Intervention de Josette Durrieu

Réunion du 1er décembre 2014 à 14h30
Loi de finances pour 2015 — Action extérieure de l'état

Photo de Josette DurrieuJosette Durrieu :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon propos portera sur Israël et la Palestine. J’y étais encore hier. J’étais à Ramallah vendredi, lorsque M. le ministre des affaires étrangères a prononcé son discours à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, j’aurais quelque peine à parler d’autre chose…

Je suis allée en Palestine en tant que membre du Conseil de l’Europe et de la sous-commission sur le Proche-Orient et le monde arabe. Je conduisais une délégation de quatorze parlementaires européens venus chacun d’un pays différent. Pour l’Europe, c’était le bon moment de faire ce voyage.

Je précise à ce propos que la contribution de la France pour le Conseil de l’Europe au titre de 2015 s’élève à environ 35 millions d’euros. Cette contribution, qui est fixe et obligatoire, et c’est tant mieux, est bien utilisée, car le travail réalisé par le Conseil de l’Europe, qui reste parfois confidentiel, est exceptionnel, tout comme le travail accompli par la délégation française. C’est nous, en effet, qui avons été à l’origine de l’institution de cette sous-commission sur le Proche-Orient et c’est nous qui avons créé un statut spécifique pour certains pays méditerranéens. Ainsi, le Maroc, la Tunisie, la Palestine et la Jordanie ont pu rejoindre le Conseil de l’Europe en qualité de « partenaires pour la démocratie ».

Bref, cette institution permet d’exercer une véritable diplomatie parlementaire et d’accompagner les efforts de nos diplomates dans la région. Je peux donc vous assurer de la présence financière et de l’influence politique de la France.

On va beaucoup parler cette semaine d’Israël et de la Palestine, et je m’en félicite. J’aborderai trois problèmes cruciaux : l’existence, la sécurité, l’occupation.

Concernant l’existence, la question primordiale est : l’État palestinien est-il encore possible ? Ma réponse est oui, mais le temps presse.

Les terres fondent, mais le peuple reste : 2, 7 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie et 1, 8 million à Gaza.

La création de l’État palestinien est-elle nécessaire ? Oui, elle est nécessaire à l’existence même d’Israël !

Un constat : tout tend à rendre impossibles la création et la coexistence des deux États. La situation est bloquée, mais elle est bloquée depuis Oslo.

J’en viens à la sécurité.

D’abord, celle d’Israël. Les 8 millions d’Israéliens sont-ils menacés ? Oui : par le Hamas, le Hezbollah, l’Iran… Ces derniers évolueront. Il faudra qu’ils évoluent.

La protection des Israéliens est assurée par Israël lui-même : par sa force militaire, notamment nucléaire – il faut bien en parler ! –, mais aussi, et c’est tant mieux, par l’immunité juridique dont il jouit à l’ONU

Et la sécurité des 4 à 5 millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza ? Ils n’ont pas d’État, pas d’armée et le statut de la Palestine est celui d’un État non membre de l’ONU. Elle ne bénéficie pas de l’immunité juridique à l’ONU, ni donc de protection juridique.

Les Palestiniens disent, à juste titre, qu’ils sont colonisés, occupés et même annexés, assiégés et dispersés – car la Cisjordanie est un véritable archipel ! Pour ma part, me refusant à peser mes mots, j’ajouterai : pillés.

L’occupation de la Palestine ne coûte rien à Israël ! En revanche, le Premier ministre palestinien en a évalué le coût pour son peuple à 3 milliards de dollars par an.

Le pays n’est pas pauvre, mais les Palestiniens doivent tout payer, y compris l’électricité et même leur propre eau, puisque 120 millions de mètres cubes d’eau sont vendus aux Palestiniens.

Pourtant, ils détiennent des atouts très forts : l’agriculture, la vallée du Jourdain, appelée « le jardin », dont les Israéliens veulent s’emparer – et ils s’en empareront…

Dans le domaine du tourisme, ils possèdent des atouts majeurs et même des « marques », puisqu’on raisonne maintenant en termes de marques : Jérusalem, Bethléem, la mer Morte… Ce sont des trésors, peut-être aussi précieux que le Vatican, le pape en moins !

