Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous approuvons le maintien du niveau des crédits de la mission « Culture » dans le budget triennal 2015-2017. Il montre l’attention portée à ce secteur par le Gouvernement.
La culture doit aujourd’hui être considérée comme une urgence. « Urgence », le mot est choisi à dessein. En effet, de plus en plus, la culture est l’apanage d’une frange de la population, qui l’a héritée de ses parents. De moins en moins, elle est ce qu’elle devrait être : un bien transversal, partagé par toutes les couches sociales de la population, défiant toute appropriation catégorielle. Parfois élitiste, la culture devient facteur de discrimination à la fois verticale et horizontale, sans que l’école vienne compenser cet état de fait.
La culture est, d'abord, un facteur de discrimination verticale, en tant que capital, en tant qu’habitus. Comme Bourdieu l’avait constaté, les étudiants issus des classes sociales favorisées « héritent […] des savoirs et un savoir-faire, des goûts et un bon goût dont la rentabilité scolaire, pour être indirecte, n’en est pas moins certaine. » Le montant des bourses sur critères sociaux dans l’enseignement supérieur n’a pas encore été assez revalorisé pour compenser ces inégalités. Comment une bourse d’échelon 1, d’un montant de 166, 50 euros par mois, pourrait-elle permettre aux étudiants de se loger, de se nourrir, de s’acheter des manuels scolaires et de faire face à leurs dépenses de santé ? Dès lors, imaginez ce qui leur reste pour la culture ! Selon le Secours populaire français, 107 000 étudiants seraient dans une situation de précarité et 45 000 dans une situation d’extrême pauvreté.
La culture opère aussi une discrimination horizontale, car les fractures territoriales, en la matière, sont importantes. Deux France, aujourd’hui, s’opposent : une France urbaine, vivant dans ou à proximité d’une métropole et bénéficiant d’infrastructures culturelles, et une France périphérique, hors du champ des grandes métropoles, qui, nous le savons, cumule les handicaps en matière d’aménagement du territoire, ce qui a aussi des répercussions en termes d’accès à la culture. La désertification culturelle préfigure la désertification des territoires, de manière plus globale.
C’est sur ce plan que les politiques culturelles trouvent leur point d’ancrage et leur justification : rééquilibrer, horizontalement et verticalement, l’accès des uns et des autres à la culture. Comme le soulignait un rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires culturelles, il existe une corrélation positive entre les initiatives culturelles et le développement à long terme des territoires.
S’agissant des territoires, les crédits déconcentrés de la mission « Culture » ont été préservés, notamment au sein du programme « Patrimoines ». Ce dernier point est particulièrement important. En effet, une récente étude de l’Association des petites villes de France révèle que 95 % des villes de 3 000 à 20 000 habitants envisagent de réduire, dès 2015, les moyens qu’elles consacrent à la culture, dans le contexte de la baisse des dotations de l’État. La progression des crédits du patrimoine est donc un signal positif envoyé à nos collectivités territoriales.
Par ailleurs, nous savons que l’exception culturelle française est l’un des moyens de notre rayonnement dans le monde. Elle a des répercussions marchandes, facilement quantifiables – par exemple, dans le secteur du tourisme ou encore dans celui de l’industrie culturelle –, mais elle a aussi des effets qualitatifs, plus difficiles à mesurer, comme l’illustre la remise du prix Nobel de littérature 2014 à l’écrivain Patrick Modiano.
L’émergence de la notion d’« exception culturelle » résulte de l’opposition irréductible entre, d’une part, des systèmes de régulation spécifiques, au bénéfice de productions nationales, et, d’autre part, des dispositifs de libre-échange internationaux, fondés sur la prohibition des mesures de discrimination entre productions nationales et productions étrangères.
Le Gouvernement a annoncé la sanctuarisation des crédits dédiés à la culture, à la suite du mouvement des intermittents du spectacle. Le groupe du RDSE soutient cet effort.
Dans un pays comme le nôtre, l’exception culturelle est plus qu’essentielle, justifiant un régime dérogatoire de subvention à la création artistique.
L’évolution du régime des intermittents est nécessaire, mais différentes pistes sont à explorer, notamment la lutte contre les abus des sociétés de production audiovisuelle. Celles-ci emploient des intermittents à l’année, ce qui réduit très sensiblement leurs charges et leur permet de verser des petits salaires. Le rapport d’information de notre collègue député Jean-Patrick Gille préconisait, par exemple, de requalifier les CDD d’usage en CDI au-delà de 900 heures de temps de travail auprès du même employeur dans l’année ou encore d’interdire de cumuler un emploi à plein temps avec des allocations.
Sur ce sujet, notre collègue Maryvonne Blondin a elle aussi réalisé un important travail, que nous devrions utiliser un peu plus.
Le spectacle vivant, que je connais plus particulièrement, fait coexister des structures de tailles très différentes, qui vont des opéras nationaux aux prestataires dans les domaines du son, de la lumière ou des costumes. Globalement, les entreprises du spectacle vivant sont de petite taille. Ainsi, 43 % des entreprises relevant de la branche professionnelle ont déclaré cinq salariés au plus, tous types de contrats de travail confondus, 94 % des entreprises de la branche emploient moins de 10 salariés permanents et 54 % n’emploient aucun salarié permanent. Le secteur associatif représente 81, 2 % des entreprises de la culture. Cette diversité impose que soit menée une politique permettant une différenciation intelligente, dans le cadre du chantier qui s’ouvrira prochainement.
Nous attendons beaucoup d’un gouvernement de gauche en matière de culture. Nous espérons que nous ne serons pas déçus. Pour l’heure, le groupe du RDSE votera les crédits de cette mission. §