Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 1er décembre 2014 à 14h30
Loi de finances pour 2015 — Action extérieure de l'état

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre, en remplacement de Mme Joëlle Garriaud-Maylam :

« Certes, la dématérialisation et la simplification des procédures allègent les besoins en emplois. Par ailleurs, il est naturel que le ministère des affaires étrangères contribue aux efforts de la Nation. Mais soyons clairs : le rétrécissement des équipes implique une réduction des missions, ce qui se fera au détriment soit des Français présents sur place, soit de notre politique d’influence. Nous devons donc rester vigilants quant aux conséquences de ces suppressions d’emplois sur la qualité du service public rendu à l’étranger.

« Je m’interroge notamment sur le rythme de passage de certaines ambassades au format très allégé, c’est-à-dire ne comptant plus que quatre agents au maximum, ambassadeur inclus. Le nombre des ambassades concernées devrait doubler en 2015, alors même que la première vague du dispositif n’a pas produit tous ses effets et qu’aucun bilan n’a pu être dressé.

« De même, je m’inquiète de la poursuite des fermetures de consulats, notamment à Porto et à Édimbourg. Pour ce dernier poste, l’annonce est d’autant plus surprenante que, à la suite du référendum sur l’indépendance, l’Écosse jouit d’une autonomie renforcée légitimant le maintien d’un véritable dispositif diplomatique.

« Au reste, il y a une certaine légèreté à prétendre que, pour les 1 300 Français d’Écosse, les services consulaires, déjà passablement engorgés, suffiront au renouvellement des passeports. J’ajoute que Londres et Édimbourg sont séparés, au bas mot, par une distance de 600 kilomètres.

« N’oublions pas que les services consulaires sont souvent le seul point de contact pour les expatriés et qu’il faut préserver ce lien.

« Dès lors, quels pourraient être nos leviers pour conserver, malgré les contraintes budgétaires, la qualité et le maillage d’un réseau diplomatique et consulaire unique au monde ?

« Je remarque que l’un des seuls services qui embauche en 2015 est celui, lucratif, des visas. Les bénéfices engrangés grâce à cette activité ne pourraient-ils pas contribuer à financer une part plus importante des services publics aux Français de l’étranger, inscrits dans le même programme budgétaire, au lieu d’être reversés au budget général ? Le gain net de cette activité est de l’ordre de 60 millions d’euros à l’échelle mondiale, soit 30 % des crédits du programme 151 !

« Autre marge de manœuvre que l’on peut faire jouer dans les postes en danger : aux licenciements en nombre d’agents consulaires préférer le remplacement du chef de poste par un chargé d’affaire, source de sensibles économies budgétaires.

« En outre, je m’étonne qu’au sein de l’enveloppe “frais de tournées et de représentation consulaire” 75 % des crédits soient destinés aux frais de représentation et 25 % aux tournées consulaires, ne laissant qu’un budget très insuffisant pour le service de proximité aux Français établis loin des consulats : recueil des procurations de vote, demande et remise des passeports, exercice de la protection consulaire.

« On a beaucoup parlé du lancement des valises ITINERA destinées au recueil des données biométriques hors des consulats. Encore faut-il pouvoir financer les déplacements de cet outil et mieux soutenir les consuls honoraires, dont le rôle ne cesse de croître, alors qu’ils ne bénéficient que d’un appui limité.

« Le dernier point que je souhaite évoquer au sujet du service public aux Français de l’étranger est la suppression de la Maison des Français de l’étranger, la MFE. Le ministère évoque pudiquement sa dématérialisation. Le terme serait justifié si, malgré la fermeture de l’accueil physique, une interaction avec les usagers continuait d’être assurée par téléphone, ou au moins par courriel. Mais la MFE virtuelle semble être réduite à la mise à jour de pages web, pour un montant néanmoins non négligeable de 100 000 euros.

« Le deuxième enjeu essentiel est la sécurité. Les crises géopolitiques se sont multipliées ces derniers mois, notamment au Moyen-Orient et en Afrique. Des sommes importantes ont été investies dans la sécurisation des ambassades. Mais qu’en est-il de la sécurité de nos communautés ?

« Après une vague d’actualisation des plans de sécurité des ambassades, le sous-indicateur relatif à cette mesure a été supprimé des documents budgétaires, au prétexte que 100 % des plans auraient déjà été actualisés. L’argument vaut peut-être pour cette année. Il importe toutefois de garantir le financement d’actualisations régulières. J’espère donc que l’indicateur sera réintégré dès l’année prochaine. À défaut, nous risquons de retrouver rapidement des plans de sécurité obsolètes.

« Un exemple illustre cette nécessité de procéder à des actualisations : l’évolution de l’indicateur “pourcentage de relecture des fiches dites de conseils aux voyageurs” ; alors que ce pourcentage atteignait 99 % en 2012, il est tombé à 80 %, et aucune amélioration n’est prévue en 2015. Ces fiches sont pourtant essentielles pour prévenir les comportements à risque. À l’heure où les réseaux sociaux facilitent une diffusion en temps réel des informations, il est essentiel de consacrer des ressources suffisantes à cette mission.

« Je note en outre une baisse de 3, 6 % des crédits relatifs à la coopération de sécurité et de défense. Un poste de coopérant militaire sur six sera supprimé.

« Rapporteur général à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, travaillant notamment sur la question du terrorisme, je sais à quel point cette coopération est essentielle pour prévenir les enlèvements, les prises d’otages et les actes de terrorisme, à l’étranger comme sur notre propre sol. Nous devons veiller à maintenir un financement suffisant des coopérations bilatérales en matière de sécurité. Sans doute faudrait-il également encourager et accompagner davantage le déploiement d’un réseau de réservistes citoyens français à l’étranger.

« Rentrant tout juste du sommet de la francophonie de Dakar, j’évoquerai, en conclusion, notre diplomatie culturelle et les liens étroits qui l’unissent à la francophonie.

« Comme le souligne Jacques Attali, “il est urgent de prendre conscience de la dimension économique de cet atout linguistique”. Cela passe notamment par une meilleure diffusion de l’enseignement français à l’étranger. Le réseau des écoles françaises à l’étranger, piloté par l’AEFE est, à cet égard, un dispositif d’excellence à préserver. Le coup de rabot de 2% pratiqué sur son budget public la contraint, comme les autres opérateurs du ministère, à un autofinancement accru. Espérons que des solutions créatives permettront d’éviter une hausse incontrôlée des frais de scolarité, qui mettrait en difficulté de nombreuses familles.

« Dans la mesure où les trois quarts des enfants français à l’étranger n’ont pas accès à ces écoles, il importe de développer d’autres dispositifs d’apprentissage en français : c’est essentiel pour renforcer notre influence auprès des élites étrangères. Le rapport Attali résume un certain nombre de pistes envisagées ces dernières années afin de soutenir des initiatives privées sans alourdir le fardeau budgétaire pour les finances françaises. »

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