Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres sont éloquents : plus de 2 700 000 affaires nouvelles instruites par la justice civile, près de 1 304 000 affaires poursuivables pour la justice pénale, près de 104 000 affaires relatives à des mineurs en danger dont les juges des enfants ont été saisis, 1 060 000 demandes d’aide juridictionnelle chaque année et 175 762 affaires nouvelles qui arrivent devant les seuls tribunaux administratifs.
Ces chiffres éloquents révèlent l’ampleur de la tâche de la mission « Justice », qui recouvre les juridictions administrative, financière et judiciaire. Le groupe du RDSE salue ainsi l’effort budgétaire largement justifié en faveur de cette prérogative régalienne ainsi que l’annonce de 1 834 recrutements sur les trois années à venir
Le sujet est vaste et les pistes de réforme de la justice sont innombrables. Je me pencherai plus particulièrement sur la thématique de l’accès à la justice.
Aujourd’hui, l’accès à la justice n’est plus garanti pour l’ensemble de nos concitoyens.
Madame la garde des sceaux, nous souhaitons attirer une nouvelle fois votre attention sur l’épineuse question de l’aide juridictionnelle. Le système actuel ne garantit plus un égal accès de tous à la justice. Le seuil de ressources fixé pour bénéficier de l’aide juridictionnelle, soit 936 euros mensuels, se situe aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, qui atteint 977 euros mensuels, sachant que, en métropole, le niveau de vie médian s’élève à 1 695 euros pour les hommes et à 1 429 euros pour les femmes.
L’aide juridictionnelle, qui met en œuvre l’un des piliers de notre société, le principe de l’accès au droit, n’a donc plus la capacité financière de jouer son rôle, dans un contexte où le nombre d’admissions au bénéfice de l’aide a quasiment triplé depuis vingt-cinq ans. Des difficultés peuvent aujourd’hui être identifiées à plusieurs niveaux : du côté des justiciables, puisque les plafonds retenus excluent les classes moyennes, qui sont une nouvelle fois lésées par les effets de seuil ; du côté des avocats, puisque la rétribution des missions au titre de l’aide juridictionnelle ne permet même pas de couvrir le coût du fonctionnement d’un cabinet individuel généraliste ne bénéficiant pas d’un secrétariat.
Je rappelle ici la proposition de notre ancien collègue Roland du Luart, qui, en 2007, préconisait d’impliquer l’ensemble de la profession d’avocat dans le bon fonctionnement de l’aide juridictionnelle. Il constatait alors que moins de 10 % des avocats – 400 sur 45 000 –assuraient 64 % des missions d’aide juridictionnelle. En laissant le choix entre la « participation temps » et la « participation financière », le dispositif proposé permettait de lever l’hypothèque sur les différences de spécialisation, tout en promouvant un principe de solidarité.
En 2009, la commission Darrois avait, pour sa part, envisagé un recrutement, par les barreaux, d’avocats spécialement chargés de l’aide juridictionnelle.
Du côté du financement public, enfin, il est à noter qu’à la suite de la suppression, par la loi de finances pour 2014, du droit de timbre de 35 euros, qui était imposé à tout justiciable sans condition de ressources, l’État devient le seul contribuable. Cette contribution juridique était, en effet, susceptible de limiter le droit d’accès au juge, mais il convient aujourd’hui de combler un manque à venir de 60 millions d’euros.
Des mesures d’urgence doivent être prises. Le rapport de mon collègue Jacques Mézard consacré à ce sujet préconise de relever le plafond d’admission à cette aide au niveau du SMIC net. Nous pensons qu’il s’agit d’une priorité aujourd’hui.
D’autres mesures, de bon sens, ont été avancées dans le même rapport : l’augmentation des droits d’enregistrement pour contribuer au financement de l’aide juridictionnelle, le traitement dématérialisé des dossiers d’aide, la simplification des formalités à accomplir par le demandeur lorsqu’une même affaire donne lieu à plusieurs procédures ouvrant chacune droit à l’aide juridictionnelle, ainsi que la mutualisation opérationnelle des caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats, les CARPA, et l’amélioration de l’information concernant l’aide juridictionnelle.
La question de l’accès à la justice recoupe aussi celle du maintien du maillage judiciaire sur tout le territoire, notamment dans les départements ruraux.
Comme le soulignait le rapport du Sénat dédié au bilan de la réforme de la carte judiciaire, « la logique comptable l’a emporté, au profit de suppressions nettes de postes, sans que les besoins en effectifs suscités par d’autres réformes soient satisfaits comme ils auraient dû l’être ».
Vous avez donc, madame la garde des sceaux, souhaité revenir sur la réforme pour le moins désastreuse de la carte judiciaire, qui a conduit à amplifier le phénomène de désertification judiciaire.
Vous avez ainsi récemment décidé de rouvrir le tribunal de grande instance de Tulle ; ceux de Saint-Gaudens, en Haute-Garonne, et de Saumur vont également reprendre du service. Nous saluons cette initiative !
Toutefois, le maillage judiciaire tient aussi au maintien de celui des professions judiciaires réglementées à un niveau suffisant et homogène sur le territoire national. Le projet de postulation régionale menace aujourd’hui les cabinets d’avocats de petite ou moyenne taille et pourrait entraîner une désertification de certains territoires. Sa mise en œuvre réduirait aussi le nombre d’avocats dans certains TGI et ferait peser sur eux toutes les obligations en matière d’aide juridictionnelle, de permanences pénales, de commissions d’office et de gardes à vue. La paupérisation de la profession, déjà largement engagée, serait alors confirmée. Le risque en termes de déséquilibre des territoires serait grand ; c’est la raison pour laquelle nous vous demandons, madame la garde des sceaux, quelles sont vos intentions en la matière.
Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, les membres du groupe du RDSE soutiendront l’adoption des crédits de la justice.