La démarche éthique est, à mes yeux, très proche de celle de la recherche. Au respect pour le savoir, elle associe une part de transgression car questionner les connaissances est le meilleur moyen d'explorer l'inconnu. La démarche scientifique qui émerveille en effaçant les frontières, effraie lorsqu'elle procède par réification, en particulier quand elle observe et manipule l'humain. Comme Martin Buber le constatait il y a quatre-vingts ans, la science, lorsqu'elle parle de nous, dit « ils » ou « elles », alors que nous disons « je » et attendons des autres qu'ils nous disent « tu ». L'enjeu éthique consiste à mettre ce que nous apprenons de la science au service du « je », du « tu », et du « nous ».
La démarche éthique biomédicale moderne repose, depuis le code de Nuremberg, sur le principe du consentement libre et éclairé, ou plutôt informé, les connaissances étant mises à la disposition des personnes pour qu'elles puissent faire un choix. Le Comité consultatif national d'éthique a pour mission de favoriser l'élaboration individuelle et collective de ce choix libre sans s'y substituer. Créé il y a trente et un ans - le premier au monde - il regroupe quarante membres : des biologistes et des médecins - en minorité -, mais aussi des philosophes, des juristes, des anthropologues, nommés par une quinzaine d'institutions différentes. Le Comité élabore des avis (122 depuis sa création) souvent accompagnés de recommandations. Il prend ainsi en charge la réflexion éthique de la société, qu'il anime encore par d'autres initiatives comme la journée publique que nous consacrons depuis deux ans à des travaux de lycéens sur des sujets relevant de l'éthique.
Depuis la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, en cas de projet de réforme, le CCNE doit initier des états généraux donnant lieu à des conférences de citoyens.
Au cours des deux dernières années, nous avons rendu quatre avis et avons plus particulièrement centré nos activités sur la question de la fin de vie.
Après la création de la commission Sicard sur la fin de vie, en juillet 2012, le Président de la République a saisi notre comité pour qu'il rende un avis sur les questions éthiques mises en jeu par le sujet. Notre avis 121 a recommandé la tenue d'un débat public et l'organisation d'une conférence de citoyens. Aux réflexions de celle-ci, en décembre 2013, sont venus s'ajouter les comptes rendus de huit espaces régionaux de réflexion éthique.
Le Conseil d'Etat, à l'occasion de l'affaire Vincent Lambert, a sollicité le Comité, mais aussi l'Ordre des médecins, l'Académie de médecine et Jean Leonetti pour recueillir leurs observations sur les notions d'obstination déraisonnable et de maintien artificiel en vie pour les personnes en état de conscience minimale.
Comme le prévoit la loi, nous avons rendu, en octobre dernier, un rapport retraçant les résultats de l'ensemble du débat public depuis la création de la commission Sicard.
Enfin, comme je l'ai déjà indiqué, nous avons produit quatre nouveaux avis ces deux dernières années : sur les situations de fin de vie, sur une éventuelle commercialisation de tests de diagnostic rapide pour l'infection par le VIH, sur le séquençage complet de l'ADN sur un foetus de huit semaines et enfin sur les neurosciences et la « neuro-amélioration » (neuro-enhancement).
Nous travaillons actuellement sur l'assistance médicale à la procréation. Qu'il s'agisse d'insémination artificielle, de cryopréservation d'ovocytes, de gestation pour autrui ou de donneurs anonymes, nous essayons de mener la réflexion la plus transversale possible. L'extension du séquençage complet de l'ADN à tous les âges de la vie est un autre sujet qui nous occupe, ainsi que les questions éthiques posées par les changements climatiques. Dans des champs plus larges, nous réfléchissons aussi sur les enjeux éthiques de la santé en prison ou de l'utilisation de la biométrie pour établir les papiers d'identité.
Les comités éthiques du monde entier se réunissent tous les deux ans et ceux des pays européens deux fois par an, leur prochaine réunion étant prévue à Rome. Un rendez-vous spécifique biannuel rassemble les comités français, anglais et allemand. Ces rencontres sont l'occasion de confronter des approches issues d'histoires et de cultures différentes. Nous souhaitons renforcer cette collaboration internationale pour améliorer notre système et résoudre les contradictions posées dans le traitement de certains sujets. Ainsi, une réflexion sur la gestation pour autrui implique de prendre en compte trois facteurs : la disparité législative entre les pays européens, la libre circulation des citoyens, et le respect des droits fondamentaux, auquel veillent la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de justice de l'Union européenne. Nous avons entamé une réflexion sur ces contradictions, avec nos homologues anglais et allemands. La question devrait être au coeur du prochain sommet mondial des comités d'éthique, l'an prochain, à Berlin.
Le changement climatique est un autre sujet dont les enjeux méritent des regards croisés à une échelle mondiale. Un symposium est prévu, notamment avec nos homologues de l'hémisphère sud, avant l'ouverture de la Conférence sur le climat, en 2015, afin d'évaluer ce que la réflexion éthique peut apporter au regard des experts. Néanmoins, le Comité d'éthique ne peut prendre à sa charge d'organiser tous les débats publics, à moins de renoncer à ses autres missions. Enfin, pour élargir l'initiative d'engagement que nous avons lancée auprès des lycéens, nous avons signé un partenariat avec l'Ecole normale supérieure. Des symposiums réuniront étudiants, enseignants et membres du Comité national d'éthique autour de sujets transversaux.