Commission des affaires sociales

Réunion du 2 décembre 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • don
  • handicapée
  • éthique

La réunion

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La réunion est ouverte à 15 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous entendons Jean-Claude Ameisen, candidat proposé par le Président de la République à la présidence du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), dont les avis éclairent l'opinion publique et les autorités politiques sur les questions d'ordre éthique, soulevées par les progrès de la biologie et de la médecine. Le professeur Ameisen a présidé pendant dix ans le comité d'éthique de l'Inserm ; il siège depuis 2005 au CCNE, dont il est le président depuis 2012. Après avoir dressé le bilan de l'activité du Comité, il en dessinera les perspectives d'action pour les années à venir. A l'issue de cette audition, nous voterons pour émettre notre avis sur la reconduction de M. Ameisen dans ses fonctions.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

La démarche éthique est, à mes yeux, très proche de celle de la recherche. Au respect pour le savoir, elle associe une part de transgression car questionner les connaissances est le meilleur moyen d'explorer l'inconnu. La démarche scientifique qui émerveille en effaçant les frontières, effraie lorsqu'elle procède par réification, en particulier quand elle observe et manipule l'humain. Comme Martin Buber le constatait il y a quatre-vingts ans, la science, lorsqu'elle parle de nous, dit « ils » ou « elles », alors que nous disons « je » et attendons des autres qu'ils nous disent « tu ». L'enjeu éthique consiste à mettre ce que nous apprenons de la science au service du « je », du « tu », et du « nous ».

La démarche éthique biomédicale moderne repose, depuis le code de Nuremberg, sur le principe du consentement libre et éclairé, ou plutôt informé, les connaissances étant mises à la disposition des personnes pour qu'elles puissent faire un choix. Le Comité consultatif national d'éthique a pour mission de favoriser l'élaboration individuelle et collective de ce choix libre sans s'y substituer. Créé il y a trente et un ans - le premier au monde - il regroupe quarante membres : des biologistes et des médecins - en minorité -, mais aussi des philosophes, des juristes, des anthropologues, nommés par une quinzaine d'institutions différentes. Le Comité élabore des avis (122 depuis sa création) souvent accompagnés de recommandations. Il prend ainsi en charge la réflexion éthique de la société, qu'il anime encore par d'autres initiatives comme la journée publique que nous consacrons depuis deux ans à des travaux de lycéens sur des sujets relevant de l'éthique.

Depuis la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, en cas de projet de réforme, le CCNE doit initier des états généraux donnant lieu à des conférences de citoyens.

Au cours des deux dernières années, nous avons rendu quatre avis et avons plus particulièrement centré nos activités sur la question de la fin de vie.

Après la création de la commission Sicard sur la fin de vie, en juillet 2012, le Président de la République a saisi notre comité pour qu'il rende un avis sur les questions éthiques mises en jeu par le sujet. Notre avis 121 a recommandé la tenue d'un débat public et l'organisation d'une conférence de citoyens. Aux réflexions de celle-ci, en décembre 2013, sont venus s'ajouter les comptes rendus de huit espaces régionaux de réflexion éthique.

Le Conseil d'Etat, à l'occasion de l'affaire Vincent Lambert, a sollicité le Comité, mais aussi l'Ordre des médecins, l'Académie de médecine et Jean Leonetti pour recueillir leurs observations sur les notions d'obstination déraisonnable et de maintien artificiel en vie pour les personnes en état de conscience minimale.

Comme le prévoit la loi, nous avons rendu, en octobre dernier, un rapport retraçant les résultats de l'ensemble du débat public depuis la création de la commission Sicard.

Enfin, comme je l'ai déjà indiqué, nous avons produit quatre nouveaux avis ces deux dernières années : sur les situations de fin de vie, sur une éventuelle commercialisation de tests de diagnostic rapide pour l'infection par le VIH, sur le séquençage complet de l'ADN sur un foetus de huit semaines et enfin sur les neurosciences et la « neuro-amélioration » (neuro-enhancement).

