Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier tous les orateurs de la très grande qualité de leurs interventions, qui témoignent qu’ils ont scruté ce projet de budget avec autant de rigueur que de bienveillance. Ils ont pris le temps d’examiner la continuité et la cohérence de l’action de mon ministère, ainsi que les priorités retenues.
Le cadre budgétaire est contraint. L’examen de ce projet de loi de finances à l’Assemblée nationale a conduit le Gouvernement à effectuer de nouveaux efforts de réduction des dépenses, à hauteur de 900 millions d’euros, pour financer les mesures en faveur du Fonds de compensation de la TVA, des collectivités territoriales, de l’accompagnement de la réforme des rythmes scolaires et des emplois aidés. Le budget de la justice a été mis à contribution. Il me paraît logique qu’il participe à l’effort collectif, même si nous réaffirmons avec force, comme vous, la nécessité de considérer la mission « Justice » comme prioritaire, parce qu’elle relève des missions régaliennes de l’État et que, dans une période de difficultés économiques où les rapports économiques et sociaux deviennent plus rudes, il est important que l’institution judiciaire soit en mesure de répondre aux besoins croissants des citoyens en matière de justice.
Pour ces raisons, les crédits du ministère de la justice doivent demeurer une priorité. Telle est bien la conception du Gouvernement : la contribution demandée à mon ministère reste modeste, puisqu’elle s’établit à 40 millions d’euros. J’ai veillé à répartir cet effort de façon que les priorités du ministère ne soient pas fragilisées.
Du fait de cet effort de 40 millions d’euros, le budget du ministère de la justice augmente de 1, 7 %, au lieu de 2, 3 %. Quoi qu’il en soit, il progresse, alors que d’autres ministères sont fortement mis à contribution. Même si je me réjouis bien sûr de cette augmentation de nos moyens, je dois rappeler qu’elle n’est possible que parce que la puissance publique consent des sacrifices dans d’autres domaines.
Le ministère de la justice créera, dans le cadre de la programmation triennale des finances publiques, 1 834 emplois. Comme je l’ai expliqué devant la commission des lois, il faut toutefois tenir compte du temps nécessaire à la formation : trente et un mois pour les magistrats, une vingtaine pour les greffiers et les personnels pénitentiaires. Cela induit un temps de latence, qui explique partiellement, avec l’insuffisance des créations d’emplois pendant le quinquennat précédent, la sous-consommation du plafond d’emplois.
Pendant les trois années précédant notre arrivée aux responsabilités, à peine une centaine de postes de magistrat avaient été ouverts, alors qu’il aurait fallu en créer au moins 300 chaque année, ne serait-ce que pour commencer à combler les vacances et compenser les départs à la retraite.
Depuis 2012, nous ouvrons 300 postes chaque année, mais je dois avouer que nous avons affronté des difficultés la première année, parce que nous avons eu moins de candidats que nous ne le souhaitions. Il m’avait alors été proposé d’abaisser le niveau du concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature, sans conteste l’un des plus beaux et des plus difficiles de la République. J’avais répondu qu’il n’en était pas question, compte tenu de l’importance et du poids de la mission des magistrats. Nous avons mené pendant deux ans une campagne de sensibilisation, en mobilisant les facultés de droit et les instituts d’études judiciaires. Nous sommes récompensés de nos efforts depuis deux promotions, avec un très bon niveau de recrutement des auditeurs de justice et une diversification de ce dernier, par le biais des classes préparatoires et des autres formes de concours. Tous les postes que nous ouvrons seront pourvus, de sorte que nous pourrons constater un solde d’emplois positif à partir de 2015 : le nombre des magistrats entrant dans la carrière sera supérieur à celui des magistrats partant à la retraite. Les vacances de poste augmentent, certes, mais par un effet mécanique : durant le temps de la formation, les postes sont identifiés comme vacants.
Les 1 834 créations de poste concernent donc la magistrature, les greffiers et, surtout, l’administration pénitentiaire, pour laquelle nous avons consenti un effort particulier. Nous avons constaté que 534 postes inscrits dans les lois de finances précédentes n’avaient pas été créés : en plus de créer 500 postes nouveaux chaque année, nous allons donc créer 534 postes en trois ans, qui seront directement affectés aux coursives. Cette année, 200 surveillants supplémentaires ont été recrutés à ce titre, et leur formation a commencé dès le mois de septembre.
