Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les services judiciaires n’échappent plus à la rigueur budgétaire. Après avoir été préservés quelque temps, ils prennent leur part dans la politique nécessaire de réduction des déficits publics.
Nous sommes conscients que la situation des finances publiques n’est pas florissante, mais il faut faire attention à ne pas prendre en tenaille les juridictions en accumulant sur leur tête les réformes et en réduisant parallèlement leurs moyens. La justice est un service essentiel pour le bon fonctionnement de notre société. Elle est servie par des magistrats, des greffiers et autres agents qui ont un grand sens du service public, mais qui doivent, depuis des années, mettre en œuvre de nombreuses réformes législatives ou organisationnelles sans toujours en avoir les moyens. Dans le contexte budgétaire et financier qui est désormais le nôtre, il me paraît primordial de ne pas créer d’espoirs prématurés qui décourageraient ceux qui les soutiennent.
J’ai développé dans mon rapport pour avis un sujet particulier de préoccupation. Le budget que vous proposez pour les services judiciaires, madame la garde des sceaux, présente en effet une particularité. Le schéma d’emploi est stable, mais la dotation budgétaire correspondante baisse de 26 millions d’euros. Cela témoigne de la sous-consommation récurrente de ce plafond d’emplois, ainsi que du nombre élevé de postes laissés vacants.
Jusqu’à présent, les emplois non consommés étaient partiellement convertis en emplois de vacataires ou de contractuels, ce qui soulageait les juridictions. Mais cette baisse de 26 millions d’euros risque de limiter fortement une telle possibilité. Madame la garde des sceaux, je pose la question : qu’en sera-t-il exactement ? Les services judiciaires auront-ils en 2015 les moyens en personnels nécessaires pour faire face à l’ensemble de leurs missions ?
La question des moyens se pose à l’identique pour les frais de fonctionnement. En dépit des dégels et des économies réalisées, la dotation reste en deçà de ce qui serait nécessaire, compte tenu du rythme annuel de consommation constaté jusqu’à présent : on a évoqué une sous-dotation potentielle de 110 millions d’euros, compte tenu des besoins constatés !
Le Gouvernement espère certes réaliser de substantielles économies grâce à une meilleure maîtrise des frais de justice. Il compte notamment économiser 30 millions d’euros grâce à la plateforme nationale des interceptions judiciaires. Toutefois, j’observe que le déploiement de cette plateforme a pris du retard et que le décret nécessaire n’a été signé que le 9 octobre dernier.
Je note également que des retards de paiement de sommes dues à des auxiliaires de justice commencent à réapparaître dans certaines cours d’appel, avec le risque de nous trouver à nouveau dans la situation que nous avons connue avant le passage à la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances : des factures s’entassaient dans des tiroirs et des auxiliaires de justice refusaient parfois d’intervenir faute d’être payés dans des délais raisonnables.
La réforme de la justice, dite « Justice du 21e siècle », suscite beaucoup d’attentes en même temps que des craintes sur les conditions de sa mise en œuvre. Vous avez choisi, madame la garde des sceaux, de renoncer au bouleversement annoncé et de privilégier plutôt une approche pragmatique et progressive, qui mette d’abord l’accent sur l’accessibilité de la justice pour le justiciable. Je m’en félicite, car cela correspond à l’approche que Virginie Klès et moi-même avions défendue à l’époque.
Vous annoncez notamment un service d’accueil universel, nouvel avatar du guichet universel de greffe ou du guichet unique. Cela me paraît positif. Toutefois, j’attire votre attention sur un point : aucune réforme ne peut être acceptée si les moyens nécessaires ne sont pas mis en face. Dans ce cas particulier, il faut faire du logiciel Portalis une priorité absolue.
Madame la garde des sceaux, le budget des services judiciaires a manifestement été soumis à un coup de rabot – cela peut se comprendre dans le contexte actuel des finances publiques –, la priorité ayant été donnée à la politique pénitentiaire. Mais la France ne peut pas se permettre d’avoir une justice au rabais.
Estimant toutefois que la justice s’en sortait mieux que d’autres missions dans ce budget – heureusement ! –, la commission des lois a malgré tout émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » relatifs à la justice judiciaire et à l’accès au droit. §