Nous travaillons actuellement sur l'assistance médicale à la procréation. Qu'il s'agisse d'insémination artificielle, de cryopréservation d'ovocytes, de gestation pour autrui ou de donneurs anonymes, nous essayons de mener la réflexion la plus transversale possible. L'extension du séquençage complet de l'ADN à tous les âges de la vie est un autre sujet qui nous occupe, ainsi que les questions éthiques posées par les changements climatiques. Dans des champs plus larges, nous réfléchissons aussi sur les enjeux éthiques de la santé en prison ou de l'utilisation de la biométrie pour établir les papiers d'identité.

Les comités éthiques du monde entier se réunissent tous les deux ans et ceux des pays européens deux fois par an, leur prochaine réunion étant prévue à Rome. Un rendez-vous spécifique biannuel rassemble les comités français, anglais et allemand. Ces rencontres sont l'occasion de confronter des approches issues d'histoires et de cultures différentes. Nous souhaitons renforcer cette collaboration internationale pour améliorer notre système et résoudre les contradictions posées dans le traitement de certains sujets. Ainsi, une réflexion sur la gestation pour autrui implique de prendre en compte trois facteurs : la disparité législative entre les pays européens, la libre circulation des citoyens, et le respect des droits fondamentaux, auquel veillent la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de justice de l'Union européenne. Nous avons entamé une réflexion sur ces contradictions, avec nos homologues anglais et allemands. La question devrait être au coeur du prochain sommet mondial des comités d'éthique, l'an prochain, à Berlin.

Le changement climatique est un autre sujet dont les enjeux méritent des regards croisés à une échelle mondiale. Un symposium est prévu, notamment avec nos homologues de l'hémisphère sud, avant l'ouverture de la Conférence sur le climat, en 2015, afin d'évaluer ce que la réflexion éthique peut apporter au regard des experts. Néanmoins, le Comité d'éthique ne peut prendre à sa charge d'organiser tous les débats publics, à moins de renoncer à ses autres missions. Enfin, pour élargir l'initiative d'engagement que nous avons lancée auprès des lycéens, nous avons signé un partenariat avec l'Ecole normale supérieure. Des symposiums réuniront étudiants, enseignants et membres du Comité national d'éthique autour de sujets transversaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

En 2012, je vous avais interrogé sur trois sujets : la fin de vie, la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui. Sur le premier point, le Comité, à mes yeux, a pleinement rempli son rôle. Vous avez rendu un rapport en octobre.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Nous avons rendu un rapport, pas un avis, sur ce qui s'était dit ou non au cours du débat public.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Vous avez en effet organisé ce débat public avec la conférence des citoyens. Les conclusions sont allées plus loin que ce que certains auraient pu imaginer. Tout cela est très éclairant. Il faut que le Gouvernement et le Parlement s'en saisissent pour déposer un texte de loi. Sur l'assistance médicale à la procréation, dans quel délai prévoyez-vous de nous rendre un avis ou un rapport ? Depuis 2012, il y eu la loi Taubira. Les perspectives ont changé. Quant à la GPA, beaucoup ont dit que le débat n'avait pas lieu d'être. Force est de constater qu'il s'impose à nous. La proposition de loi de Jean Leonetti est purement répressive. Quand comptez-vous remettre un avis pour ouvrir le débat ? Je crois, comme vous, qu'il est indispensable de prendre en compte la dimension internationale. C'est vrai, le Comité consultatif national d'éthique ne peut pas prendre en charge le débat public sur tous les sujets. Jusque-là, il a parfaitement rempli son rôle.