Nous aurions aimé faire davantage dans certains domaines, par exemple prolonger l’effort de recrutement d’aumôniers musulmans engagé ces deux dernières années. Cette année, nous mettons l’accent sur leur formation et sur l’organisation de leur intervention dans les établissements pénitentiaires.
Je pourrais évoquer d’autres secteurs pour lesquels j’aurais voulu faire plus, mais il me paraît surtout important de souligner l’intelligibilité et la cohérence de ce projet de budget, que nous avons structuré autour de quatre axes prioritaires.
Le premier de ces axes consiste à rendre effectives les réformes que le Gouvernement vous a présentées et que vous avez votées, telles que la loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales ou la loi relative à l’hospitalisation sous contrainte. Certains d’entre vous ont évoqué le report, une fois de plus, de la réforme de la collégialité de l’instruction. Ce report est indépendant de la volonté du Gouvernement, dans la mesure où le projet de loi a été présenté en conseil des ministres au cours du premier trimestre de 2013 et transmis à l’Assemblée nationale. Je suis fort marrie qu’il ne soit toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement… À la fin de 2013, j’ai défendu un amendement tendant à différer les effets de la loi de 2007, en espérant que le projet de loi serait discuté et adopté dans le courant de l’année 2014. Je croyais avoir pris une marge de précaution plus que suffisante en prévoyant un report d’un an, mais un nouveau report s’est malheureusement avéré nécessaire ; j’en suis profondément désolée.
Le deuxième axe de ce budget consiste à rendre possibles les dispositions prévues dans la réforme de la justice civile que vous avez encouragée au travers de vos rapports et de votre implication dans les groupes de travail et les rencontres organisées sur l’initiative du ministère de la justice, notamment le grand débat national qui s’est tenu à l’UNESCO.
Le troisième axe concerne l’amélioration de l’accès au droit et à la justice.
Le quatrième axe a trait à la reconnaissance des compétences et du dévouement des personnels de justice par le biais d’un certain nombre de mesures catégorielles, mais aussi à la modernisation des méthodes et moyens de travail, en particulier par des efforts en matière d’équipement informatique. Nous consacrons ainsi 92 millions d’euros à moderniser ou à instaurer de nouvelles applications informatiques dans le domaine des interceptions judiciaires, bien entendu, mais également dans le domaine civil, avec l’entrée en service à la fin de 2015 de la première version du système d’information Portalis, dans le domaine pénal, avec la finalisation du dispositif Cassiopée, dans le domaine pénitentiaire, avec l’application GENESIS pour la gestion des détentions, et pour le casier judiciaire, avec l’application ASTREA.
En ce qui concerne la réforme pénale, certains d’entre vous ont souligné les efforts effectués par le Gouvernement et la cohérence de ses choix : je les en remercie. MM. Lecerf et Sueur ont rappelé que notre engagement de créer un millier de postes dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation est en voie d’être tenu, puisque les recrutements ont commencé dès 2014. Nous augmentons en outre le budget des SPIP de 10 %, de façon à leur assurer de bonnes conditions de fonctionnement. Nous créons également les postes de magistrat et de greffier nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme : une quarantaine de postes de magistrat sont créés dès 2015, et dix-sept le seront en 2016.
Par ailleurs, nous créons tous les postes rendus nécessaires par l’application des autres textes que j’ai évoqués. Il s’agit de donner aux juridictions les moyens nouveaux nécessaires à leur fonctionnement.
Vous êtes très sensibles aux conditions de fonctionnement des juridictions, sur lesquelles vous appelez régulièrement mon attention. Je rappelle que nous avons stabilisé ce budget et obtenu, il y a quelques jours, le dégel de la totalité de la part du budget qui avait été mise en réserve, de sorte que nous pouvons affecter un peu plus de 15 millions d’euros supplémentaires aux dépenses de fonctionnement.
