Madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a annoncé la sanctuarisation des crédits de la mission « Culture » pour les trois années à venir. Cette sanctuarisation est, à l’évidence, bienvenue ! Il ne faut effectivement pas oublier qu’elle succède à deux années de coupes sévères dans le budget du ministère. Depuis 2012, les crédits ont été réduits de 147 millions d’euros, soit une chute – inégalée depuis de nombreuses années – de 13 %.
On ne pouvait pas continuer ainsi à agir sur les crédits de la culture pour redresser les finances publiques, sans une remise en cause profonde des politiques publiques financées par les programmes de la mission. Vous comprendrez donc que l’on ne puisse qu’approuver cette respiration.
La culture, vecteur de connaissance, d’épanouissement personnel, de socialisation, est bien évidemment nécessaire à chacun de nos concitoyens. Mais elle occupe aussi un pan non négligeable de l’économie de notre pays. Comme vous le savez, madame la ministre, le secteur culturel est aujourd'hui en pleine évolution, sous l’effet du développement du numérique, et totalise 670 000 emplois, soit 2, 5 % de l’emploi total du pays. Il représente 3, 2 % du PIB en 2014, contre 1, 6 % en 1960.
C’est un secteur qu’il est donc essentiel de soutenir !
Mais, au-delà de la stabilité d’ensemble, un certain nombre de variations sont à noter selon les programmes.
Commençons par les crédits du programme « Patrimoines ».
Certes, ceux-ci connaissent une progression de 0, 6 %, mais les crédits de restauration des monuments historiques de l’État chutent de 7 %. La dotation du Centre des monuments nationaux est comparable à celle de 2014, qui, je le rappelle, avait subi une perte de 3 millions d’euros par la suppression de l’affectation d’une partie de la taxe sur les jeux en ligne.
Les enjeux liés au patrimoine, composante essentielle de la mémoire du pays, mais aussi élément d’attractivité touristique des territoires, justifient que des solutions soient trouvées pour conforter les crédits d’entretien de ce patrimoine, dont, en outre, dépendent aussi de très nombreuses entreprises artisanales. C’est pourquoi je soutiens pleinement l’initiative de notre collègue François de Mazières à l’Assemblée nationale, ayant abouti à l’adoption d’un amendement tendant à affecter au Centre des monuments nationaux le produit d’un tirage du loto par an.
Bien évidemment, les crédits du programme « Patrimoines » vont aussi subir indirectement les mesures annoncées de réduction des dotations allouées aux collectivités territoriales, et ce même si le Sénat a ramené cette baisse de 3, 7 milliards d’euros à 2, 3 milliards d’euros. Vous ne pouvez pas, madame la ministre, ignorer cette situation !
Nous souhaitons également que, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, un bilan soit dressé des dispositions de l’acte II de la décentralisation, mis en œuvre sous la responsabilité de Jean-Pierre Raffarin, en matière de transmission de monuments nationaux à des collectivités locales ou de montée en compétences de différentes régions dans le domaine du patrimoine.
Enfin, sujet déjà évoqué par d’autres orateurs, nous serions désireux d’obtenir des éclaircissements sur la position de l’État quant aux crédits affectés au patrimoine dans le cadre tant des contrats de projets État-région, les CPER, que des programmes européens actuellement en cours de négociation. Il semble que, malgré les interventions des acteurs de terrain dans chacune des régions, pas plus les programmes européens que les CPER ne prévoient une part significative pour le patrimoine.
Je tiens également à dire quelques mots de la situation du patrimoine archéologique.
La très forte progression des crédits correspondants – 124 % – masque les difficultés de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, liées à l’insuffisance de son financement par la redevance d’archéologie préventive.
Nous faisons face, ici, à l’un des très nombreux dysfonctionnements de l’interface CHORUS. Compte tenu des défauts constatés depuis l’origine de ce système, on peut, me semble-t-il, parler d’une véritable « faillite » de l’informatique financière de l’État. Il faudra, à un moment donné, que ce gouvernement ou un autre – le problème dure effectivement depuis des années – puisse dresser un bilan du fonctionnement de ce logiciel, tout particulièrement au regard du retour sur investissement de 800 millions d’euros qui avait été annoncé, en commission, à l’Assemblée nationale et au Sénat voilà quelques années.
S’agissant de l’INRAP, des interrogations demeurent. Ainsi, madame la ministre, peut-être pourrez-vous nous apporter quelques éclaircissements sur la dette accumulée de 50 millions d’euros figurant en page 90 de l’annexe au projet de lois de finances pour 2015 relative aux opérateurs de l’État… Certes, il faut compter avec certaines opérations d’avance de trésorerie, mais la situation est tout de même extrêmement préoccupante !