Je veux lancer l’alerte sur Jérusalem-Est, Jérusalem murée, isolée, avec 20 000 logements détruits, sans parler du dernier projet répartition horaire de l’accès à l’esplanade des mosquées, donc à la mosquée d’al-Aqsa : de quatre heures à midi pour les Israéliens et de midi à treize heures pour les musulmans. Je dis : attention !

En Cisjordanie, 651 000 colons, sur 1 million d’habitants, occupent 62 % du territoire. Le ministre des affaires étrangères le sait sûrement, il y a parmi ces colons 2 500 Français en possession de passeports français.

Quant à Gaza, c’est une prison à ciel ouvert grande comme l’Andorre et où, je l’ai dit, vivent 1, 8 million de Palestiniens. Mais Gaza est « rentable » ! J’ose cette formule qui n’est pas très diplomatique…

Qui a le pouvoir à Gaza ? Le Hamas. Qui a le contrôle ? Israël. Qui a intérêt au maintien du statu quo ? Les deux !

La reconstruction après la guerre de 2008-2009 – l’opération « Plomb durci » – n’a pas été menée à son terme !

Et, aujourd’hui, après les cinquante et un jours de guerre de l’opération « Bordure protectrice », le bilan est terrible : 2 000 morts, dont 600 enfants, 6 000 prisonniers, dont 700 enfants de dix à douze ans, 400 000 sans-abri, 200 000 personnes hébergées, notamment dans des écoles, 110 000 personnes déplacées et 23 000 enfants sans école.

La reconstruction coûtera entre 2 et 5 milliards de dollars, 3, 5 milliards selon l’ONU.

Les donateurs sont les pays du Golfe, à hauteur de 2 milliards de dollars, le Qatar, pour 1 milliard de dollars, l’Arabie Saoudite, pour 500 millions de dollars, les États-Unis, peut-être pour 300 millions de dollars – ils attendent la résolution de l’ONU –, et la France, qui contribue à combler le déficit budgétaire, aura apporté deux fois 8 millions d’euros.

Mais je voudrais insister sur un problème tout à fait nouveau : le blocus organisé par Israël sur le matériel de construction, l’acier et le ciment. Le prétexte de ce blocus est que l’usage de ces matériaux pourrait être à double finalité. Comment engager la reconstruction dans ces conditions ?

L’urgence humanitaire est évidente. La France a déjà donné 3, 5 millions d’euros à ce titre. Les Palestiniens attendent 500 millions de dollars dans l’immédiat. Et ils les auront ! Ils en ont absolument besoin.

Le statu quo est intolérable, sur les plans politique, financier, humain, moral. Il peut rendre la coexistence des deux États impossible. Il peut rendre la paix au Moyen-Orient impossible.

Le ministre des affaires étrangères demandait l’autre jour si le temps était venu. Eh bien oui, c’est maintenant qu’il faut agir, parce qu’il y a trois processus nouveaux et importants en cours.

Premièrement, les Palestiniens ont décidé d’avancer, non plus par les armes et les négociations, sauf s’ils en ont la maîtrise, mais en faisant valoir le droit, leurs droits. Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, seule autorité légale, va déposer une résolution à l’ONU pour fixer une date de fin de l’occupation. C’est une démarche importante.

Deuxièmement, il y a ce mouvement qui s’est créé en Europe en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien. Il était attendu, il était espéré, il est arrivé : merci à la Suède, parce que c’est le gouvernement suédois qui a donné l’impulsion. La Chambre des Communes britannique lui a emboîté le pas, en votant en faveur de la création d’un État palestinien avec seulement – cela doit nous faire réfléchir ! – douze voix contre. L’Espagne a suivi avec des restrictions, mais il y a tous ces autres pays derrière : la Belgique, l’Irlande, la Slovénie, etc.

Le mouvement est lancé ! On attendait l’Europe, l’Europe s’est mise en mouvement.

Troisièmement, je suis ravie d’avoir entendu cette proposition émanant de la France d’organiser une conférence internationale pour fixer la fin de l’occupation en 2016 et engager un processus de paix qui pourrait, lui aussi, trouver son terme dans les deux ans qui viennent.

Oui, la dynamique est engagée, oui, le moment est propice, oui les occasions sont là. Or, souvent, elles ne repassent pas ! §

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