Nous prenons en outre des dispositions pour maîtriser les frais de fonctionnement, grâce notamment à la plate-forme d’interceptions judiciaires, à la rationalisation des dépenses de médecine légale et à la réduction des frais d’affranchissement, que vous avez permise en modifiant le code de procédure pénale pour introduire la communication électronique.
Je vois les aiguilles de l’horloge tourner à une vitesse impitoyable, encore un peu plus vite que d’habitude. §Je vais donc accélérer !
En ce qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse, nous avons enrayé l’hémorragie d’emplois. Alors que 632 emplois avaient été supprimés durant les trois dernières années du précédent quinquennat, nous en avons créé 205 dès notre première année aux responsabilités. Surtout, nous avons fait un effort, cette même année, pour résorber les créances du secteur associatif habilité à l’égard de l’État, lequel avait pris l’habitude de vivre à crédit à ses dépens, ce qui pesait sur sa capacité d’action. Cela explique le léger tassement du budget de la PJJ.
En ce qui concerne l’aide aux victimes, nous avons fourni un effort continu depuis le début du quinquennat. Ainsi, nous avons augmenté le budget consacré à l’aide aux victimes de 26 % la première année, de 9 % la deuxième année et de de 22 % la troisième année.
En ce qui concerne l’accès au droit et l’aide juridictionnelle, nous avons supprimé la démodulation, qui devait entrer en application en janvier 2015. Nous avons augmenté de 10 % le budget de l’aide juridictionnelle. Le 5 décembre, je vais procéder à l’installation de groupes de travail associant des avocats et des représentants de l’administration de la justice. Leurs réflexions porteront sur les quatre grands chantiers de réforme de l’aide juridictionnelle, qui est aujourd’hui à bout de souffle, comme le montre un rapport de très grande qualité du Sénat. Nous savons ce qu’il convient de faire. Il faut du courage politique pour engager la réforme de l’aide juridictionnelle, en concertation avec la profession.
Je remercie ceux d’entre vous qui ont salué l’effort que nous faisons en prenant des mesures catégorielles en faveur des greffiers et des greffiers en chef, des personnels de catégorie C, afin qu’ils puissent continuer de progresser dans la grille indiciaire de la fonction publique, ainsi que des surveillants, brigadiers et directeurs d’établissement pénitentiaire.
Enfin, en ce qui concerne la politique pénitentiaire, nous avons engagé un programme de création de 6 500 places de prison. Des engagements de crédits de 1 milliard d’euros sont prévus pour ce triennal, en vue de la création nette de 3 200 places. La priorité est donnée à la rénovation des établissements très vétustes et au traitement de la surpopulation carcérale, ce qui conduit à privilégier les outre-mers, très longtemps négligés, et la remise à niveau d’un certain nombre de sites remarquables, tels que celui de Bordeaux-Gradignan ou la prison des Baumettes.
Au travers de ce projet de budget cohérent, nous affirmons nos priorités et nous assumons nos choix. Nous sommes profondément convaincus que la continuité de l’action publique est nécessaire. Celle-ci doit en outre être évaluée. Dans cette perspective, je vous le redis, et ce n’est pas une vaine parole, mon cabinet et l’administration du ministère de la justice sont à votre entière disposition pour vous fournir toutes informations nécessaires, pour vous recevoir à tout moment, pour vous donner tous les matériaux de nature à vous permettre d’exercer le plus précisément possible vos missions de parlementaires. En tant que législateurs, vous élaborez les règles communes qui permettent le vivre-ensemble et créez les conditions pour que la justice soit au service de nos concitoyens.
Nous avons affiché l’ambition de rendre la justice plus proche, plus efficace, plus protectrice des citoyens. Nous menons des expérimentations en ce sens. Je citerai, à titre d’exemple, le service d’accueil unique de la justice, la création d’une équipe autour du magistrat du parquet, la mise en place d’un conseil de juridiction, afin de rendre la justice dans la cité, de réduire les déserts judiciaires, de rapprocher l’institution judiciaire des citoyens et de faire entrer la société dans nos juridictions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’avais mille choses à vous dire et j’avais prévu de répondre à toutes vos questions, mais je vais m’offrir le luxe de terminer avec huit secondes d’avance ! §