Intervention de Michel Magras

Réunion du 1er décembre 2014 à 10h00
Loi de finances pour 2015 — Justice

Photo de Michel MagrasMichel Magras :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour cet examen des crédits de la mission « Justice », je procéderai en deux temps.

Je ferai d'abord une analyse dite « quantitative », car on ne peut s’en dispenser. L’analyse des crédits de la mission met en évidence un effort réel en faveur de l’administration pénitentiaire, malgré une enveloppe globale stable. L’observation des crédits de paiement et des autorisations d’engagement de la mission fait apparaître une légère hausse des moyens – 133 millions d’euros supplémentaires en crédits de paiement – attribués aux différents programmes. Nous convenons donc que les moyens financiers accordés à la mission ont été sanctuarisés. C’est la conclusion à laquelle arrive le rapporteur ; je la partage sans difficulté aucune.

Cependant, une analyse plus détaillée s’impose, notamment en ce qui concerne la répartition des crédits. Le Gouvernement s’est lancé un défi, celui de faire un effort significatif en matière d’effectifs de l’administration pénitentiaire sans dévier de la trajectoire financière issue de la loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 et de sa programmation triennale.

Si le seul objectif du Gouvernement tient à cette simple équation, on peut dire sans crainte que le contrat est rempli. En effet, le projet de loi de finances prévoit une augmentation de 528 équivalents temps plein des effectifs de l’administration pénitentiaire en 2015. Néanmoins, comme souvent lorsque l’on se fixe ce type d’objectif numérique, un rééquilibrage doit s’opérer. Celui-ci se fera par une baisse des crédits du programme « Justice judiciaire », de l’ordre de 5, 5 % en autorisations d’engagement et de 1 % en crédits de paiement. Voilà, je le crois, ce qui doit être dit sur le plan comptable.

J’aimerais maintenant mettre en perspective ces arbitrages avec les défis qui attendent l’institution judiciaire, à savoir la croissance de la population carcérale et l’application des réformes judiciaires.

S'agissant de la croissance de la population carcérale, un constat s’impose : la France connaît depuis plusieurs décennies un phénomène de surpopulation carcérale. À l’exception de la période 1997-2002, cela fait près de vingt-cinq ans qu’il existe un écart supérieur à 10 000 entre le nombre de personnes écrouées et le nombre de places de prison. La brève adéquation entre nombre de détenus et nombre de places de prison au cours de la période 1997-2002 était due à un net tassement de la population carcérale, qui était alors inférieure à 45 000 détenus.

Bien évidemment, c’est le nombre de places de prison qui doit être la variable d’ajustement. Or c’est la dernière hypothèse privilégiée par le Gouvernement. C’est en tout cas le constat que je fais en écoutant ceux qui ont cru raisonnable de ne pas adopter un nouveau moratoire sur l’encellulement individuel.

Je ne reviendrai pas sur la chronologie ni sur les derniers épisodes qui ont agité ce débat. Je reprendrai tout de même à mon compte la remarque faite par Michèle Alliot-Marie, alors garde des sceaux, et citée dans le rapport d’information publié le 24 novembre dernier par notre collègue député Jean-Jacques Urvoas : « Énoncer le principe de l’encellulement individuel, cela n’est acceptable […] que si cela est réalisable. »

Pour ma part, je le dis clairement, je suis favorable à l’encellulement individuel, malgré les réserves qui peuvent être exprimées quant aux difficultés de réinsertion, les risques me semblant largement surévalués. Cependant, en dépit des bienfaits indiscutables de l’encellulement individuel, il faut reconnaître que nos prisons ne pourront pas faire face à cette exigence. Dans ces conditions, de deux choses l’une : soit le Gouvernement repousse l’application de l’encellulement individuel, soit il n’adopte pas de moratoire, et alors nous ne pourrons plus emprisonner que 49 681 détenus, puisque c’est le nombre de cellules dont nous disposons.

Dans ce second cas, nous n’aurons pas d’autre choix que de développer massivement les remises de peine, les aménagements de peine ou les peines avec sursis, ainsi que de favoriser la contrainte pénale, récemment instaurée. Ces mesures devront concerner environ 16 000 détenus, environ 66 000 personnes étant écrouées aujourd'hui.

Voilà, en quelques mots, pourquoi le moratoire visant à repousser l’entrée en vigueur du principe de l’encellulement individuel doit être adopté.

J’en viens maintenant à la mise en place de la réforme pénale.

Le débat sur les conditions de vie carcérale doit être mis en perspective avec la création de la contrainte pénale par la loi du 15 août 2014. Le rapport fait état d’un surcroît immédiat de charge de travail pour l’institution judiciaire à cause de l’entrée en vigueur du nouveau dispositif. Plus important sans doute, en supprimant les mécanismes automatiques limitant les possibilités d’individualisation des peines et en instaurant une nouvelle peine de contrainte pénale en milieu ouvert, la loi semble servir bien maladroitement la cause qu’elle est supposée défendre.

En théorie, cette loi devait répondre à un double objectif : éviter la récidive et lutter contre la surpopulation carcérale. Or j’ai bien peur que cet objectif de lutte contre la récidive ne soit qu’un paravent. La lecture des autres dispositions de la loi conforte cette impression. Pour ma part, je n’aurai de cesse de dénoncer l’obligation, pour le juge, de motiver spécialement sa décision de prononcer une peine d’emprisonnement. Il semble donc que le respect du code pénal puisse, au nom de la lutte contre la surpopulation carcérale, connaître quelques exceptions.

J’espère qu’un prochain moratoire viendra me prouver que j’avais tort de penser que, derrière les nobles préoccupations affichées en matière de lutte contre la récidive, cette loi n’était qu’un moyen de rompre avec la fable du « tout-carcéral ».

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les crédits de la mission « Justice » ne soulèvent pas de difficultés insurmontables à nos yeux. En revanche, nous sommes plus que jamais inquiets de la manière dont la loi du 15 août 2014 instaurant la contrainte pénale trouvera à s’intégrer dans notre système judiciaire, et cette inquiétude ne fait que s’accroître avec la non-adoption du moratoire visant à repousser l’entrée en vigueur du principe de l’encellulement individuel.

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