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

Vous souhaitez renforcer la visibilité de votre institution auprès du grand public. C'est une bonne chose. La réflexion que vous menez sur des questions d'actualité contribuera à faire mieux connaître vos travaux, tout comme votre engagement auprès des jeunes. Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le don du sang a été au coeur d'un de nos débats. Doit-il être gratuit, alors qu'il est rémunéré dans d'autres pays ? Et que penser des produits de substitution au sang ?

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Le Comité a déjà rendu un avis sur la GPA, il y a quatre ans. Le sujet s'inscrit dans une réflexion plus large que nous menons autour de l'aide médicale à la procréation. Nous devrions rendre nos conclusions à l'été 2015. Sans annonce de dépôt d'un projet de loi, nous travaillons comme pour un avis habituel.

Une réflexion doit être menée sur le don du sang. Le Comité s'intéresse beaucoup aux produits de substitution et à la possibilité de leur libre circulation en Europe. Il me semble, à titre personnel, que la gratuité du don du sang est un pléonasme. Le don du sang ne présente pas de risque pour les donneurs. En le rémunérant, on pense inciter au don. Le même problème se pose pour le don d'ovocytes. Cependant, une incitation financière, tout en augmentant le nombre des donneurs, tendrait en pratique à ce que ceux-ci soient très majoritairement issus des couches les moins favorisées de la population. Cela créerait une asymétrie entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. La gratuité participe d'une certaine conception de la santé publique qui me semble devoir être préservée.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Vous avez mentionné la possibilité d'une auto-saisine du Comité d'éthique. Certains sujets s'y prêtent, comme les produits de substitution au don du sang. Quelle est la procédure pour la mettre en place ? Comment les membres du Comité prennent-ils en compte le lien que vous avez établi entre éthique et recherche ? Je me rappelle que le choix des intervenants lors de la conférence des citoyens sur la fin de vie n'allait pas de soi. Sur quels critères l'opérez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Selon certains médias, les dons d'organes pourraient être autorisés en cas d'interruption des soins par l'équipe médicale. Le Comité a-t-il été associé à une réflexion sur ce sujet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Comment intégrez-vous dans vos travaux les différences de législation qui distinguent et parfois opposent la France et d'autres pays d'Europe sur des questions comme le don d'organes et la fin de vie ?

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Le Président de la République, l'Assemblée nationale ou le Sénat, par l'intermédiaire de leurs présidents, les ministres ou les responsables d'institutions de recherche sont autant d'acteurs susceptibles de saisir le Comité d'une question. Tout citoyen, association ou institution peut présenter un sujet de réflexion que nous choisirons de traiter s'il est d'une portée suffisamment générale et importante. Enfin, le Comité peut choisir, lui-même, d'étudier une question qu'il juge intéressante.

Notre réflexion consiste à trouver le langage commun grâce auquel les intervenants, aussi divers soient-ils, pourront élaborer ensemble une réflexion sur un sujet donné. Il faut « se penser soi-même comme un autre », disait Paul Ricoeur. Nous ne confrontons pas des points de vue établis ; nous essayons de dépasser les points de vue initiaux. Nous travaillons bien quand nous avons du temps. L'auto-saisine nous offre un grand confort car elle nous libère de l'obligation d'un calendrier. Je crois que les deux années et demie consacrées au débat sur la fin de vie ont contribué à ce que la société mesure mieux les enjeux de la question.

Pour ce qui est de la procédure, une section technique de douze membres est élue parmi les quarante de notre Comité qui élit en son sein un président. Elle a pour mission de recevoir et traiter les demandes. Nous décidons ensuite, collectivement, celles dont nous souhaitons nous saisir.

