Intervention de Michel Vaspart

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 2 décembre 2014 : 1ère réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Examen du rapport pour avis

Photo de Michel VaspartMichel Vaspart, en remplacement de Rémy Pointereau, rapporteur pour avis :

Je vous présente ce rapport au nom de notre collègue Rémy Pointereau, qui ne peut être présent cette semaine et vous prie de l'excuser. Les propos que je tiendrai ici sont donc les siens, même si je les exprime à la première personne.

La présentation de ce projet de loi n'est d'ailleurs pas trop difficile puisque, comme l'a très justement résumé Jean-Pierre Raffarin au cours de son audition, « nous connaissons tous le sujet ; il s'agit maintenant d'arbitrer. C'est le gros avantage du Sénat : nous n'avons pas à chercher les compétences ailleurs. » Je m'en tiendrai donc à quelques remarques d'ordre général, avant de vous présenter plus en détail les articles soumis à l'avis de notre commission.

Tout d'abord, sur la forme. Cette réforme territoriale est menée dans un désordre et une confusion absolus ! Les élus des zones rurales ne comprennent pas l'enchaînement des lois relatives à l'organisation de la République - mais les communes urbaines le comprennent-elles mieux ? Il aurait sans doute été préférable de réfléchir à une loi-cadre, déclinée ensuite dans d'autres textes. Or l'approche qui a été retenue est celle d'une fragmentation entre la loi du 27 janvier 2014 qui crée les métropoles, le projet de loi sur la délimitation des régions dont l'adoption définitive est imminente et le présent texte sur l'organisation territoriale de la République.

La première erreur, nous la connaissons, a été de faire des redécoupages avant de réfléchir à la répartition des compétences ! En effet, il ne s'agit pas simplement de redessiner une carte ! La réforme n'est pas faite pour les élus, mais pour les citoyens, pour l'amélioration de leur cadre de vie. Le but ultime est de faire en sorte que le service qui leur est rendu soit de meilleure qualité et coûte moins cher. Sur ce point, la question du regroupement des régions touche finalement peu les élus de terrain. En revanche, l'évolution des conseils généraux est un vrai sujet, car ce sont bien les premiers partenaires des élus au quotidien.

Les élus locaux se font également du souci s'agissant des ressources financières. Il est vrai que les communes rurales sont habituées à la disette, compte tenu de la faiblesse de leur base fiscale et de l'absence de cotisation foncière des entreprises sur leurs territoires. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut se satisfaire de l'absence d'étude des impacts financiers de ce projet de loi ! Une telle évaluation faisait également défaut à la loi du 27 janvier 2014, muette sur les nouveaux coûts supportés par les intercommunalités.

Il aurait donc fallu définir, dès le départ, les ressources et les compétences des régions avant de les fusionner. Comment évoquer en effet la puissance financière des régions si elles n'ont pas de ressources ? La fusion de deux régions n'augmente pas leurs moyens !

J'en viens maintenant aux remarques de fond, puisque l'objectif est de clarifier les compétences pour renforcer l'efficacité de chaque collectivité, en mettant notamment fin à la clause de compétence générale. Encore faut-il définir les missions avant de décliner les compétences ! Le Gouvernement a fait le pari aveugle de renforcer les régions et de confier l'exercice des compétences de proximité aux intercommunalités, avant d'envisager un temps, la suppression des départements à horizon 2020.

En ce qui me concerne, j'estime que cette solution ne correspond pas à la réalité des besoins ressentis sur le terrain. Des missions précises se dessinent : la commune est la base de la démocratie de proximité et du renforcement du lien social ; le département est le gestionnaire de proximité qui garantit la couverture en services publics ; la région est l'échelon de la stratégie qui veille à l'accessibilité du territoire en grandes infrastructures.

Il faut veiller à bien garder à l'esprit cette logique, car elle correspond à la manière dont s'expriment les besoins. Les revirements successifs du Gouvernement ne sont pas de nature à clarifier les choses. Ainsi, on envisage à présent de confier la distribution de l'électricité et de l'eau potable, effectuée par les syndicats, aux départements qu'on voulait supprimer il y a peu ! Il faut bien dire que les conseils généraux sont les principaux perdants du projet de loi. Le département perd beaucoup de compétences, ce qui peut avoir pour effet pervers de faire apparaître une forme de concurrence avec les syndicats. Je pense d'ailleurs que la tendance à venir est la constitution de grands syndicats départementaux pour la gestion de l'eau ou des déchets.

