Israël-Palestine est la terre du Livre, de la Bible, qui rassemble un peuple dispersé. Terre symbolique, chargée de l'imagination des siècles, du rituel des ancêtres, et du poids de ce Livre, elle ne cesse d'être l'enjeu de débats passionnés et d'une colonisation controversée. Comment négocier un symbole ? Tous les efforts déployés pour la normalisation du rapport des Juifs à leur terre se heurtent à l'obstacle de sa sacralisation. Chaque centimètre carré de territoire est converti en absolu, par les Juifs et, tout autant, en réaction, par les Palestiniens. Pourquoi cette terre ne peut-elle ressembler aux autres, ni devenir à ceux qui l'habitent aussi naturelle que l'air qu'ils respirent? L'Occident chrétien lui-même ne regarde pas avec indifférence ce petit coin du Moyen-Orient disputé où se trouvent les lieux saints : la Terre sainte le reste, et pour tous. C'est là qu'est né, il y a 66 ans, l'Etat moderne d'Israël, et là qu'attend de renaître l'Etat de Palestine.
En 1918, il y a 664 000 Arabes en Palestine et environ 82 700 Juifs. La présence britannique, depuis 1922, et l'immigration juive donnent lieu à des montées de violences et à des révoltes arabes dans les années 1930-1940. La situation, toujours plus explosive, pousse les Britanniques à quitter la région. En mai 1947, le dossier de la Palestine est présenté à l'ONU et une commission spéciale de l'United Nations Special Committee on Palestine (UNSCOP) est chargée de formuler un projet. Ce sera celui d'un partage en deux Etats économiquement liés, Jérusalem et sa région étant placées sous administration de l'ONU. La communauté juive de Palestine approuve ce partage, les Arabes, mécontents, s'en prennent aux colonies juives. La Guerre d'Indépendance engagée par les Juifs donne naissance à l'Etat d'Israël, proclamé le 14 mai 1948. Des centaines de milliers de Palestiniens sont contraints à l'exil. Cette tragédie, synonyme de spoliation, de déracinement et de dispersion pour le peuple palestinien, c'est la Nakba, ce qu'on peut traduire par catastrophe, un terme qui finira, sans en être synonyme, par faire écho à un autre, celui de « Shoah ».
La fondation de l'Etat d'Israël n'est pas la conséquence directe du génocide. Elle est d'abord l'aboutissement d'un projet national, la traduction concrète du nationalisme juif, né au XIXe siècle, dans le sillage d'un développement général des mouvements nationaux en Europe. Reste que le génocide hâte le processus. Israël sera un refuge pour les Juifs persécutés et en transit dans les camps.
Deux peuples, pour une seule terre, convoitée par les exilés juifs d'hier et par les exilés palestiniens d'aujourd'hui. Rien ne dit mieux que ces vers du poète palestinien Mahmoud Darwish la nostalgie, la souffrance, le sentiment de perte irréparable que cette terre engendre chez les Palestiniens :
« La Palestine est belle - oui la Palestine est belle
« Variée riche - riche en histoire
« C'est une terre de mythes
« de pluralismes
« et elle est fertile malgré le manque d'eau
« elle est modeste aussi
« la nature y est modeste
« c'est un pays simple
« Voici la terre de mon poème
« et dans ces terres je me sens un peu étranger
« il est vrai que l'on peut se sentir étranger
« même dans son propre miroir
il y a quelque chose qui me manque
« et ça me fait mal
« je me sens comme un touriste
« sans les libertés du touriste.
« Être en visite me mine,
« quoi de plus éprouvant que se rendre visite à soi-même ?
N'est-il pas temps de tourner la page des souffrances, des morts, des blessés, des destructions, de la misère, des missiles, de la terreur et de la peur ? Le vote d'hier, à l'Assemblée nationale, d'une proposition de loi semblable à celles dont nous débattons aujourd'hui envoie un message clair, simple, symbolique de première importance aux deux peuples, au gouvernement d'Israël et aux autorités de la Palestine occupée. Ce message vient après ceux partis de Suède, d'Angleterre, d'Irlande et d'Espagne.
Cette reconnaissance est une urgence d'abord pour les Palestiniens et pour Mahmoud Abbas, qui proposera au Conseil de sécurité de l'ONU une résolution appelant à un retrait israélien complet, dans les deux ans, des territoires palestiniens occupés depuis 1967. On peut supposer que les Etats-Unis exerceront leur droit de veto. Aux Européens de faire entendre une autre voix. Le processus de paix est au point mort, Israël préfère maintenir le statu quo et poursuit les constructions dans les colonies.
Les marges de manoeuvre diplomatique sont étroites. Tout vote symbolique en faveur de la reconnaissance de l'Etat palestinien aux côtés de l'Etat israélien - dont toutes les parties doivent reconnaître le droit à l'existence et à la sécurité - est néanmoins un pas en avant et neutralisera l'influence du Hamas, dans un contexte préoccupant. Les Etats européens ont intérêt à pousser dans ce sens et à passer enfin des mots, des subventions, aux actes. De tels votes en faveur de la reconnaissance de l'Etat palestinien pourraient amener Israël à sortir de son isolement, à entamer de vrais pourparlers avec des Palestiniens désormais considérés comme des égaux.
De tels votes pourraient avoir des retombées positives dans les pays de l'Union européenne, et spécialement en France. On se souvient des manifestations de cet été, des violences et des dérapages. La reconnaissance par la France de l'Etat de Palestine serait perçue, non comme la victoire d'un camp contre l'autre mais comme un rééquilibrage indispensable. Elle couperait l'herbe sous le pied de ces petites minorités promptes à accuser les Juifs de je ne sais quels complots. Il est fort regrettable que les sénatrices et les sénateurs avancent en ordre dispersé. Espérons que l'issue de nos scrutins, au Sénat, soit malgré tout positive.
Ce serait un pas de plus en avant, la réaffirmation d'un simple principe d'équité et de justice - le seul qui devrait nous guider -, l'expression d'un soutien de poids aux Palestiniens, aux militants de la paix en Israël, et à la future coexistence pacifique de deux Etats indépendants. Ce serait aussi un signal en faveur d'un renouveau de notre savoir-vivre ensemble, ici en France, un signal en faveur d'un apaisement entre juifs et musulmans. Ces arguments devraient suffire à nous unir, malgré nos divergences sur tel ou tel point de détail, pour voter, par-delà nos sensibilités politiques différentes, un texte commun qui fasse entendre aux Israéliens que la colonisation doit cesser sans délai, si l'on veut vraiment que naisse un Etat palestinien viable, et qui fasse aussi entendre aux Palestiniens que le terrorisme n'est pas le chemin qui mène à l'indépendance. Ce texte ferait enfin entendre aux uns et aux autres que la reprise des négociations est une urgence absolue, et que nul ne doit accepter de tomber dans le piège tendu par les extrémistes des deux bords. Il y a plus sacré que la terre : la vie des hommes et des femmes qui l'habitent.