Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, chacun l’aura remarqué, les rapporteurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ont tous appelé à voter les crédits de cette mission. Cependant, nous avons tous ensemble des commentaires à faire sur la politique que ce budget doit financer.
« C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique, parce que si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. » Cette phrase, prononcée en 1969 par le général de Gaulle, résume à la fois nos contraintes et notre vocation. Notre vocation, c’est cette « exception française » qui a conduit à ce que le général appelait lui-même la « singularité dérangeante » de l’action de la France dans le monde.
Cette grande politique repose sur la conviction que nous incarnons un modèle particulier autour duquel peuvent s’agréger nos partenaires. C’est ce modèle qui est aujourd’hui en question, en particulier du fait de la crise économique, mais aussi d’une certaine crise morale.
Les contraintes d’une puissance moyenne, nous les connaissons tous. Elles se trouvent accentuées par les difficultés économiques et financières. Nos rapporteurs viennent de les rappeler ; elles ne sont pas nouvelles.
Déjà, en 2008, Alain Juppé et Louis Schweitzer rappelaient, en conclusion du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, que l’une des conditions de la réforme était d’accepter d’en payer le prix et de donner au Quai d’Orsay les moyens budgétaires nécessaires sous peine de déstabiliser en profondeur l’outil diplomatique et, en conséquence, d’affaiblir notre politique étrangère.
Depuis lors, la situation ne s’est pas améliorée et les budgets, d’année en année, ont été diminués. Nous sommes devant ce paradoxe d’une grande ambition portée par un ministère fragile, non pas par sa mission, ni par son titulaire, mais par ses moyens.
Comme en matière de défense, la concordance entre notre parole et nos actes est de plus en plus en plus difficile à réaliser. Comme en matière de défense, il arrive un moment où l’extrême qualité des hommes, leur compétence et leur dévouement au service de la Nation, trouve ses limites.
Certes, nous savons tous que le redressement de nos finances est la condition de notre indépendance. C’est aussi le moyen indispensable pour conduire une grande politique étrangère. Or, aujourd’hui, les performances économiques de notre pays sont très largement inférieures à celles de nos principaux partenaires européens, qu’il s’agisse de la croissance, du chômage ou du commerce extérieur.
Notre perte d’influence sur la scène internationale est un sujet d’inquiétude pour nous tous. Nous vivons une crise de l’identité et du projet européens. Plus grave, le couple franco-allemand semble grippé en raison du décrochage économique de notre pays.
Sur les grands dossiers internationaux – je pense à l’Ukraine, au Moyen-Orient, à la prolifération nucléaire –, notre pays est associé, en particulier parce qu’il est un membre extrêmement actif du Conseil de sécurité des Nations unies, mais il ne joue pas en première ligne. Il est même parfois accusé d’« alignement ». Seules les crises africaines lui ont permis de conserver un rôle majeur et incontournable.
La raison de cette perte d’influence est claire. Pour nous-mêmes et pour nos partenaires, nous peinons à peser sur les affaires du monde alors que nous n’arrivons pas à surmonter nos propres crises. Notre difficulté à nous redresser nous fragilise.
Dans le même temps, nous assistons au bouleversement progressif de l’ordre international avec la montée en puissance des « pays continents ». Ce rééquilibrage global touche l’ensemble de la communauté internationale, y compris, bien entendu, l’ « hyperpuissance » américaine, dont, mécaniquement, le poids diminue.
Cela se traduit pour elle par le leadership from behind, par le recentrage sur l’Asie, où s’est déplacé le centre névralgique du monde, et par un certain retour sur soi, permis naturellement par la perspective de l’indépendance énergétique et par une pression de plus en plus insistante sur ses alliés pour qu’ils prennent leur part du fardeau.
La conclusion que nous tirons immédiatement de ces analyses, c’est que notre pays devra nécessairement accomplir des réformes internes structurelles s’il veut tenir son rang dans un monde sans cesse en mouvement et continuer à être une puissance qui compte dans le monde des continents, alors que la France métropolitaine représente à peine plus de 0, 5 % des terres émergées et moins de 1 % de la population mondiale.
Dans ce contexte, quelles doivent être les priorités diplomatiques de la France dans ce nouveau monde ? Comment retrouver une influence et ne pas être ravalé au rang d’un pays ordinaire, d’une puissance moyenne ? À mes yeux, ce chemin passe par la valorisation des atouts de cette « exception française », qui nous permettra de renouer avec notre « singularité dérangeante ».
La première des priorités est la relance du projet européen, et singulièrement du « moteur » franco-allemand, qui est irremplaçable. Or, nous le savons, cette alchimie motrice de l’Europe, qui passe entre nos deux pays depuis les pères fondateurs, suppose à la fois que nos deux économies convergent et que, progressivement, l’Allemagne s’implique davantage sur les questions politico-militaires.
Aujourd’hui, dans presque tous les domaines, la France inquiète l’Allemagne. Il semble qu’elle ne saurait faire sa part du chemin dans ces conditions. Tous nos efforts doivent porter sur la refondation d’une crédibilité. Cela ne peut résulter que de réformes structurelles.
La deuxième priorité, c’est à l’évidence de réaffirmer le caractère exceptionnel du lien entre la France et l’Afrique. La commission a parfaitement expliqué pourquoi avant le sommet de l’Élysée du mois de décembre dernier, dans un rapport d’information intitulé L’Afrique est notre avenir.
Alors que vient de se tenir le sommet de la francophonie à Dakar, nous devons mettre l’accent sur ce lien et cette chance que constitue l’emploi du français dans le monde, et singulièrement en Afrique. Si nous ne relâchons pas notre effort, ce continent pourrait compter 700 millions de locuteurs dans les années à venir.
La semaine dernière, nous avons entendu Jacques Attali émettre des réserves sur cette perspective. Il était déçu par le manque d’initiative depuis de nombreuses années sur ces sujets. La relation entre la France et la francophonie doit être intensifiée. La francophonie, c’est la modernité, et non pas l’expression d’un archaïsme, comme on l’entend trop souvent. Nous n’utilisons pas assez la solidarité politique qui lie les États membres de la francophonie.
Ce sujet nous concerne tous. En dépit des contraintes budgétaires, notre priorité doit être de préserver l’instrument principal de diffusion de la langue française : ce réseau scolaire de plus de 460 établissements français implantés dans 130 pays qui rassemblent 250 000 élèves de toutes nationalités.