D'une façon générale, il ressort bien, de l'ensemble des débats et auditions sur ce texte, que les conseils généraux souhaiteraient conserver certaines compétences que les régions ne semblent d'ailleurs pas demander. Et les régions, elle, aspirent à certaines compétences d'État, qu'il ne veut pas leur déléguer. Nous sommes ici un certain nombre de sénateurs à avoir imaginé que les régions et les départements puissent fonctionner comme les communes et les communautés de communes. Nous aurions ainsi deux couples où l'instance inférieure, douée de compétence générale, mutualiserait dans l'instance supérieure ce qu'elle ne peut faire seule. Une élection des conseillers régionaux au second degré, comme autrefois, ferait de la région une communauté de départements, ce qui éviterait les doublons.

Ces réflexions m'amènent logiquement à aborder la question du bloc communal. Je partage la vision d'une République au plus près du terrain. La seule réponse à la complexité croissante de notre société, c'est la proximité. Il faut que les compétences de proximité restent au bloc local. Il est essentiel de remettre la commune au coeur du dispositif. Le citoyen comprend ce qui se passe dans la commune : elle constitue la base de la République, il n'est pas possible de s'en passer. Je me méfie de l'administration parisienne, qui envisage, tous gouvernements confondus, de faire élire les présidents de communautés de communes au suffrage universel et à terme, de supprimer les maires.

Faire le pari de la commune ne freine en rien la mutualisation. Nous la pratiquons d'ailleurs depuis longtemps aves les déchetteries, les équipements sportifs et dans bien d'autres domaines ! Qu'est-ce d'autre qu'une communauté de communes ? Il y a bien mutualisation, mais les décisions sont prises autour de la table : le maire reste le médiateur de la complexité générale.

Il faut donc faire attention à ne pas renforcer excessivement les intercommunalités. En zone rurale, les élus locaux ont du mal à les appréhender. En zone périurbaine, elles ne sont parfois que des décompressions des budgets des villes-centre. Et leur domination politique sur les communes périphériques est une réalité. N'oublions pas que les élus locaux éprouvent toujours une sorte de rejet du pouvoir politique dominant !

Je regarde également d'un mauvais oeil le système qui consiste à répartir les dotations en fonction du degré de mutualisation. La mutualisation doit rester libre pour s'adapter au territoire.

L'intercommunalité n'est pas la réponse à tout. Associer 20 ou 25 communes pauvres ne fait pas une intercommunalité riche. Je ne crois pas aux fusions arbitraires. Le seuil des 20 000 habitants, prévu par le projet de loi, soulève une profonde inquiétude chez les élus ruraux. Dans ces territoires, il est en effet difficile d'atteindre un ensemble de cette taille, sauf à ignorer les distances et les coûts induits. En zone urbaine en revanche, 20 000 habitants, c'est peu. Nous devons sortir d'une logique purement quantitative et privilégier l'humain en adoptant une logique qualitative ! Faisons confiance à l'intelligence collective des élus locaux pour placer le curseur au bon endroit. Pourquoi ne pas laisser chaque département, par le biais de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI), décider du niveau pertinent du seuil en fonction des réalités territoriales ?

J'en ai terminé avec ces considérations générales qui expliquent ma position sur chacun des sujets précis dont notre commission s'est saisie sur ce projet de loi. Pour rappel, celui-ci comporte 36 articles divisés en six titres. Le titre Ier, qui comporte les articles 1 à 13, a trait au renforcement des compétences régionales et à l'évolution de la carte des régions. Le titre II, avec les articles 14 à 23, porte sur les questions relatives aux communes et à l'intercommunalité. Le titre III, qui contient les articles 24 à 29, traite des enjeux d'accessibilité et de solidarité territoriale. Le titre IV, avec les articles 30 à 34, vise à améliorer la transparence et la responsabilité financières des collectivités territoriales. Le titre V, avec les articles 35 et 36, regroupe les dispositions relatives aux agents. Enfin, le titre VI rassemble les dispositions transitoires et finales dans un unique article 37.

J'entre à présent dans le détail des onze articles dont notre commission s'est saisie pour avis.