Nous devons aussi nous interroger sur la mise en concurrence qui était attendue. En effet, le nombre d’opérateurs agréés a diminué au cours de l’exercice écoulé, alors même que certains d’entre eux illustrent parfaitement à quel point il peut être intéressant de disposer d’études dans des délais raisonnables et à de meilleurs coûts.
Posant le problème de l’INRAP, je soulève en fait un sujet d’ensemble, celui de la gouvernance des opérateurs placés sous la responsabilité du ministère de la culture et de la communication. Celui-ci est, avec le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, le principal ministère concerné par le pilotage d’opérateurs, qui, pour certains programmes, comme le programme « Patrimoines », représentent plus de la moitié des crédits.
Or, depuis de très nombreuses années, il est alerté sur les efforts indispensables qu’appelle la gouvernance de ces opérateurs. Je citerai notamment un rapport d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale, datant de 2008, sur la mise en œuvre de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, ou encore un rapport de la Cour des comptes de 2011 consacré aux musées nationaux, constatant un affaiblissement progressif du pilotage par le ministère.
Aujourd'hui, nous ne pouvons pas considérer que le Parlement est suffisamment informé sur le sujet, en particulier au vu des « jaunes » annexés aux projets de loi de finances pour 2015 et pour 2014 sur les opérateurs de l’État, dans lesquels les mêmes imprécisions sont reproduites pour la mission « Culture ».
Je ne citerai que deux exemples, afin de ne pas être trop long.
S’agissant de la Cité de l’architecture et du patrimoine, tout d’abord, le « jaune » relatif à l’exercice 2014 annonce un contrat d’objectifs et de performance, ou COP, en préparation pour la période 2013-2015 ; dans le « jaune » relatif à l’exercice 2015, le document est toujours en préparation. Autrement dit, le COP est en phase d’élaboration depuis deux ans, alors même que son terme est prévu pour 2015 ! Voilà ce qui figure dans les documents remis à la représentation nationale !
Pour ce qui concerne l’établissement public du musée et du domaine national de Versailles, la période couverte par le COP, dans les deux annexes, est close, puisqu’elle court de 2011 à 2013. En outre, aucune information n’est fournie sur la date de signature de la lettre de mission. Nous n’en savons donc rien !
Je ne parle même pas du cas du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou…
Je n’évoque pas des établissements mineurs, mes chers collègues ! Cela montre qu’il existe un véritable problème de gouvernance des opérateurs et, pour le moins, un problème d’information de la représentation nationale.
La question des opérateurs en cache une autre, qui concerne la dérive des coûts.
Le cas de la Philharmonie de Paris a déjà été évoqué. Nous examinerons également avec beaucoup d’intérêt les rapports qui seront rendus par la Cour des comptes sur le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, le MuCEM, dont nous savons déjà, notamment par son rapport d’activité de 2012, qu’il connaît une dérive des coûts. D’ailleurs, comme pour la Philharmonie de Paris, cette dérive est sans doute due à un défaut d’engagement de l’État, puisque, je le rappelle, la création du MuCEM est née de la décision de fermeture du Musée national des arts et traditions populaires de Paris en 2005. Une dizaine d’années après, sans doute le ministère paye-t-il aussi les retards apportés à l’exécution d’un certain nombre de programmes.
Enfin, madame la ministre, je voudrais vous interroger sur un sujet qui nous tient tous deux à cœur, celui des relations avec Google.
Le 10 décembre de l’année passée, votre prédécesseur avait pris la décision de ne pas se rendre à l’inauguration de l’Institut culturel de Google à Paris. Aurélie Filipetti déclarait que, malgré la qualité des projets conduits, elle ne pouvait servir de caution à une opération qui ne levait pas un certain nombre de questions que nous avions à traiter avec Google. Parmi celles-ci figuraient la protection de la diversité culturelle et les droits d’auteurs. On pourrait y ajouter les retours sur investissement et les éventuels droits que pourraient encaisser des établissements publics nationaux, par exemple dans le cadre de la mise à disposition de Google Art Project de leurs collections.
J’aimerais savoir où en est la numérisation, qui pourrait constituer un vecteur de financement et de ressources pour ces établissements publics.
À titre personnel, je voterai les crédits de la mission « Culture » compte tenu de leur sanctuarisation, bien que le groupe UMP ait décidé, dans son ensemble, de les repousser.