Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 1er décembre 2014 à 10h00
Loi de finances pour 2015 — Justice

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les six programmes de la mission « Justice » sont dotés de 7, 94 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 1, 71 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014.

L’article 13 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 prévoit une augmentation de 1, 2 % des crédits de paiement de la mission entre 2014 et 2017, sous l’effet notamment de la poursuite des créations de poste à un rythme prévisionnel de 600 par an. En 2015, la répartition des 600 équivalents temps plein créés s’effectue d’abord dans l’administration pénitentiaire, à hauteur de 528 postes.

Au regard des moyens qui lui sont alloués, la justice apparaît donc bien comme l’une des priorités budgétaires du Gouvernement.

Mais le budget qui nous est soumis et les créations d’emploi proposées doivent être resitués dans le contexte d’une sous-exécution chronique du plafond d’emplois, d’une performance contrastée et d’un retard de la France par rapport aux autres pays européens.

Tout d’abord, à quel niveau se situe notre pays en Europe ? Tous les deux ans, la commission européenne pour l’efficacité de la justice, la CEPEJ, du Conseil de l’Europe publie une étude comparative des systèmes judiciaires des pays européens. Dans la dernière étude, rendue publique le 9 octobre 2014, les comparaisons européennes ne placent la France en 2012 qu’au trente-septième rang sur quarante-cinq pays au regard du critère du budget de la justice conjugué au niveau du PIB par habitant du pays. Le budget alloué à la justice est donc comparativement moins élevé en France que dans les autres pays européens.

Par ailleurs, toujours en 2012, la France comptait moitié moins de juges professionnels que la moyenne des pays du Conseil de l’Europe et quatre fois moins de procureurs. Or non seulement la France compte relativement peu de juges et de procureurs, mais le plafond d’emplois, sur lequel se prononce le Parlement, est sous-exécuté de façon chronique, ce qui pose la question de la sincérité budgétaire. Pour les magistrats, l’écart entre le nombre de magistrats en activité et le plafond d’emplois atteint 1 244 emplois équivalents temps plein travaillés, soit 13, 6 % des emplois.

Dès lors, on ne saurait s’étonner que les performances, telles qu’elles sont retracées dans les documents budgétaires, soient pour le moins contrastées. Les délais moyens de traitement des procédures civiles ont eu tendance à augmenter entre 2012 et 2013. La dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l’objet d’une réponse pénale a augmenté de plus de 8 % entre 2012 et 2013. L’indicateur mesurant le taux d’occupation des places en maison d’arrêt traduit une augmentation de la surpopulation carcérale : il s’établissait à 131 % en 2012 et à 134 % en 2013. La dégradation des conditions de travail et l’insécurité croissante des personnels pénitentiaires se mesurent par l’augmentation, entre 2012 et 2013, du nombre d’évasions et du taux d’agression contre le personnel ayant entraîné une interruption temporaire de travail.

Dès lors, je m’interroge sur les écarts entre les ambitions politiques du Gouvernement et les moyens qui sont alloués au service public de la justice. Ainsi, la montée en charge progressive, sur trois ans, des effectifs dans les juridictions d’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation paraît en décalage avec le surcroît immédiat de charge de travail résultant de la mise en place de la contrainte pénale par la loi du 15 août 2014.

Enfin, plusieurs postes de dépenses semblent une nouvelle fois sous-dimensionnés dans le projet de loi de finances pour 2015.

Les frais de justice pour 2015, qui s’élèvent à 449, 9 millions d’euros, sont encore sous-évalués. Ils sont inférieurs de plus de 120 millions d’euros à la prévision d’exécution 2014, malgré les économies réalisées pour freiner leur augmentation.

Dans l’attente d’une réforme du financement de l’aide juridictionnelle, qui pourrait intervenir en 2015 et qui devra associer l’ensemble des acteurs, l’article 19 du projet de loi de finances pour 2015 prévoit un financement complémentaire par des crédits extrabudgétaires.

L’effort accompli dans le domaine de l’administration pénitentiaire est certes appréciable, mais l’objectif de 63 500 places de prison, sur lequel se fondait la programmation triennale 2013-2015, a été reporté à 2019, ce qui ne permettra pas de mettre en œuvre le principe d’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt. Le solde annuel net moyen de créations de 762 places sur la durée du quinquennat 2013-2017 est par ailleurs inférieur de plus de moitié au solde net annuel de création de places entre 2008 et 2012.

J’en viens maintenant aux articles rattachés à la mission « Justice ».

L’article 56 vise à augmenter le montant du droit de timbre dû en appel, ainsi qu’à en allonger la durée de perception, afin de financer les indemnités dues aux avoués dont l’office a été supprimé. Cet article tire les conséquences d’une sous-évaluation des dépenses et d’une surévaluation des recettes.

L’article 56 bis tend à différer de deux années supplémentaires l’entrée en vigueur de la collégialité de l’instruction.

La collégialité de l’instruction est un serpent de mer des réformes de la justice, dont le principe a déjà été voté à quatre reprises : en 1985, en 1987, en 1993 et en 2007.

Ce principe n’a cependant pu être mis en œuvre faute de moyens suffisants. La collégialité systématique de l’instruction exigerait en effet la création d’environ 300 postes de magistrats. Ce ne sera jamais que le quatrième report de l’entrée en vigueur du principe de collégialité de l’instruction prévu par la loi du 5 mars 2007. Toutefois, un projet de loi devrait prochainement être débattu au Parlement.

L’article 56 ter tend à reporter de deux années supplémentaires l’entrée en vigueur de la suppression des juridictions de proximité. Comme pour l’article 56 bis, des consultations sont en cours en vue d’un débat parlementaire

Enfin, l’article 56 quater a pour objet de reconnaître le caractère discriminatoire et abusif du licenciement pour faits de grève des mineurs grévistes en 1948 et en 1952, et de leur verser, ainsi qu’à leurs ayants droit, une allocation forfaitaire. La commission des finances a été favorable à cet article dans la mesure où il répond à une situation spécifique et permet de clore un contentieux ancien. Mais il est regrettable que le coût de cette mesure pour les finances publiques, bien qu’il soit limité, soit imputé sur les crédits d’aide juridictionnelle dont bénéficient les plus pauvres de nos concitoyens.

Au final, et sous le bénéfice de ces différentes observations, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d’adopter sans modification les crédits de la mission « Justice », qui correspond à la mise en œuvre d’une politique régalienne, ainsi que les articles 56, 56 bis, 56 ter et 56 quater rattachés. §

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