Ceux qui participent aux conférences de citoyens ne sont pas rémunérés mais indemnisés. L'Ifop a organisé ces conférences. Bien que nous n'atteignions pas le seuil de représentativité, les critères de choix sont définis à partir des statistiques de l'Insee (âge, répartition géographique, profession, etc.), de manière à travailler à partir de l'ensemble de la société française. Pour la conférence sur la fin de vie, nous avons ainsi sélectionné dix-huit personnes. Nous n'avons pas assisté aux réunions et notre rôle s'est limité à proposer dix intervenants reflétant au mieux les horizons et perspectives actuels sur le sujet de la fin de vie. Pour choisir ceux-ci, comme les avis restaient partagés au sein même du Comité, notamment sur la question de l'euthanasie et de l'assistance au suicide, nous avons cherché à représenter ces divergences - Jean Leonetti, d'un côté, le président d'une association pour le droit à mourir, de l'autre. Le président du comité d'éthique du Portugal, pays où la législation est la même qu'en France, et son homologue de Belgique, où la législation est différente, ont apporté une dimension internationale. Les participants ont ensuite eu la possibilité de choisir dix autres intervenants. Ils ont rendu, eux-mêmes, leur avis lors d'une conférence de presse où nous n'intervenions pas. L'expérience a été riche, bouleversant la vie de certains des participants. Elle a fait naître une intelligence collective.

Le Comité a rendu un avis, il y a trois ans, sur le don d'organes. Le croisement des problématiques de la fin de vie et du don d'organes est une question qui nous intéresse beaucoup. Si l'on pousse le paradoxe, la seule raison qui pourrait justifier une obstination déraisonnable à maintenir un patient en vie, serait la préservation de ses organes pour aider autrui. Ces deux approches pourraient être croisées dans le cadre d'un consentement ou d'une directive anticipée. Est-ce souhaitable ? Comment une personne non consciente ou morte cérébralement pourrait-elle décider de faire un don d'organes ? En France, il existe un registre du non, permettant de signifier son refus de faire l'objet d'un prélèvement d'organe. Peut-être faudrait-il mettre en place un registre du oui afin que le recours à la décision des familles n'ait lieu qu'en cas d'absence de choix.

Quant à la GPA, les comités d'éthique des différents pays devraient réfléchir ensemble à la question, quelle que soit la législation en cours. Cette réflexion altruiste bénéficiera à tous.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Sur le don d'organes, dans le cas d'un donneur dont le coeur s'est arrêté de battre ou qui est en état de mort cérébrale, le Sénat avait voté dans le cadre de la loi sur la bioéthique un article autorisant le prélèvement ; l'Assemblée nationale l'a supprimé.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Giudicelli

Vous avez présidé le comité éthique et scientifique de la Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap. Chaque année, entre 800 et 900 enfants sont diagnostiqués autistes, dont 70 à 80 % sont des garçons. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Les conférences de citoyens favorisent la participation de non-experts à une réflexion sur des sujets importants pour la société. Lorsqu'il s'agit de légiférer sur l'euthanasie ou de sa dépénalisation, ce sont souvent les bien-portants qui donnent leur avis. En trente-cinq ans d'expérience comme médecin, seulement trois patients m'ont demandé une euthanasie active. Lorsqu'on est au bord du gouffre, l'état d'esprit n'est pas le même que lorsqu'on a vingt ans et qu'on est en pleine forme. Or ce point crucial est rarement abordé... C'est un peu le même type de débat que celui, aujourd'hui dépassé, qui avait été lancé par M. Schwarzenberg il y a une vingtaine d'années : faut- il dire la vérité aux malades ? De mon point de vue, la question se pose de savoir s'il a lieu de légiférer absolument sur l'euthanasie plutôt que de la dépénaliser.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Je ne crois pas que ce soit la fin de la question : la Suisse, par exemple, a dépénalisé l'assistance au suicide, mais l'euthanasie y reste interdite. Si la dépénalisation peut être aussi sélective que l'autorisation, sa portée symbolique est bien différente. La Belgique, quant à elle, autorise l'euthanasie mais interdit l'assistance au suicide ; seuls la Hollande et le Luxembourg autorisent les deux. Les États américains de l'Oregon, de Washington, du Vermont et du Montana ont autorisé l'assistance au suicide et interdisent l'euthanasie. L'histoire et la culture propres à chaque pays suscitent des difficultés spécifiques dans leurs approches de ces problèmes. Leurs raisonnements prennent en compte les questions de l'autonomie, de la solidarité, du rôle de la médecine. En Hollande, l'assistance au suicide et l'euthanasie sont l'affaire du médecin, en Suisse, et dans les Etats américains, celle d'associations.

