Intervention de Simon Loueckhote

Réunion du 24 novembre 2005 à 15h20
Loi de finances pour 2006 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Simon LoueckhoteSimon Loueckhote :

Ce qui est moins louable, a contrario, c'est de pointer du doigt dans le même temps - et de façon récurrente - ce qu'on appelle communément les « niches fiscales » et « privilèges » accordés à l'outre-mer.

D'aucuns pourraient, par un raccourci facile, laisser à penser que les populations ultramarines sont responsables du déficit budgétaire de l'État.

Mes chers collègues, je m'insurge contre cette vision simpliste, réductrice, voire extrêmement dévalorisante pour nos collectivités.

Je voudrais d'ailleurs emprunter à François Baroin, ministre de l'outre-mer, sa formule selon laquelle, « en outre-mer, on ne parle pas de niches fiscales mais de rattrapage économique ».

Je regrette vivement que certains de nos collègues persistent, de cette manière, à vouloir focaliser l'attention sur la notion d'évasion fiscale : cela occulte les véritables objectifs de toutes ces mesures, à savoir l'amélioration de la situation économique et sociale des populations ultramarines par une transformation profonde et durable de l'outil de production des collectivités concernées.

Prenons l'exemple très révélateur du taux de chômage : je rappelle qu'il s'établit encore en moyenne à 23 % dans les départements d'outre-mer et qu'il dépassait 30 % au cours de la dernière décennie, soit un taux trois fois supérieur à celui de la métropole.

De même, la part des moins de vingt-cinq ans dans l'ensemble des demandeurs d'emploi des DOM est passée, en dix ans, de 23 % à 15 % grâce au dispositif d'aide à l'emploi des jeunes.

Cela signifie que les mesures de soutien à l'emploi salarié ont d'ores et déjà porté leurs fruits.

Pour autant, aujourd'hui encore, le taux de chômage, dans les DOM est encore deux fois plus élevé qu'en métropole. Il dépasse en effet la barre des 20 %.

Je ne crois pas que l'on puisse nier, au vu de tels constats, la nécessité d'un rattrapage.

Selon plusieurs autres indicateurs, le rattrapage économique et social est bien en marche. En attestent le taux de création d'entreprises, qui a été supérieur en 2003 dans les DOM à ce qu'il a été dans l'ensemble des régions métropolitaines, ou encore l'importance de la croissance en valeur du produit intérieur brut de ces départements.

De plus, nombre d'entre vous dénoncent l'impact sur le budget de l'État de la défiscalisation des investissements réalisés dans les départements et collectivités d'outre-mer, en minimisant ses effets induits sur l'emploi.

Vous n'ignorez pas, pourtant, avec quelle rigueur les agréments de défiscalisation sont délivrés par Bercy, dont les décisions sont étroitement liées à l'engagement pris par les promoteurs de créer des emplois directs !

Cet important dispositif a notamment permis, de 1995 à 2003, le financement d'investissements qui se sont accompagnés de la création de 8 000 emplois dans les DOM.

Pour la seule année 2003, s'agissant des collectivités d'outre-mer, 843 emplois directs ont été créés, dont 513 en Polynésie française et 291 en Nouvelle-Calédonie.

Ne stigmatisons pas l'outre-mer ! Il n'y a pas d'opposition entre les intérêts des ultramarins et ceux des métropolitains.

Il nous est essentiel de bénéficier de la solidarité nationale dans notre entreprise de transformation et de modernisation de nos économies.

L'effort budgétaire et financier que l'État consacre, chaque année, à chaque département, à chaque région ou à chaque collectivité d'outre-mer est un outil efficace au service du développement économique de l'outre-mer, et donc de la France !

En outre, je demande solennellement à la Haute Assemblée de réfléchir au coût politique, économique et social que pourrait représenter, actuellement, un désengagement de l'État outre-mer.