L'article 5 crée un plan régional de prévention et de gestion des déchets. Vous le savez, trois schémas coexistent aujourd'hui : les plan régionaux de gestion des déchets dangereux, les plans départementaux de gestion de déchets non dangereux, et les plans départementaux de gestion des déchets du bâtiment. L'objectif de l'article est de simplifier cette planification en rassemblant ces trois plans en un seul, au niveau régional. L'idée est de mieux prendre en compte les évolutions démographiques, techniques, et les objectifs de valorisation. Je crois que cet article participe d'une rationalisation nécessaire de la planification en matière de gestion des déchets et je vous proposerai donc d'émettre un avis favorable à son adoption.

L'article 6 crée un schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire, qui a vocation à absorber les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie, les schémas régionaux de l'intermodalité et les plans régionaux de prévention et de gestion des déchets. Le SRADDT est donc conçu pour devenir le document essentiel de planification des orientations stratégiques des régions en matière d'aménagement du territoire, de mobilité et de lutte contre le dérèglement climatique.

Là encore, la volonté de rationalisation de la planification est louable ; pour autant, un point mérite notre attention. Le gouvernement souhaite que ces nouveaux schémas aient une valeur prescriptive à l'égard des documents d'urbanisme (SCoT, PLU) élaborés par les communes ou leurs groupements. À l'heure où nous réfléchissons tous aux moyens de réduire le nombre de normes afin de simplifier la vie des collectivités, des entreprises et des citoyens, le principe de subsidiarité devrait prévaloir dans le cadre de cette réforme territoriale. Il n'est pas souhaitable que ces schémas régionaux puissent imposer des règles territorialisées aux échelons inférieurs. Sans aller jusqu'à parler de tutelle, je crois toutefois qu'il s'agit d'une atteinte contreproductive à la libre administration des collectivités. Sans modifier l'équilibre du schéma, qui me semble être un outil rationnel de planification, je vous proposerai donc de supprimer ce caractère prescriptif.

L'article 7 prévoit l'entrée en vigueur du nouveau schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire : ces schémas pourront être mis en place à l'expiration des précédents schémas régionaux, ce qui laisse un délai aux collectivités pour s'adapter. L'article prévoit aussi, comme c'est malheureusement de plus en plus souvent l'usage, une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance dans un délai de 18 mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi, pour préciser le contenu du nouveau schéma. Je vous proposerai de supprimer cette habilitation. Les modalités d'élaboration et le contenu du schéma sont précisés dans le projet de loi : cette habilitation ne se justifie pas.

L'article 8 octroie aux régions la responsabilité de l'ensemble des services de transport routier non urbain, y compris les transports scolaires. Or, il s'agit d'une compétence de proximité, qui ne sera à mon sens pas mieux gérée à l'échelon régional, en particulier si les régions sont élargies ! Leur transfert pourrait même engendrer des surcoûts de gestion. Je vous propose donc un amendement de suppression de l'article, afin que les départements puissent continuer à gérer ces services de transport routier comme aujourd'hui, qu'il s'agisse des services réguliers ou à la demande.

L'article 9 transfère la voirie départementale aux régions. Dans la même logique, je vous proposerai un amendement de suppression. La gestion des routes nécessite d'être effectuée au plus près du terrain, afin de permettre une certaine réactivité face aux accidents ou intempéries. Dans ce cadre, il ne me paraît pas raisonnable de transférer cette compétence aux régions, qui doivent rester des collectivités territoriales à dimension stratégique et non opérationnelle. Je rappelle en outre que les départements ont développé une réelle expertise dans ce domaine depuis le début des années 1980 ; il serait dommage de s'en priver.

L'article 10 ouvre une possibilité pérenne de transférer, au cas par cas, les aérodromes pour lesquels il est plus approprié de confier la compétence aux collectivités territoriales intéressées. La logique est radicalement différente de celle retenue en 2004, où le transfert de 150 aérodromes était une opération ponctuelle et unilatérale de l'État. Il s'agit désormais de reconnaître aux collectivités un droit permanent, à partir du moment où l'aéroport n'est plus d'intérêt national ou nécessaire à des besoins militaires, à bénéficier du transfert, sur la base du volontariat. Je suis favorable à cette disposition, qui aura pour effet de décentraliser un nombre limité d'aéroports. Cela donnera surtout une cohérence d'ensemble aux aéroports restant de la compétence de l'État, c'est-à-dire ceux qui jouent un rôle structurant ou stratégique.