Notre rapport fait état d'un constat accablant : 80% de nos concitoyens n'ont pas accès aux soins qui soulageraient leurs souffrances et à un accompagnement humain en fin de vie. Quinze ans après que la loi du 9 juin 1999 a donné ce droit à tous, c'est un scandale. Les futures lois sur la santé et l'adaptation de la société au vieillissement devraient offrir les moyens d'y remédier : si nous ne parvenons pas à accompagner les personnes en toute fin de vie, c'est faute de savoir le faire avant. Le soulagement de leurs douleurs doit devenir, bien avant leurs dernières semaines, une pratique habituelle.

La loi du 22 avril 2005 comporte un paradoxe : si le patient est inconscient, le médecin est tenu, afin d'éviter de possibles souffrances, de procéder à une sédation profonde jusqu'au décès ; si le patient est conscient, c'est le médecin qui décide. Les directives anticipées doivent être respectées, à moins que le médecin ait de bonnes raisons de penser qu'elles ne conviennent pas à l'état de la personne.

Euthanasie et assistance au suicide font l'objet de divergences au sein du CCNE comme dans la société : la conférence de citoyens, contrairement à la commission Sicard et au CCNE, ne distingue pas entre euthanasie et assistance au suicide et donne la priorité à l'autonomie de la personne : que l'on me donne les moyens d'interrompre ma vie, ou que quelqu'un le fasse à ma place, cela revient au même. Une partie de ces divergences nous semblent résulter de points de vue différents. Notre chapitre intitulé « De qui parlons-nous lorsque nous parlons de la fin de vie ? » constate que l'on parle de celle des autres lorsque l'on est bien portant, de la sienne propre lorsque l'on va très mal, ou encore de celle de ses proches ou de personnes que l'on assiste si l'on est soignant. Contrairement à beaucoup d'autres questions d'éthique, celle-ci nous concerne tous, mais à des titres très différents. Cette confusion engendre des oppositions du fait que les différents interlocuteurs ne parlent pas de la fin de vie des mêmes personnes ou au même stade.

Steven Laureys, directeur du Coma Science Group de Liège, l'un des plus importants centre d'études des personnes qui ne sont plus en état de communiquer, où Vincent Lambert a été examiné, a publié en 2011 dans le Journal of Neurology un article analysant les réponses à un questionnaire adressé à 2 700 soignants des pays du Conseil de l'Europe : 70 % ne décideraient pas d'arrêter les traitements, l'hydratation et la nutrition artificielle d'un patient en état de conscience minimale, mais à la question de savoir s'ils souhaiteraient cette interruption pour eux-mêmes, 70 % répondent oui. Steven Laureys souligne le problème éthique résultant de cette incapacité à se mettre à la place des autres ; les soignants eux-mêmes voient leur fin de vie et celle de leurs patients de façon radicalement différente.

La Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap (Firah) a été créée par Axel Kahn avec la plupart des grandes fédérations de personnes handicapées. Son comité éthique et scientifique a le double avantage d'être international et de compter des personnes handicapées. Elle a pour but de financer, partout dans le monde, des projets dont la réalisation contribue à mettre en oeuvre la résolution de l'ONU de décembre 2006 sur les droits des personnes handicapées. Ces projets de recherche devaient être déposés conjointement par des universitaires et par des représentants de ces personnes, afin d'éviter un point de vue surplombant. Elle est intervenue en Inde, en Haïti, aussi bien qu'en Allemagne ou en France.

