Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances pour 2015 est le prélude à ce qui va constituer un moment-clé pour la définition de la stratégie de l’Institut français, l’opérateur pivot de notre politique culturelle à l’étranger ; je veux parler de la négociation de son prochain contrat d’objectifs et de moyens, ou COM, pour la période allant de 2015 à 2017.
Le Gouvernement a annoncé à la fin de l’année 2013 qu’il serait mis un terme à l’expérimentation du rattachement du réseau culturel à l’institut, au motif que les résultats n’étaient pas suffisamment probants. Sans doute eût-il fallu, comme l’a souligné notre collègue Louis Duvernois, que l’Institut ait disposé des moyens adaptés et, comme l’a pointé Jacques Legendre voilà quelques minutes, de suffisamment de temps.
Bref, réexaminer les moyens qui lui permettront d’exercer un véritable pilotage stratégique de nos instituts culturels à l’étranger est désormais un défi pour l’Institut.
Dans un contexte budgétaire toujours plus contraint, le Gouvernement entend cibler l’intervention de l’Institut français auprès des jeunes publics et des classes moyennes et supérieures : en d’autres termes, le public scolaire, les étudiants, les jeunes professionnels, et les décideurs et élites étrangères. Dont acte.
Mais, pour continuer à toucher un large public, le plus large possible, l’Institut doit aussi relever les défis de la mutation numérique et, à l’évidence, miser sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, afin d’optimiser ses interventions. Il doit multiplier les plates-formes numériques en soutien au réseau, ce qu’il a fait jusqu’ici avec un certain succès dans plusieurs domaines. J’en veux pour preuve les dispositifs IFCinéma, IFMapp et les outils du numérique éducatif.
Mais qu’en est-il des applications pour téléphones intelligents et tablettes ? N’est-ce pas là encore le meilleur moyen de toucher le plus grand nombre, en particulier en Asie ?
En faisant une recherche sur vos App Store – je devrais dire sur les « boutiques d’applications pour mobiles » –, vous trouverez au moins cinq applications labellisées par le Goethe Institut et plus d’une quinzaine d’applications mises au point par le British Council. L’Institut français n’en propose qu’une, dont les potentialités sont du reste très limitées, puisqu’elles ne comportent aucun volet d’apprentissage de la langue française, de sa grammaire ou de son vocabulaire. Faut-il en déduire que l’Institut français n’est encore qu’un nain digital ?
Je regrette également qu’il ne soit pas reconnu à l’Institut français un rôle prééminent, avec, évidemment, les moyens que cela suppose, dans la coordination de la coopération décentralisée en matière culturelle, artistique et linguistique. Dans son avis sur le projet du précédent COM de l’Institut français, notre commission de la culture, par la voix de notre collègue Marie-Christine Blandin, avait réclamé une stratégie plus claire et offensive en la matière, avec une articulation opérationnelle entre l’Institut, la délégation à l’action extérieure des collectivités territoriales du ministère et les services des relations extérieures des collectivités. Nos collectivités territoriales ont, vous le savez, une véritable valeur ajoutée à apporter au rayonnement international de notre pays, que ce soit dans les domaines du patrimoine, du tourisme ou encore de la gastronomie.
Prenons l’exemple de nos départements et collectivités d’outre-mer. Que fait l’Institut français pour les accompagner dans leur insertion au sein de leur espace régional le plus proche ? Nos partenaires étrangers ont-ils seulement conscience que la France est aussi l’un des pays dotés de la plus grande biodiversité au monde, avec nos lagons et barrières de corail à La Réunion, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, que certains de nos territoires présentent une richesse linguistique qui ne se rencontre nulle part ailleurs, avec des familles extraordinaires de langues régionales et locales, comme les langues amérindiennes en Guyane, les langues polynésiennes en Polynésie française, les langues kanakes de Nouvelle-Calédonie et nos créoles des Caraïbes et de l’océan Indien ?
Ces territoires sont les meilleurs ambassadeurs des valeurs fondamentales portées par notre République, au premier rang desquelles figure le respect de la diversité culturelle et linguistique. Pourtant, il n’y a pas une seule mention de la coopération décentralisée et encore moins de l’outre-mer français dans le précédent COM de l’Institut français ! Je demande au Gouvernement de réparer cet oubli dans le prochain contrat d’objectifs et de moyens.
On peut également s’interroger sur le degré de coopération entre l’Institut français, nos organismes de recherche et nos musées d’histoire naturelle en matière de diffusion et de partage de la culture scientifique, technique et industrielle. À mon sens, l’intervention de l’Institut français peut être déterminante pour endiguer le recul préoccupant de la langue française dans un secteur aussi stratégique que la recherche.
Nos scientifiques publient désormais presque exclusivement en anglais. Le français est plus que marginal dans les sciences exactes et autant dire qu’il est inexistant dans celles de l’univers. Est-ce à dire que les progrès scientifiques ne peuvent plus être compris dans d’autres langues que l’anglais ?
Le Centre national d’études spatiales, le CNES, et le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, ont largement contribué au succès de la mission Rosetta de l’Agence européenne spatiale et de l’atterrissage du robot Philae sur une comète. Il est inconcevable que le rayonnement scientifique que notre pays peut espérer tirer de cette première mondiale ne se traduise pas par un nombre plus important d’articles en français dans les plus grandes publications scientifiques.