Pourtant, cette année encore, l'outre-mer s'est retrouvé « sur la sellette » avec l'article 61 du projet de loi de finances pour 2006, relatif au plafonnement de certains avantages fiscaux au titre de l'impôt sur le revenu, et l'article 73, relatif à la réforme des exonérations spécifiques de cotisations employeurs applicables dans les départements d'outre-mer.

L'intergroupe parlementaire de l'outre-mer, que je préside, s'est mobilisé, au-delà de toutes les sensibilités politiques. En l'espèce, il s'agissait bien de défendre des intérêts communs !

Je saisis d'ailleurs cette occasion pour remercier l'ensemble de mes collègues de l'outre-mer de leur engagement et de leur détermination.

Nous avons été reçus à deux reprises par le Premier ministre, à qui je tiens à exprimer une nouvelle fois toute ma gratitude pour son sens de l'écoute et pour l'intérêt qu'il a témoigné à l'ensemble de ses compatriotes de l'outre-mer. Nous avons en effet pleinement conscience que sa décision intervient dans un contexte budgétaire extrêmement difficile.

Il s'est alors engagé, au nom du Gouvernement, à ce que soit modifié l'article 61 du projet de loi de finances et à ce qu'en soit supprimé l'article 73. C'est avec soulagement que j'ai constaté que nos collègues députés ont finalement adopté des amendements en ce sens.

Il a donc été admis que toute modification du cadre prévu par la loi « Girardin » du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer ne pouvait être envisagée en l'absence d'une véritable lisibilité de l'efficacité du dispositif, argument que les parlementaires de l'outre-mer ont fait valoir dans ce débat.

Nous sommes parfaitement conscients de l'effort de solidarité de la métropole à l'égard des collectivités que nous représentons, mais nous n'avons jamais été des adeptes de la main tendue : nous sommes tout autant soucieux de notre devoir de contribuer à la richesse nationale.

C'est pourquoi, au nom de mes collègues ultramarins, j'ai suggéré au Premier ministre, au cours de nos rencontres, que soit déposé un amendement tendant à constituer dans les meilleurs délais une commission d'évaluation en vue de la rédaction du rapport prévu à l'article 38 de la loi du 21 juillet 2003. Je me réjouis de l'adoption de cet amendement par l'Assemblée nationale.

Cette commission devra présenter à la fin du premier semestre de 2006 le rapport évaluant l'impact socioéconomique de l'ensemble des dispositifs mis en place par la loi de programme pour l'outre-mer.

Il s'agit, de la part des parlementaires de l'outre-mer, d'afficher leur volonté très claire de participer à la réflexion sur l'évaluation des mesures prises en faveur de leurs collectivités ainsi qu'à la recherche de solutions appropriées.

C'est la raison pour laquelle nous avons proposé une constitution tripartite de cette commission, en prévoyant qu'y seraient représentés le Gouvernement, les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat et les parlementaires de l'outre-mer.

Au sein de l'intergroupe parlementaire de l'outre-mer, nous sommes persuadés que ce travail d'évaluation permettra de démontrer à la collectivité nationale l'efficacité de l'ensemble du dispositif de soutien au développement économique et social des collectivités ultramarines, en vigueur depuis 2003.

Cela n'exclut pas de suggérer, le cas échéant, des ajustements quant au champ et à l'intensité des mesures : nous ne contestons pas la légitimité d'une telle démarche. J'ai d'ailleurs moi-même proposé d'étendre la mission de cette commission à l'évaluation de l'impact de l'ensemble des dispositions spécifiques à l'outre-mer susceptibles de contribuer à son développement économique et social.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la première fois que de telles études d'impact sont réalisées. Ainsi, de nombreux indicateurs ont déjà prouvé que l'effort contributif des populations ultramarines est d'autant plus important que nos outils de production sont modernes et efficaces.

Il a d'ores et déjà été démontré que le niveau de contribution aux recettes fiscales nationales des départements d'outre-mer croît de manière continue depuis plusieurs années grâce aux dispositifs de réduction ou d'exonération d'impôts de l'État sur place.