J'ai été rapporteur, il y a sept ans, d'un avis du CCNE relatif à la situation des personnes atteintes d'autisme. Il faisait le constat, étrangement ressemblant à celui qu'inspire la fin de vie que, malgré la très bonne loi de février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il restait, hélas !, encore beaucoup à faire. Cela est toujours vrai : la scolarisation des enfants atteints d'autisme demeure extrêmement difficile et l'objectif fixé il y a vingt-cinq ans par la loi pour l'emploi de ces personnes n'est qu'à moitié réalisé. Il est toujours aussi rare que ces personnes soient accompagnées là où elles sont, lorsqu'elles en ont besoin. De même, les soins palliatifs ne devaient pas être limités la fin de vie. Nos collègues allemands ou anglais sont stupéfaits d'apprendre que, pour ceux de nos patients qui y ont accès, ces soins ne commencent que trois semaines avant leur décès. La loi du 9 juin 1999 prévoit qu'en bénéficie toute personne qui en a besoin, à toute étape de sa vie. De nombreux pays comme la Suède, par exemple, accompagnent les personnes handicapées chez elles, ou à proximité, plutôt que de les envoyer dans des institutions. La France est le pays d'Europe où le moins de personnes meurent chez elles. La Suède considère qu'interner loin de chez elle une personne souffrant d'un handicap mental, de la maladie d'Alzheimer, d'un traumatisme crânien, d'autisme ou de trisomie 21 revient à lui dénier ses droits civiques. Toute personne a le droit de vivre près des siens, elle est accompagnée chez elle, et non exilée. La France, qui manque de places dans ses institutions, au point d'envoyer nombre de ses enfants autistes en Belgique, devrait au contraire développer leur accompagnement à domicile. Cela suppose de redistribuer les ressources humaines et financières de notre système de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Ma collègue Claire-Lise Campion et moi avons rédigé un rapport d'évaluation de la loi de 2005 sur le handicap. Nous nous sommes rendues en Belgique dans des établissements spécialisés dans l'accueil d'enfants autistes et constaté qu'ils y font de réels progrès. Pourquoi n'est-il pas possible, en France, d'ouvrir ce genre d'institution ? La réponse des médecins belges a été que la France est surchargée de normes : un petit hôtel particulier transformé en institution pour enfants autistes, que nous avons visité, ne pourrait remplir cette fonction chez nous, faute d'y satisfaire. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Les établissements que vous avez visités accueillaient-ils des enfants belges ou français ?

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Les deux. Les normes en cause ne sont pas médicales.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Ces cas sont différents : certaines institutions se sont spécialisées dans l'accueil d'enfants français dans le cadre de liens avec l'assurance maladie et les services départementaux. Il s'agirait de savoir, tout d'abord, si leurs conditions d'accueil sont aussi bonnes que celles dont bénéficient les enfants belges. Si le respect des normes était le principal obstacle à l'accompagnement des personnes handicapées, notre problème ne serait pas bien grand. Le déficit que nous connaissons est bien plus profond. En Suède, tous les enfants autistes vont à l'école, où ils bénéficient toute la journée d'un accompagnement professionnel ; en Italie, où tous les enfants handicapés sont également scolarisés, l'effectif des classes qui les accueillent est divisé par deux et leur professeur est assisté par un enseignant formé. En France, les locaux sont souvent inadaptés au passage d'un fauteuil roulant, mais le principal problème ne tient pas aux normes : les enseignants eux-mêmes sont démunis et les parents redoutent que l'accueil d'un élève handicapé entraîne un préjudice pour leur enfant.

