Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne puis prendre la parole devant vous, en cette fin d’après-midi, sans me rappeler que, voilà trente ans, jour pour jour, la Nouvelle-Calédonie était défigurée par une terrible flambée de violence.
C’est en novembre 1984 qu’a débuté cette période sombre de notre histoire récente, que nous avons pudiquement baptisée « les événements », quand la revendication indépendantiste a choisi, pour s’exprimer, la voie insurrectionnelle.
Notre territoire a été livré à une véritable guerre civile, à la confrontation brutale de nos communautés. Il a vécu une période de violents désordres, d’exactions, de vols, de pillages, d’incendies, qui ont déchiré les familles, les tribus et les clans. Il y eut des familles contraintes de quitter la brousse, des clans chassés de leurs terres. Il y eut des blessés et des morts.
Trente ans après, nous n’avons pas oublié et nous ne voulons plus jamais revivre cela. Nous n’avons pas oublié non plus que ce sont les promesses aux indépendantistes du gouvernement socialiste de l’époque, promesses impossibles à tenir, qui ont mis la Calédonie à feu et à sang. Cela non plus, nous ne voulons plus le connaître !
Après nous être violemment affrontés, entre indépendantistes et partisans du maintien au sein de la France, nous avons choisi la voie difficile de la paix et de la réconciliation, et nous avons décidé de construire, ensemble, notre avenir. Depuis 1988, grâce aux accords de Matignon, prolongés par l’accord de Nouméa, nous sommes engagés dans un processus exemplaire de dialogue et de partage des responsabilités. Ce processus fait l’admiration de tous.
À l’heure où le Président de la République vient de se rendre en Nouvelle-Calédonie et alors que nous entamons la dernière phase du processus de l’accord de Nouméa, il nous a été rappelé que l’État organiserait, au plus tard en 2018, un référendum d’autodétermination pour décider de notre avenir.
Je souhaite vous redire ce soir, avec force, que ce référendum d’autodétermination n’est pas susceptible de résoudre l’équation qui nous est posée : satisfaire deux revendications radicalement antagonistes.
Si, lors de cette visite, le Président de la République a tenu à s’incliner sur les tombes de Jacques Lafleur et de Jean-Marie Tjibaou, c’est bien pour saluer la poignée de main qui a scellé un accord de paix et de réconciliation. Ce geste nous oblige et nous engage, par ailleurs, en nous rappelant que, en surmontant nos différences, la cogestion du territoire, entre les indépendantistes et nous, est devenue la norme.
Certes, vous m’opposerez que le scrutin d’autodétermination est inscrit dans l’accord de Nouméa. Toutefois, ce scrutin d’autodétermination est absurde, monsieur Sueur !
Alors que, depuis près de trente ans, nous faisons tout pour travailler ensemble, pour apprendre à nous connaître et à nous reconnaître, pour nous respecter mutuellement, nous allons rouvrir de vieilles blessures, nous allons de nouveau diviser les Calédoniens, et tout cela pour une consultation dont nous connaissons par avance le résultat, quelle que soit l’habileté rédactionnelle des questions qui seront posées. Je vous le dis, cela n’a aucun sens ! Pis, en validant la logique des blocs, le référendum brutal risque de séparer ces mains qui se sont unies.
Madame la ministre, je pense aussi comprendre que l’accord de Nouméa, dans sa rédaction actuelle, est finalement une aubaine pour l’État, ce dernier étant plus prompt à esquiver, à fuir ses responsabilités régaliennes de signataire des accords, plutôt qu’à assumer son rôle de partenaire éminent.
En vous situant à équidistance des indépendantistes et de nous, vous nous renvoyez dos à dos, au risque d’alimenter les tensions entre nous. En ajoutant un groupe d’experts indépendants à la mission Christnacht-Merle, le tout placé sous l’œil vigilant de missions parlementaires de réflexion sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie – à l’Assemblée nationale, et pourquoi pas au Sénat ? –, vous créez les conditions de l’impuissance et de la cacophonie.
Madame la ministre, les enjeux en Calédonie et dans le Pacifique exigent un État fort, sûr de lui, afin que ne triomphent pas ceux qui s’opposent dans les deux camps aux concessions nécessaires.
Un État fort, c’est être capable de se tenir aux côtés des Calédoniens, qui, en dernier ressort, décideront de leur avenir, mais en affirmant avec courage ses ambitions, ce qu’il ne fait pas.
Un État fort, c’est être capable d’affirmer la fierté de la France d’être reconnue comme puissance régionale dans le Pacifique, au moment où cet océan est convoité par d’autres grandes puissances.
Un État fort, c’est être capable de saluer le message de milliers de Calédoniens, mobilisés le jour de l’arrivée du Président de la République à Nouméa, afin de lui dire leur fierté d’être Français et leur volonté de le rester, ce qu’il n’a pas fait.
Madame la ministre, l’État n’aura pas d’autre choix que de faire la proposition d’un nouvel accord, quel qu’en soit le nom. Plus il tardera, plus l’issue sera aléatoire, et vous en porterez la responsabilité, car ce n’est pas en substituant des proclamations formelles au douloureux exercice de la négociation que l’on se rapprochera de la solution.
N’ignorez pas la volonté très majoritaire des Calédoniens à rester Français, fiers de leur appartenance à une nation capable de reconnaître et d’additionner leurs différences !