Intervention de Jean-Claude Ameisen

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 décembre 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Claude Ameisen candidat proposé par le président de la république à la présidence du comité consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé ccne

Jean-Claude Ameisen, candidat à la présidence du Comité consultatif national d'éthique :

Je ne crois pas que ce soit la fin de la question : la Suisse, par exemple, a dépénalisé l'assistance au suicide, mais l'euthanasie y reste interdite. Si la dépénalisation peut être aussi sélective que l'autorisation, sa portée symbolique est bien différente. La Belgique, quant à elle, autorise l'euthanasie mais interdit l'assistance au suicide ; seuls la Hollande et le Luxembourg autorisent les deux. Les États américains de l'Oregon, de Washington, du Vermont et du Montana ont autorisé l'assistance au suicide et interdisent l'euthanasie. L'histoire et la culture propres à chaque pays suscitent des difficultés spécifiques dans leurs approches de ces problèmes. Leurs raisonnements prennent en compte les questions de l'autonomie, de la solidarité, du rôle de la médecine. En Hollande, l'assistance au suicide et l'euthanasie sont l'affaire du médecin, en Suisse, et dans les Etats américains, celle d'associations.

Notre rapport fait état d'un constat accablant : 80% de nos concitoyens n'ont pas accès aux soins qui soulageraient leurs souffrances et à un accompagnement humain en fin de vie. Quinze ans après que la loi du 9 juin 1999 a donné ce droit à tous, c'est un scandale. Les futures lois sur la santé et l'adaptation de la société au vieillissement devraient offrir les moyens d'y remédier : si nous ne parvenons pas à accompagner les personnes en toute fin de vie, c'est faute de savoir le faire avant. Le soulagement de leurs douleurs doit devenir, bien avant leurs dernières semaines, une pratique habituelle.

La loi du 22 avril 2005 comporte un paradoxe : si le patient est inconscient, le médecin est tenu, afin d'éviter de possibles souffrances, de procéder à une sédation profonde jusqu'au décès ; si le patient est conscient, c'est le médecin qui décide. Les directives anticipées doivent être respectées, à moins que le médecin ait de bonnes raisons de penser qu'elles ne conviennent pas à l'état de la personne.

Euthanasie et assistance au suicide font l'objet de divergences au sein du CCNE comme dans la société : la conférence de citoyens, contrairement à la commission Sicard et au CCNE, ne distingue pas entre euthanasie et assistance au suicide et donne la priorité à l'autonomie de la personne : que l'on me donne les moyens d'interrompre ma vie, ou que quelqu'un le fasse à ma place, cela revient au même. Une partie de ces divergences nous semblent résulter de points de vue différents. Notre chapitre intitulé « De qui parlons-nous lorsque nous parlons de la fin de vie ? » constate que l'on parle de celle des autres lorsque l'on est bien portant, de la sienne propre lorsque l'on va très mal, ou encore de celle de ses proches ou de personnes que l'on assiste si l'on est soignant. Contrairement à beaucoup d'autres questions d'éthique, celle-ci nous concerne tous, mais à des titres très différents. Cette confusion engendre des oppositions du fait que les différents interlocuteurs ne parlent pas de la fin de vie des mêmes personnes ou au même stade.

Steven Laureys, directeur du Coma Science Group de Liège, l'un des plus importants centre d'études des personnes qui ne sont plus en état de communiquer, où Vincent Lambert a été examiné, a publié en 2011 dans le Journal of Neurology un article analysant les réponses à un questionnaire adressé à 2 700 soignants des pays du Conseil de l'Europe : 70 % ne décideraient pas d'arrêter les traitements, l'hydratation et la nutrition artificielle d'un patient en état de conscience minimale, mais à la question de savoir s'ils souhaiteraient cette interruption pour eux-mêmes, 70 % répondent oui. Steven Laureys souligne le problème éthique résultant de cette incapacité à se mettre à la place des autres ; les soignants eux-mêmes voient leur fin de vie et celle de leurs patients de façon radicalement différente.

La Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap (Firah) a été créée par Axel Kahn avec la plupart des grandes fédérations de personnes handicapées. Son comité éthique et scientifique a le double avantage d'être international et de compter des personnes handicapées. Elle a pour but de financer, partout dans le monde, des projets dont la réalisation contribue à mettre en oeuvre la résolution de l'ONU de décembre 2006 sur les droits des personnes handicapées. Ces projets de recherche devaient être déposés conjointement par des universitaires et par des représentants de ces personnes, afin d'éviter un point de vue surplombant. Elle est intervenue en Inde, en Haïti, aussi bien qu'en Allemagne ou en France.

J'ai été rapporteur, il y a sept ans, d'un avis du CCNE relatif à la situation des personnes atteintes d'autisme. Il faisait le constat, étrangement ressemblant à celui qu'inspire la fin de vie que, malgré la très bonne loi de février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il restait, hélas !, encore beaucoup à faire. Cela est toujours vrai : la scolarisation des enfants atteints d'autisme demeure extrêmement difficile et l'objectif fixé il y a vingt-cinq ans par la loi pour l'emploi de ces personnes n'est qu'à moitié réalisé. Il est toujours aussi rare que ces personnes soient accompagnées là où elles sont, lorsqu'elles en ont besoin. De même, les soins palliatifs ne devaient pas être limités la fin de vie. Nos collègues allemands ou anglais sont stupéfaits d'apprendre que, pour ceux de nos patients qui y ont accès, ces soins ne commencent que trois semaines avant leur décès. La loi du 9 juin 1999 prévoit qu'en bénéficie toute personne qui en a besoin, à toute étape de sa vie. De nombreux pays comme la Suède, par exemple, accompagnent les personnes handicapées chez elles, ou à proximité, plutôt que de les envoyer dans des institutions. La France est le pays d'Europe où le moins de personnes meurent chez elles. La Suède considère qu'interner loin de chez elle une personne souffrant d'un handicap mental, de la maladie d'Alzheimer, d'un traumatisme crânien, d'autisme ou de trisomie 21 revient à lui dénier ses droits civiques. Toute personne a le droit de vivre près des siens, elle est accompagnée chez elle, et non exilée. La France, qui manque de places dans ses institutions, au point d'envoyer nombre de ses enfants autistes en Belgique, devrait au contraire développer leur accompagnement à domicile. Cela suppose de redistribuer les ressources humaines et financières de notre système de santé.

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