Personne parmi nous ne redoute les effets d'une telle évaluation du moment que ce travail global met en exergue le coût net de ces dispositions relativement à un ensemble d'effets induits, et du moment que les parlementaires de l'outre-mer sont associés à ces travaux.

Cependant, je tiens à souligner, mes chers collègues, que cet exercice ne saurait se limiter à une vision strictement budgétaire et nous faire oublier tous les atouts qu'offrent, en retour, les départements et les collectivités d'outre-mer à la nation.

Comme vous le savez, il n'existe pas un outre-mer uniforme, mais des départements et des collectivités qui sont tous situés à des carrefours stratégiques majeurs - dans les Caraïbes, dans l'océan Indien ou dans le Pacifique - et qui, par leur seule position géographique, donnent à la France une assise pour la mise en oeuvre de sa politique étrangère et de défense.

Je rappelle également qu'avec 2, 5 millions de nos compatriotes vivant dans nos collectivités d'outre-mer, ce qui correspond à seulement 4 % de la population française estimée en 2004, la présence de la France et de l'Europe est assurée sur les trois océans.

La Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, les îles Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte et les Terres australes et antarctiques représentent 91, 2 % de la zone économique exclusive nationale, soit un potentiel extraordinaire en termes de ressources marines.

Des préoccupations budgétaires, au demeurant légitimes, ne sauraient nous conduire à minimiser l'extraordinaire rayonnement géographique, politique, économique et culturel de la France dans le monde grâce à ses collectivités d'outre-mer.

En raison de l'importance de leur jeunesse, les populations ultramarines se caractérisent toutes par un formidable dynamisme. Et j'insiste une fois de plus sur la richesse que représente la composition pluriethnique de nos sociétés, qui n'ont cessé d'évoluer par l'effet du métissage culturel.

Chacun d'entre nous peut aujourd'hui mesurer, dans le contexte de l'évolution de la société française, l'importance de la réussite de ce phénomène quand on le rapporte à l'ensemble de la nation.

Les économies ultramarines souffrent certes de nombreux handicaps, comme leur éloignement géographique de la métropole, l'étroitesse de leur marché qui compromet la rentabilité de l'activité économique, ou la concurrence d'autres économies situées à proximité, beaucoup plus compétitives.

Ce phénomène de concurrence est particulièrement pénalisant pour les productions agricoles des départements d'outre-mer, telles que le sucre et la banane, dont dépendent notamment la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion.

Mais les populations d'outre-mer ont toujours eu la fierté et la détermination de relever le défi de leur développement économique, par l'utilisation de leurs ressources naturelles et par l'expérimentation de nouvelles filières.

Je pense notamment à la perliculture en Polynésie française ou à l'élevage de crevettes en Nouvelle-Calédonie, qui doivent leur essor à la détermination de petits promoteurs qui sont souvent partis de rien.

A titre d'exemple, la production de crevettes en Nouvelle-Calédonie était en augmentation de 30 % en 2004 par rapport à l'année 2003 et dépasse désormais les 2 200 tonnes.

D'importants efforts sont également réalisés dans l'ensemble de nos collectivités pour développer le tourisme, en termes tant d'investissements dans les infrastructures d'accueil que de promotion.

A cet égard, il faut souligner la place remarquable qu'occupe dans ce secteur d'activités la Polynésie française. Sa fréquentation la place à un très bon rang dans le Pacifique Sud, dans un environnement, rappelons-le, extrêmement concurrentiel.

Outre son importance, dans nos micromarchés, en termes de créations de revenus et d'emplois, vous savez combien l'activité touristique est un outil puissant au service de la promotion de la culture et du savoir-faire français dans le monde.

De toute évidence, mes chers collègues - et nous ne cesserons de vouloir vous en convaincre -, l'effort de la France à destination de ses plus lointains territoires est loin d'être vain. Les collectivités d'outre-mer dans leur ensemble ont toujours démontré leur réelle contribution à ce qui fait toute la richesse et toute la grandeur de la France !

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