C’est un instrument d’influence exceptionnelle. La langue française n’est pas seulement un moyen de communication ; elle est un instrument d’incarnation et de transmission des valeurs.
M. Abdou Diouf, qui quitte le mandat qu’il a brillamment exercé pendant douze années, le répète régulièrement : en matière de francophonie, le problème n’est pas la demande de français ; c’est l’offre !
L’Afrique est aussi un continent au sein duquel certains États sont particulièrement fragiles. Cette fragilité permet le développement des réseaux terroristes, que ce soit dans l’ensemble du Sahel ou dans les zones où sévit Boko Haram. Elle donne toute liberté au développement de tous les trafics et de tous les réseaux mafieux, souvent liés au terrorisme. La France, qui a entièrement renouvelé ses accords de défense avec nos alliés africains, a pris toutes ses responsabilités, non seulement au nom de la sécurité de nos intérêts et de ceux de l’Europe, mais aussi parce qu’il n’existe pas de développement sans sécurité ni de sécurité sans développement.
Pourtant, cet engagement au nom d’intérêts et de valeurs partagés par l’ensemble des pays de l’Union européenne ne me semble pas être suffisamment soutenu par nos alliés. Se pose là un réel problème de solidarité européenne ; il conviendra de le traiter.
L’Asie constitue une troisième priorité pour notre diplomatie. La question qui se pose est de savoir comment faire exister la France dans cet immense espace, dont la force s’est encore récemment manifestée lors du sommet de l’APEC, ou Asia-Pacific Economic Cooperation.
Ces dernières années, notre commission a effectué des missions en Inde, au Japon, en Australie, en Nouvelle-Calédonie et, en 2014, dans le Sud-Est asiatique. Son dernier rapport contient des recommandations précises sur les actions que nous pourrions mener à court, moyen et long termes. Elles visent en particulier la diplomatie économique que nous devrions mener, notamment en Inde, au Vietnam ou en Thaïlande.
Avec la Chine, en ce cinquantième anniversaire de l’ouverture de nos relations diplomatiques, la France doit pouvoir jouer la carte de sa « singularité ». Dans le même esprit que celui qui animait la France de 1964, ce cinquantenaire doit nous permettre d’identifier ce que la France et la Chine peuvent et doivent faire, afin que le monde à venir surmonte ses bouleversements actuels et devienne, comme le disent les Chinois, plus harmonieux, mais aussi et surtout plus juste.
Dans la Chine de demain qui se dessine, la place de la France comme partenaire de premier plan paraît s’imposer. Parmi les domaines dans lesquels notre expérience est indiscutable, vous connaissez nos priorités sur la ville, l’agroalimentaire, les transports, l’énergie. Nous avons participé ensemble en Chine à un forum d’entrepreneurs qui a montré cette volonté et cette dynamique, monsieur le secrétaire d’État.
Cette culture de l’indépendance, qui doit nous animer, est attendue par les peuples en guerre au Moyen-Orient notamment. Personne n’oublie la position de Jacques Chirac en 2003 sur l’Irak, qui fut l’honneur de la France : cette capacité à faire entendre la voix de la France pour l’expression de la paix !
Je terminerai mon propos en abordant cette « nouvelle frontière » de la politique étrangère française qu’est la diplomatie économique.
Je salue les efforts personnels, l’impulsion politique et les initiatives ouvertes que le ministre des affaires étrangères a engagés pour dynamiser cette diplomatie économique. Elle marque son empreinte.
Je me suis félicité du rattachement du commerce extérieur et du tourisme au Quai d’Orsay. Naturellement, cette décision rationnelle ne suffira pas à redresser nos comptes. Elle s’inscrit en complément des réformes structurelles qu’il faut accomplir. Elle est bienvenue, mais l’effet de levier que doit avoir la diplomatie économique est encore insuffisant aujourd’hui.
Faire de l’ambassadeur le « chef d’équipe France à l’export », mobiliser tous les acteurs du jeu diplomatique – je pense là à la nomination des personnalités sur des fonctions de représentant spécial –, développer un « réflexe France », créer une direction des entreprises… tout cela va dans le bon sens, mais 75 % des crédits du commerce extérieur sont encore à Bercy. Il reste donc du travail à accomplir pour coordonner et rendre plus cohérente cette action. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous direz comment doit se concrétiser dans les années à venir ce rattachement du commerce extérieur au ministère des affaires étrangères.
Cette diplomatie économique assume par la défense de nos intérêts notre ambition européenne. Mais nous connaissons certaines réticences de nos partenaires, notamment sur la notion de « préférence communautaire ». Pour autant, nous ne considérons pas normal que le montant des marchés publics attribués à des entreprises extérieures à l’Union européenne atteigne quelque 300 milliards d’euros alors qu’il n’est, par exemple, que de 34 milliards aux États-Unis, protégés par le Buy American Act. §La notion de réciprocité doit être le maître mot pour les négociateurs sur les questions d’ouverture des marchés.
Telles sont les réflexions que nous inspire ce projet de budget, au service de cette grande politique que nous attendons. La commission des affaires étrangères du Sénat est, dans son ensemble, prête à faire confiance. Nous mesurons aujourd’hui combien les singularités de la politique étrangère de la France sont une force pour le pays. L’alignement, quel qu’il soit, n’est jamais pour la France un horizon acceptable !