Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 29 novembre 2014 à 10h00
Loi de finances pour 2015 — Culture

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits affectés à la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015 sont présentés comme stables.

Madame la ministre, cette sanctuarisation est, pour vous, un succès. Elle le serait totalement si elle était réelle ! Malheureusement, tel n’est pas le cas. Pour s’en convaincre, il convient de replacer le budget qui nous est soumis dans une triple perspective.

Premièrement, il faut le mettre en perspective avec les baisses de 2013 et de 2014. À cet égard, le budget pour 2015 n’est que la consécration de ces baisses. Dans le temps, l’effort culturel de l’État décroît.

Deuxièmement, et ce point est tout aussi préoccupant, le budget culturel de l’État, comme cela a été indiqué, est de moins en moins représentatif de l’effort de la nation en matière culturelle, les financements des collectivités locales étant aujourd’hui largement majoritaires dans ce domaine. Or, du fait de la baisse continue de leurs ressources jusqu’en 2017, les collectivités seront amenées à réduire leur action. Même si, en toute probabilité, elles tenteront de préserver au maximum leurs dépenses culturelles, tant de fonctionnement que d’investissement, une telle réduction ne pourra être évitée.

Le phénomène pourrait être accentué par un dernier élément, constitutif de la troisième mise en perspective.

Dans le cadre des contrats de projets, qui, comme nous le savons, concentrent les crédits d’investissement de l’État, les lettres de mission données aux préfets de région ne comportent pas de volet culturel. Cela ne pourra qu’entraîner une diminution des investissements en matière de culture.

Les annexes budgétaires préparées laissent entendre que cette situation pourrait être rattrapable au travers du volet dit « territorial » des contrats de projets. Une telle indication est, à mon sens, inexacte, puisque ces volets territoriaux ne seront pas signés par l’État, sauf, madame la ministre, information contraire que vous pourriez nous communiquer ce matin et que nous accueillerions avec grand intérêt.

En résumé, une vision « grand angle » de l’évolution des ressources affectées par notre pays à la vie culturelle conduit au constat d’une triple diminution : d’une part, du budget de l’État, la mission « Culture » pour 2015 consolidant les baisses passées ; d’autre part, du budget des collectivités, via la réduction de leur voilure financière ; enfin, des actions communes de celles-ci, à la suite de la disparition des ressources affectées dans le cadre des contrats de projets.

Telle est la réalité du budget culturel dans sa grande masse !

Les trois programmes de la mission « Culture » examinée ce jour tâchent d’accompagner, tant bien que mal, ce contexte de désengagement général dans le domaine culturel.

Ainsi, le programme « Patrimoines » entend-il préserver les crédits déconcentrés de la mission. Mais que peut bien peser cette préservation, ou cet « accompagnement », au regard de la baisse des dotations aux collectivités ?

La situation est analogue pour le programme « Création ». Celui-ci affiche une ambition - que nous partageons - de soutien au spectacle vivant. Comment un tel objectif peut-il être atteint sans apporter de solution à la crise ouverte, déjà évoquée par plusieurs orateurs, que traverse le régime des intermittents ?

Il a été indiqué, en commission, que si aucun crédit n’était prévu sur le budget culturel, il en existait à l’échelon de celui du ministère du travail. Nous prenons acte de cette affirmation, madame la ministre, mais exprimons quelques doutes, le budget en question ayant, à notre connaissance, la plus grande difficulté à absorber la montée en puissance des contrats dits « aidés » sous toutes leurs formes.

Au-delà de ces doutes d’ordre financier, nous craignons de voir la question de l’intermittence ressurgir, comme ce fut le cas au début de l’été dernier. À un mois de la fin de l’année, aucun renseignement n’est communiqué à la représentation nationale sur les voies et moyens permettant de la résoudre, et j’ai le sentiment que les mêmes causes produiront les mêmes effets : en l’absence de décision d’ici à la fin cette année, les difficultés, que chacun de nous connaît bien, ne manqueront pas de renaître à l’approche des festivals d’été.

J’en arrive au programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

Même si les crédits relatifs aux Centre national du cinéma et de l’image animée et à la Cinémathèque française sont transférés de ce programme vers le programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », en dire un mot en cet instant n’est pas totalement hors sujet, dans la mesure où les dépenses fiscales relatives au domaine cinématographique et audiovisuel – cela a été souligné précédemment – demeurent paradoxalement rattachées à la mission « Culture ».

Le groupe centriste, qui, monsieur Laurent, aime les larges horizons, tient à exprimer son attachement à la dimension non seulement culturelle, mais aussi économique du monde du cinéma, comptabilisant un nombre d’emplois que nul ne peut sous-estimer.

Toujours au titre de ce programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », nous ne pouvons que regretter l’assèchement progressif, puis définitif, de la ligne budgétaire fléchée vers les établissements d’enseignement artistique financés par nos villes et nos départements. Une fois encore, cette décision nous semble symptomatique d’une politique culturelle qui, faute de moyens, ne parvient naturellement pas à atteindre l’objectif affiché de tout sauvegarder et finit par ne plus avoir de priorités clairement définies.

C’est d’ailleurs ce constat, madame la ministre, qui semble caractériser l’ensemble de ce projet de budget. Votre volonté, parfaitement honorable, d’essayer de maintenir tous les domaines d’intervention du ministère de la culture et de la communication, à tout le moins un maximum de lignes budgétaires pour cet exercice 2015, aboutit à ce qui ressemble fort à une politique de saupoudrage !

Le vrai risque pour l’action culturelle dans notre pays est, aujourd’hui, celui d’un long affaissement des ressources, avec une répartition large et inchangée des crédits. Ce modèle conduit à une forme de décrochage général.

En prenant un peu de recul, le principal reproche que l’on peut formuler à l’encontre des propositions budgétaires pour 2015 figurant à la mission « Culture » est donc l’insuffisance de priorisation. C’est la limite des bonnes intentions !

En un mot, le monde de la culture attend des choix et des décisions !

Quant à la nécessaire articulation entre l’État et les territoires, je rappelle que votre prédécesseur, madame la ministre, avait proposé aux collectivités une sorte de contrat moral : le temps des grands investissements étant terminé, les outils de création et de diffusion existant, l’effort serait porté sur le travail de diffusion des grands opérateurs parisiens vers la province. Moins d’investissements, donc, mais une diffusion plus ouverte vers la province. Ce contrat moral reste pour le Sénat, garant de l’équilibre des territoires, une trajectoire recommandable.

Dans ce contexte d’incertitude, vous comprendrez, madame la ministre, le vote défavorable du groupe UDI-UC. §

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