Intervention de Philippe Dominati

Réunion du 28 novembre 2014 à 22h30
Loi de finances pour 2015 — Compte d'affectation spéciale : contrôle de la circulation et du stationnement routiers

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, il y a plusieurs manières d’apprécier la politique de sécurité de l’État que retracent les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » : d’un point de vue strictement budgétaire et d’un point de vue davantage politique, en appréciant leurs résultats.

Sur le plan budgétaire, les crédits proposés au titre des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » s’élèvent à 17, 76 milliards d’euros en crédits de paiement, en progression de 0, 49 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2014. Cette hausse reflète pour partie les créations de postes, qui se poursuivent en 2015, à hauteur de 405 emplois, dont 243 pour la police et 162 pour la gendarmerie.

Par rapport aux autres pays de l’Union européenne, la France se situe dans la moyenne, avec un policier ou un gendarme pour 270 habitants. Selon les années, certaines missions pèsent cependant sur l’activité des policiers ou des gendarmes, comme l’établissement des procurations de vote, qui ont requis l’équivalent de 737 emplois équivalent temps plein en 2012. Or notre pays connaîtra deux élections en 2015.

Enfin, les transfèrements de détenus font l’objet de la reprise d’un processus de transfert entamé en 2012 entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice et interrompu pour des raisons techniques. Ce transfert de compétences est nécessaire pour recentrer l’action des forces de sécurité sur leur cœur de métier.

S’agissant des postes pourvus, des écarts croissants sont observés entre les prévisions et les exécutions du plafond d’emplois de la gendarmerie nationale : la sous-exécution a atteint 1 810 emplois équivalent temps plein travaillé en 2013, soit 1, 86 % des emplois du programme, ce qui traduit la difficulté des gestionnaires à appréhender les comportements individuels des agents, notamment les départs à la retraite. En conséquence, les effectifs de trop nombreuses brigades de gendarmerie sont aujourd’hui incomplets.

Concernant la masse salariale, la stabilisation des dépenses de personnel de la police nationale entre 2014 et 2015 s’explique par une surévaluation des crédits de titre 2 en loi de finances initiale pour 2014. À périmètre constant, les dépenses de personnel augmentent en réalité de 1, 1 % par rapport à 2014. Pour la fin de la période couverte par le budget triennal, entre 2015 et 2017, la masse salariale devrait en revanche se stabiliser, sous l’effet d’un repyramidage et d’une baisse considérable des mesures catégorielles : de 20, 88 millions d’euros en 2015, ces dernières chuteraient à 13, 62 millions d’euros en 2016 et à moins de 1 million d’euros en 2017, soit un niveau historiquement bas. Une telle réduction des mesures catégorielles risque de poser un problème d’attractivité des métiers de la sécurité.

Une autre question récurrente est celle du stock d’heures supplémentaires du corps d’encadrement et d’application de la police nationale, estimé à 15 749 640 heures par le ministère de l’intérieur. La Cour des comptes a considéré que cette situation requérait la constitution d’une provision, dont elle a évalué le montant à 322 millions d’euros.

En investissement, je déplore que le rythme de renouvellement des flottes de véhicules entraîne leur vieillissement.

Si l’on considère à présent, d’un point de vue plus politique, les résultats de la politique de sécurité, force est de constater que les indicateurs de mission montrent une hausse généralisée de la délinquance en 2013.

L’évolution du nombre de crimes et délits en matière d’atteintes volontaires à l’intégrité physique des personnes constatés a augmenté l’an passé tant en zone police, de 1, 29 %, qu’en zone gendarmerie, de 3, 2 %. L’évolution des violences physiques non crapuleuses et des violences sexuelles a été en hausse de 1, 1 % en 2013 en zone police et de 9, 8 % en zone gendarmerie, au lieu d’une baisse de 9, 2 % en 2012.

Le nombre de cambriolages a progressé de 7 %, tant en zone police qu’en zone gendarmerie, pour atteindre au total 390 000 en 2013. Le nombre de crimes et délits en matière d’atteintes aux biens constatés a augmenté en zone police de 2, 7 % et en zone gendarmerie de 3, 9 %.

Les résultats du premier semestre de 2014, détaillés dans le rapport spécial, sont contrastés.

De telles évolutions, en partie imputables à la situation économique, laisseront des traces durables sur le sentiment d’insécurité de nos concitoyens, même lorsque la situation s’améliorera, ce qui constitue un argument supplémentaire pour l’élaboration d’un indicateur sur le sentiment d’insécurité. En effet, il y a lieu de regretter que le sentiment d’insécurité ne soit toujours pas mesuré au sein du dispositif de performance. Dans les réponses au questionnaire budgétaire, la direction générale de la gendarmerie nationale a répondu que le calendrier des enquêtes conduites par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ne permettait pas de les intégrer dans les documents budgétaires. Il est dommage que les données issues des outils statistiques pourtant disponibles ne puissent pas être recueillies ni valorisées en cohérence avec la démarche de performance qui sous-tend les politiques publiques depuis l’adoption de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Par ailleurs, un indicateur mesurant la part des activités dédiées à la prévention et à la répression par les forces de police pourrait utilement être construit à partir de recueils de données auprès des agents sur leurs activités. Ce pourrait être l’un des objectifs du nouveau service statistique ministériel de la sécurité intérieure, créé cette année.

Enfin, l’Assemblée nationale a adopté un nouvel article tendant à permettre aux collectivités territoriales de participer, jusqu’en 2017, au financement d’opérations immobilières de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la justice. Ces dispositions, initialement instituées jusqu’en 2007 par la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, avaient déjà été rétablies une première fois par la deuxième loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure entre 2011 et la fin de 2013. Il est donc proposé de rétablir une nouvelle fois ce dispositif, au regard de la nécessité de conduire des opérations d’investissement en partenariat avec les collectivités territoriales. Un tel article est nécessaire pour conduire à bien ces opérations.

Je tiens enfin à saluer le courage et l’engagement des forces de sécurité, dont j’ai pu rencontrer les syndicats, ainsi que les directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Mais la question des suicides est révélatrice d’un malaise : quelles sont les données actuelles, monsieur le ministre ? Quelles réponses le Gouvernement entend-il apporter ?

Je souhaite évoquer un dernier point, bien qu’il ne concerne pas directement les crédits de cette mission : le Gouvernement, par négligence, a paralysé l’action des forces de sécurité en supprimant toutes les écoutes légales. Il serait bon que vous nous apportiez un certain nombre de précisions.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d’adopter sans modification les crédits de la mission « Sécurités », qui concourt à la mise en œuvre d’une politique régalienne, et l’article 59 septies rattaché.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion