Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur spécial, madame, messieurs, les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je souhaite, tout d’abord, saluer la volonté du Gouvernement de faire en sorte que le budget de la justice reste prioritaire pour l’année 2015. Cette priorité se traduit par des crédits et des plafonds d’emplois en hausse. Compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, cela mérite d’être salué.
Notre justice, en effet, vient de loin : elle compte deux fois moins de juges que la moyenne des pays du Conseil de l’Europe, quatre fois moins de procureurs, un budget par habitant de 61 euros, contre 114 euros en Allemagne, 96 euros en Angleterre ou 77 euros en Italie. Voilà des chiffres qui font mal à notre ambition de faire de la France un pays de justice, un pays garantissant l’efficacité et l’accessibilité de la protection du droit pour chaque citoyen.
Les crédits de paiement s’établissent à 7, 9 milliards d’euros pour 2015, soit une hausse d’un peu moins de 2 % par rapport à 2014. Les autorisations d’engagement, elles, sont en forte augmentation, puisque des renouvellements de marchés de services délégués pour l’administration pénitentiaire interviendront en cours d’exercice et affecteront le budget au cours des sept prochaines années.
Au-delà de la création de 600 emplois, dont 528 dans l’administration pénitentiaire, le Gouvernement se donne également les moyens de mettre en œuvre la loi du 15 aout 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
S’agissant, d’abord, de l’application de la réforme pénale, les 3, 4 milliards d’euros qui seront consacrés à l’administration pénitentiaire en 2015, en hausse de 5, 2 %, permettront l’augmentation des effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation, à hauteur de 25 % d’ici à 2017, afin d’assurer l’effectivité des mesures mises en place par la loi, en particulier le suivi des contraintes pénales et des personnes bénéficiant d’un bracelet électronique. L’augmentation des effectifs accompagnera progressivement, au cours de ces années, les effets de la mise en œuvre de la réforme pénale.
Il était aussi indispensable que les moyens financiers nécessaires au milieu fermé puissent être budgétés. Tel est bien le cas avec la création de nouvelles places dans les établissements pénitentiaires et les crédits destinés au recrutement de personnels. Mais cela ne permettra pas d’atteindre, tant s’en faut, l’objectif de l’encellulement individuel évoqué par notre collègue Jean-René Lecerf.
La surpopulation carcérale, surtout en outre-mer, est une atteinte à la dignité des personnes que nous ne pouvons accepter.
Cette surpopulation ne permet pas à l’administration pénitentiaire de remplir correctement ses missions. L’évolution des contentieux sur les conditions de détention et les positions de la Cour européenne des droits de l’homme pourraient, si nous n’allouons pas des moyens suffisants, conduire un jour à justifier des aménagements de peine en raison des conditions de détention. C’est un risque qu’il ne faut pas négliger et qui doit nous inciter à concentrer nos efforts sur l’amélioration des conditions de détention.
Je partage donc l’ambition de Mme la garde des sceaux de « poursuivre l’amélioration quantitative et qualitative du parc pénitentiaire », avec notamment la création nette de 2 900 places prévue entre 2015 et 2017.
Je me permets de saluer ici l’action du contrôleur général des lieux de privation de liberté et la manière avec laquelle l’administration pénitentiaire tente de remédier aux dysfonctionnements qu’il a pu constater au cours de ses missions.
Signalons aussi que le personnel pénitentiaire bénéficiera l’an prochain de mesures catégorielles à hauteur de plus de 13 millions d’euros. Il faudra aussi répondre aux inquiétudes des directeurs d’établissement pénitentiaire, qui exercent une fonction difficile, soumise à de nombreuses astreintes, qui permet souvent d’aller ensuite faire carrière ailleurs dans l’administration, mais qui n’attire pas beaucoup.
J’aimerais enfin saluer le travail effectué depuis deux ans pour sortir du piège que représentaient les partenariats public-privé, les PPP. En effet, comme le montrait un rapport de la Cour des comptes de 2011, la mise en œuvre des programmes de construction de prisons prévus, qui recouraient systématiquement à ce type de contrats, aurait conduit à asphyxier totalement le budget de l’administration pénitentiaire, par le paiement des loyers dus. Il est bon de mettre fin à cette tendance, car sinon le budget actuel de l’administration pénitentiaire ne suffirait pas. Or la mission de cette administration n’est certainement pas de se contenter de déverser des tonnes de ciment sur les prévenus et les condamnés.
Enfin, c’est à l’administration pénitentiaire qu’échoit la mission d’empêcher toute radicalisation en prison. L’actualité nous montre combien ce sujet est sensible. Pourtant, c’est bien la connaissance des textes religieux, la réflexion individuelle puis partagée et le développement de l’esprit critique qui procurent la force personnelle de réagir contre les tentatives d’endoctrinement et de manipulation de la religion à des fins mafieuses. C’est la raison pour laquelle le nombre très insuffisant d’intervenants au titre de la religion musulmane dans les prisons est particulièrement préoccupant.
S’agissant, ensuite, de l’accès de nos citoyens au droit et à la justice et de la protection des victimes, il faut constater que 17 millions d’euros sont consacrés, pour l’année 2015, à l’aide aux victimes, soit une augmentation de 22 % des crédits par rapport à 2014, et de plus de 65 % depuis 2012 ! Ces sommes sont destinées à doter tous les tribunaux de grande instance, d’ici à la fin de 2015, d’un bureau d’aide aux victimes.
L’État se réapproprie ainsi son rôle, trop longtemps délégué exclusivement aux associations, qui font d’ailleurs un travail formidable dans ce domaine. Cet effort budgétaire se traduira également par la généralisation, d’ici à la fin de l’année prochaine, de l’évaluation personnalisée de la situation des victimes d’infractions, et par la mise en place « à grande échelle » d’expérimentations de mesures de justice restaurative, permettant à l’auteur de l’infraction de participer activement à la réparation du préjudice, aux côtés de la victime.
Dans la perspective d’un égal accès de toutes et tous à la justice, je salue aussi l’engagement de la nécessaire réforme de l’aide juridictionnelle, prévu à l’article 19 de ce projet de loi. Ce premier pas, qui permet de dégager 43 millions d’euros de plus pour l’aide juridictionnelle, est en cohérence avec le rapport de nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard. Je me félicite du vote, la semaine passée, de cet article par notre assemblée, qui souligne la continuité de la position du Sénat sur cette question. Mais ce n’est qu’un début, car les besoins vont croissant, et les 43 millions d’euros nouveaux de taxes affectées risquent de ne pas suffire au regard des 336 millions d’euros prévus, alors que les dépenses effectives en 2012, dernière année connue à ce jour, ont été de 368 millions d’euros.
Pourtant, cette réforme constitue un enjeu majeur, car il y va de l’accès au droit. Qu’est-ce que la justice, si elle n’est pas accessible à tous ? La loi est-elle, par principe, au service du plus fort ? Cela, c’est la négation de la justice ! Nous nous mobiliserons pour la poursuite de cette réforme.
S’agissant, enfin, de la justice des mineurs, le projet de loi de finances prévoit 778 millions d’euros pour la protection judiciaire de la jeunesse, le financement de près de soixante nouveaux emplois et de vingt-cinq opérations de rénovation d’établissements éducatifs. Cet effort mérite d’être souligné dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons actuellement.
L’année 2015 devrait être marquée par un projet de réforme globale de l’ordonnance de 1945 relative aux mineurs délinquants. Il était temps ! En effet, depuis 2002, neuf lois sont venues modifier de façon éparse la justice des mineurs, sans appréhender celle-ci dans son ensemble.
Je souhaite, d’ores et déjà, aborder un point qui m’avait frappé lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la récidive. Afin de garantir la continuité des parcours des jeunes confiés à la protection judiciaire de la jeunesse par l’autorité judiciaire, il sera nécessaire de prendre en compte la situation particulière des jeunes majeurs délinquants. Il semble en effet anormal qu’un jeune mineur passe d’un suivi adapté, assuré par un éducateur pour cinq mineurs, à un encadrant pour quatre-vingts adultes environ le jour suivant sa majorité. La continuité du suivi devra pouvoir être assurée au moins durant une période transitoire.
Avant de conclure, madame la ministre, je souhaiterais encore évoquer deux questions.
Premièrement, si l’on peut se satisfaire de la croissance du nombre d’équivalents temps plein annoncée – 600 pour la mission « Justice » –, ces postes nouveaux sont-ils réellement financés ? Comment les pourvoir avec vos crédits, madame la ministre, compte tenu des besoins de formation préalable pour chacun des métiers ?
Deuxièmement, la presse se fait actuellement l’écho des conditions de réalisation des écoutes judiciaires et du passage à une plate-forme nationale des interceptions judiciaires confiée au secteur privé, en lieu et place des contrats actuels. Pourriez-vous, madame la ministre, nous indiquer comment, tant sur le plan financier que sur le plan du respect de la nécessaire confidentialité de ces opérations, vous entendez faire évoluer le système ?
En conclusion, le projet de budget de la justice pour 2015 semble donc être, sur tous les points que j’ai évoqués, cohérent avec les orientations annoncées par le Gouvernement et la réforme pénale que nous avons votée. Il manifeste le souci de préserver le service public de la justice et engage une réforme de l’aide juridictionnelle, cela dans une situation budgétaire difficile. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste votera les crédits de cette mission.