Une profonde réflexion s'impose sur ce que nous attendons de notre école. Un enfant normal n'y voit jamais d'enseignant handicapé, parce que l'enseignement s'exonère de l'obligation faite aux grandes entreprises d'employer une certaine proportion de personnes handicapées, au prétexte que ces établissements accueillent déjà des enfants handicapés. Sa première rencontre, ainsi retardée, avec une personne handicapée sera inattendue, voire inquiétante, comme de quelque chose dont on l'aurait, jusque-là, protégé. Il en est ici comme pour l'accompagnement des personnes en fin de vie : si nous sommes très bons lorsqu'il s'agit de traiter et de guérir, par exemple, les maladies neuro-dégénératives - les implants intracérébraux contre la maladie de Parkinson sont une découverte française d'Alim-Louis Benabid -, notre système de santé est incapable d'accompagner les malades que l'on ne peut traiter, ni guérir.

Debut de section - PermalienPhoto de Hermeline Malherbe

Mon témoignage nuancera ce tableau très sombre : les départements accomplissent, avec le secteur médical, un travail d'accompagnement important en faveur de l'autonomie des personnes âgées et handicapées. Les familles d'accueil constituent également une alternative intéressante à l'internement. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) agissent de concert avec les associations et les enseignants, de manière à ce qu'un nombre croissant d'enfants handicapés soient accueillis dans les écoles. Un certain optimisme est permis : un jeune autiste qui avait effectué son apprentissage au sein du conseil général des Pyrénées-Orientales y a été embauché comme salarié, après avoir réussi son CAP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vergoz

Une question de profane : y a-t-il des comités d'éthique en Inde ou en Chine ? Une gouvernance mondiale de l'éthique serait-elle nécessaire ? Serait-elle, même, possible alors que l'on constate les errements des gouvernances mondiales sur le commerce, la finance, le travail de séquençage des végétaux ? La plus grande vigilance semble s'imposer.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Mes chers collègues, je vous rappelle que le comité présidé par M. Ameisen n'exerce qu'une fonction consultative.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Environ 70 enfants handicapés de mon département sont accueillis en Belgique où la prise en charge est polyvalente, grâce à la coopération d'associations de parents, alors que les établissements français, initiés par des associations de parents, sont très spécialisés. Il nous faudra des années pour apprendre à les structurer différemment.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

J'appuie entièrement les observations d'Isabelle Debré et de René-Paul Savary. J'ai connu, au conseil général de mon département, une expérience analogue : l'obstacle à surmonter est bien normatif, normes et éthique ne faisant pas bon ménage. Nous avions trouvé un terrain où bâtir un foyer pour enfants autistes. Compte tenu des divers délais réglementaires et des surcoûts générés par les multiples normes applicables, sept ans, au lieu de deux, ont finalement été nécessaires pour mener ce projet à bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Quelle est, monsieur Ameisen, la proportion d'hommes et de femmes dans votre comité ?

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique

Je reconnais que des initiatives nombreuses et remarquables ont été prises dans notre pays et que des soins palliatifs de grande qualité y sont dispensés, mais c'est à un trop petit nombre de patients. La solution n'est pas d'augmenter la capacité de ces services, mais de transformer les soins palliatifs en une pratique médicale exercée par les généralistes, les cardiologues, les cancérologues, pour qui les services hospitaliers deviendraient des référents. Quels que soient les critères au nom desquels l'accès à ces soins est retreint, cette restriction doit être levée : ce qui fonctionne bien, en un lieu et un temps donnés, doit devenir une pratique courante. Le mot anglais care signifie à la fois le soin et l'importance que l'on attache à une personne. Il s'agit pour nous de généraliser celle que méritent les personnes vulnérables.

