaire des économies ultramarines, j’ai souvent eu à le dire, l’innovation n’est pas un mot ou une expression à la mode : elle est incontournable, voire vitale. L’insularité suppose une adaptation permanente, et encore plus aujourd’hui que se pose avec acuité la question de la transition énergétique. L’innovation est une clef du développement et de la réussite de nos territoires. L’encourager et l’accompagner n’est pas seulement un choix, c’est une obligation.
Or, avec un crédit impôt innovation fixé à 20 %, l’avantage fiscal dont pourrait bénéficier la majorité des entreprises serait moindre que celui du crédit impôt recherche, plus adapté aux grandes entreprises.
Quant au relèvement du plafond de défiscalisation pour le logement intermédiaire, il me semble conforme aux besoins et la structure socioéconomique de l’outre-mer, ce segment de logement connaissant d’importants besoins également.
À cet égard, la préservation des crédits de la ligne budgétaire unique, la LBU, marque la volonté de ne pas infléchir l’effort de rattrapage des besoins en logements sociaux. La réponse du Gouvernement au référé de la Cour des comptes sur le logement social outre-mer conforte la nécessité de maintenir la combinaison de la subvention par la LBU et de la dépense fiscale en matière de logement social.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objectif de croissance et de création d’emplois que nous visons tous ne peut se concevoir sans aborder la question de la compétitivité.
Dans leur environnement régional, les économies des outre-mer sont comparativement désavantagées par le poids des charges qui pèsent sur leurs entreprises. Le renforcement du CICE doit donc permettre d’améliorer leur compétitivité, à condition, bien entendu, que cet allégement y soit dédié et non considéré comme un simple allégement sans contrepartie.
Pour les secteurs exposés, au sein desquels j’inclus le tourisme, ce taux devrait être renforcé par un allégement supplémentaire de charges. Cet équivalent pourrait être atteint, notamment, par le relèvement des plafonds de salaires éligibles aux exonérations de charges.
En effet, si la concentration des allégements sur les bas salaires permet de cibler le plus grand nombre, il convient de prendre garde à ne pas créer une trappe généralisée aux bas salaires, au risque de créer une économie sous-encadrée. Le relèvement des plafonds serait, de surcroît, cohérent avec l’incitation à l’investissement dans la recherche notamment, et l’on ne pourra pas non plus relancer le tourisme sans cadres.
Enfin, un dernier sujet, mais non des moindres, est celui de la continuité territoriale. J’ai relevé les propos de Mme Bello, évoquant à l’Assemblée nationale l’ambiguïté du dispositif, d’ailleurs révélée par son nom.
Le rapport de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, la CNEPEOM, nous a amenés à conclure au sujet des dispositifs d’aide à la continuité territoriale qu’il convenait de trouver une ressource à affecter à leur financement, tout en les encadrant davantage, notamment pour l’aide à la continuité territoriale, l’ACT, un dispositif tout public, cofinancé par certaines régions.
L’ouverture d’un droit sans fixer de limites revient à augmenter la dépense selon l’évolution de la demande. Je reste néanmoins surpris, comme beaucoup d’autres, par l’amputation de 10 millions d’euros des crédits consacrés à la continuité territoriale.
Madame la ministre, je suis bien conscient qu’un budget ne peut pas tout régler et que les urgences sont nombreuses outre-mer. Je suis convaincu que, dans ce contexte, le travail et la réflexion doivent être mis en commun, et c’est dans cet esprit que j’inscris mon intervention.
Je ne saurais toutefois conclure ce propos général sans évoquer Saint-Barthélemy. Le Sénat a adopté cette semaine un amendement réduisant la dotation globale de compensation négative de Saint-Barthélemy. Je le sais, madame la ministre, c’est un sujet que vous suivez avec attention, et je suis persuadé que votre accompagnement sera déterminant pour le sort de cet amendement.
J’en terminerai avec la question qui vous a été posée à l’Assemblée de l’extension du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi aux collectivités d’outre-mer à fiscalité particulière.
La proposition de Saint-Barthélemy sur ce point est formulée dans la proposition de loi que j’ai déposée, visant notamment à créer une caisse locale de prévoyance sociale. Celle-ci permettrait un abaissement des charges en produisant un effet équivalent à celui du CICE.