L'article 11 met en place une procédure de transfert des ports relevant du département aux autres échelons, à savoir la région et le bloc communal. Environ 270 ports sont a priori concernés par cette opération. La procédure sera conduite sous l'égide du préfet de région, qui tranchera in fine entre les candidatures concurrentes, si la concertation prévue n'a pas abouti. Je suis favorable à cette disposition, en phase avec les conclusions du rapport remis l'été dernier par notre collègue Odette Herviaux au ministre Frédéric Cuvillier, sur la décentralisation portuaire. Les ports sont des noeuds économiques stratégiques, qui nécessitent des compétences très larges, afin d'exploiter au mieux leur hinterland. Je vous propose simplement de supprimer le caractère automatique du transfert à la région au 31 mars 2016, afin de laisser davantage de temps à la concertation, en particulier pour les petits ports de plaisance qui représentent beaucoup de charges d'entretien et qui ne susciteront pas forcément de candidature spontanée.

L'article 14 propose d'accroître la taille minimale des EPCI à fiscalité propre en relevant le seuil de 5 000 à 20 000 habitants. Je viens de vous exposer ma position sur ce sujet. Je vous propose donc logiquement d'adopter un amendement qui conserve le seuil actuel des 5 000 habitants, laissant à la CDCI le choix de l'augmenter en fonction des réalités du département concerné. Cet article a également pour objectif de réduire le nombre des structures syndicales intervenant dans les domaines de l'eau potable, de l'assainissement, des déchets, du gaz, de l'électricité et des transports. Je vous proposerai un amendement pour préciser que l'objectif n'est pas tellement d'éviter les double-emplois, mais plutôt de viser la rationalisation des compétences et des périmètres, afin d'éviter une stérile mise en concurrence des EPCI à fiscalité propre et des grands syndicats.

L'article 25 relance la dynamique des schémas d'amélioration de l'accessibilité des services au public sur le territoire départemental. Je n'y suis pas hostile, mais j'espère simplement qu'ils connaîtront un meilleur succès que ceux initialement prévus par la loi d'aménagement du territoire du 4 février 1995, qui étaient restés lettre morte. Il est vrai qu'il faut continuer à mobiliser les acteurs pour lutter contre l'éloignement préoccupant de certains services publics et privés en zone rurale.

L'article 26 propose une nouvelle mouture des « maisons de services au public » en mettant l'accent sur la mutualisation des services publics et privés. Il s'agit pour l'essentiel d'adapter le droit aux faits, et j'y suis favorable. En effet, ces espaces connaissent depuis quelques années une hybridation croissante entre public et privé. Ils présentent des statuts et des formes d'organisation variés, selon les contextes locaux, et peuvent être portés aussi bien par une personne publique que par une association loi 1901 ou une entreprise commerciale. Il est donc nécessaire de prévoir un cadre juridique souple qui puisse s'adapter à l'ensemble de ces situations. Je me méfie en revanche de l'objectif annoncé par le Gouvernement d'atteindre 1 000 maisons de service au public à horizon 2017, ce qui reviendrait à doubler leur nombre. En dépit de la création annoncée d'un fonds pour les financer, alimenté par les opérateurs, je n'ai aucun doute sur le fait que cette dynamique contribuera inéluctablement à augmenter la charge pesant sur les collectivités locales.

Enfin, l'article 27 clarifie la gouvernance et la répartition des compétences d'aménagement numérique : il est désormais précisé qu'un groupement de collectivités doit avoir bénéficié d'un transfert préalable de compétence de ses membres pour établir et exploiter des réseaux de communications électroniques. Cet article facilite en outre la participation financière des collectivités à un projet numérique porté par un syndicat mixte, en leur permettant le versement de fonds de concours pouvant être inscrits dans la section d'investissement de leur propre budget - et non en section de fonctionnement, comme c'est actuellement le cas. Je vous propose un amendement étendant cette possibilité à l'ensemble des groupements de collectivités, et non aux seuls syndicats mixtes, afin de sécuriser certains montages existants ; je vous propose également de rallonger de dix à trente ans la fenêtre durant laquelle il est possible de recourir à ce dispositif.

Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que la décentralisation n'est pas une politique comme une autre. Quand nous sommes dans les territoires, nous voyons la situation des PME, des artisans, des agriculteurs. Or plus leur douleur est grande, moins elle est entendue. A Paris, les gens n'en ont pas conscience. Le véritable succès de la décentralisation, c'est d'avoir apporté la République au plus près du terrain. En s'éloignant de cet esprit, on se rapproche du populisme.

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