L'Unesco, le Conseil de l'Europe et l'OMS s'efforcent, depuis longtemps, avec l'aide des comités d'éthique européens, de favoriser la création de comités semblables dans les pays qui en sont dépourvus. Mais un comité d'éthique n'est légitime que s'il est indépendant, ce qui suppose un respect de la liberté d'expression, bien ancré dans les institutions. La dernière déclaration de l'Unesco sur la bioéthique, votée à l'unanimité des pays membres, mais non contraignante, s'intitule « Déclaration universelle de bioéthique et des droits de l'homme ». Elle recommande la propagation internationale de l'éthique biomédicale comme un levier pour celle des droits de l'homme, parce qu'elle implique la liberté d'expression et le droit à l'information des patients. De véritables comités d'éthique, indépendants et transdisciplinaires, ont été créés récemment dans certains pays d'Amérique du sud et d'Afrique ; on peut espérer qu'ils contribuent, au-delà de leur champ, à la vie démocratique de ces nations. Le but n'est pas d'instituer une éthique universelle qui mettrait fin à tout questionnement mais de favoriser, dans chaque région, une réflexion libre. Si l'Inde a des institutions scientifiques, elle n'a pas de comité d'éthique ; la Chine a des comités dits éthiques, mais dépourvus d'indépendance. L'Unesco et la Commission européenne en sont dotés, ce qui rend possible le croisement des regards nationaux avec ceux d'instances internationales.

En Belgique, l'accueil des enfants handicapés est, en dernier lieu, de la compétence du ministère de l'éducation nationale, non de celui de la santé : il s'agit de donner à ces enfants la capacité de devenir des citoyens. Il est regrettable que le ministère français de l'éducation n'ait pas été représenté lors de l'annonce des précédents plans « Autisme » : l'intégration des personnes handicapées est loin d'être simplement un problème de santé. Le comprendre équivaudrait pour nous à surmonter un problème culturel.

La dernière étude de l'Observatoire de la fin de vie a été consacrée, en décembre 2013, au vieillissement : elle a établi que, sur le million de personnes résidant dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), 75 % y sont entrées contre leur gré, à telle enseigne que le précédent contrôleur des lieux de privation de liberté avait envisagé de s'y rendre. La raison de ce quasi-enfermement est que les logements de ces personnes âgées n'étaient plus adaptés à leur handicap. Au Danemark, toutes les maisons récentes sont adaptées au handicap, sans que cela induise de surcoût. L'adaptation a posteriori est, en tout cas, bien plus onéreuse. Si certaines normes sont peut-être excessives, nous manquons de celles qui épargneraient aux personnes âgées d'avoir à abandonner leur lieu de vie. Je ne parle pas de l'inadéquation persistante d'une bonne partie de nos transports publics... Dans ces conditions, l'exclusion des personnes handicapées est inévitable.

Les femmes sont minoritaires parmi les membres du CCNE, nommés par une quinzaine d'institutions... Comme je vous le disais il y a deux ans, lors de ma première audition, il serait bon que des économistes viennent s'ajouter à nos rangs afin que les questions économiques ne soient plus perçues uniquement par le Comité comme des contraintes externes, mais comme une partie intégrante de la réflexion éthique ; si un grand psychiatre suisse a été récemment nommé par le ministère de la santé, nos perspectives s'enrichiraient de l'apport d'autres Européens francophones ; je souhaite enfin que soient désignés des membres d'associations de personnes malades ou handicapées afin de diversifier nos points de vue. Le CCNE est renouvelé, par moitié, tous les deux ans : c'est pour les institutions décidant de sa composition l'occasion d'exercer un rôle très important.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous avons été impressionnés par la qualité des interventions de nos collègues et par celles de l'intervenant principal, que je remercie à nouveau.

Les députés ayant voté la semaine dernière, leurs bulletins ont été placés sous scellés et seront dépouillés en même temps que les nôtres. M. Ameisein ne pourra être nommé si les votes négatifs atteignent les trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux chambres.

M. Jean-Claude Ameisen est raccompagné hors de la salle.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Voici le résultat du vote :

- Nombre de votants : 29

- Bulletins blancs : 5

- Suffrages exprimés : 24

- Avis favorables : 24

Ce vote sera agrégé à celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.

La commission émet un avis favorable à la nomination de M. Jean-Claude Ameisen en tant que président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

La réunion est levée à 17 h 20.