Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grandes lignes de ce projet de loi de finances pour 2006 se trouvent traduites dans les orientations générales du texte, ainsi déclinées : soutenir la croissance, développer l'emploi et consolider le redressement de nos finances publiques.
Si l'on devait résumer en quelques mots ce que signifie cette triple orientation, on pourrait le traduire ainsi : alléger l'impôt sur les sociétés et l'impôt de solidarité sur la fortune, remplacer les emplois publics et les emplois industriels supprimés par des emplois précaires, réduire la dépense publique tout en transférant une partie du déficit à la sécurité sociale.
Ce sont là quelques-uns des moyens utilisés par le Gouvernement pour atteindre les objectifs affichés.
Nous avons eu l'occasion, lors de la discussion générale, de pointer nombre des aspects critiquables de ce projet de loi, d'autant que tout montre, à l'examen des paramètres retenus, qu'il est insincère et qu'il permettra, le moment venu, tous les ajustements et tous les arrangements possibles.
Nous connaîtrons donc dès le mois de janvier le gel de crédits pourtant à peine votés, et nous aurons droit au fil des mois aux habituels décrets d'annulation de crédits, aux opérations de virement et de répartition.
Tout se passe, d'ailleurs, comme si la discussion de la loi de finances, année après année, et malgré - ou à cause - de la loi organique sur les lois de finances, s'apparentait de plus en plus à un théâtre d'ombres dont le scénario ne serait pas communiqué aux acteurs et dont seuls les auteurs connaîtraient le déroulement final.
Ce n'est évidemment pas là notre conception du débat parlementaire et du débat démocratique.
Je me permettrai simplement de rappeler ce qui faisait la une de l'actualité au moment du débat budgétaire, au début de l'automne.
Nous étions alors informés, chaque jour ou presque, des difficultés traversées par quelques propriétaires de l'île de Ré confrontés à l'imposition au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune. Il est vrai qu'avec une hausse des valeurs immobilières de 100 % en cinq ans et un CAC 40 grimpant de 17 % depuis le début de l'année on ne pouvait que constater cette croissance de la valeur des patrimoines imposables. Nombreux sont d'ailleurs les salariés qui auraient sans doute aimé connaître, eux aussi, cette situation durant la même période.
En tout cas, fin septembre, la priorité des priorités, dans le débat budgétaire, c'était la baisse de l'impôt de solidarité sur la fortune. Pas moins de dix propositions de lois sur l'ISF ont été déposées pendant cette période par des parlementaires de la majorité.
Le problème, c'est que la réalité sociale a rattrapé d'un seul coup les intentions affichées. L'explosion de violence dans les banlieues que nous venons de vivre est soudain venue rappeler qu'il y avait à l'évidence d'autres priorités. Ces violences sont bien sûr inacceptables, mais elles sont révélatrices d'une crise profonde qui confirme un besoin urgent de solutions alternatives, porteuses de progrès social et de justice.
Les souffrances qui minent nos quartiers populaires appellent à un engagement résolu et durable en faveur des populations les plus démunies.
Le malaise des banlieues, où vivent près d'un Français sur trois, illustre qu'il est largement temps que les choix budgétaires et politiques de notre pays fassent enfin place à la satisfaction des besoins.
Quel intérêt de voir les déficits publics tenus dans des limites acceptables lorsque l'emploi précaire et le logement surpeuplé demeurent le quotidien de millions d'habitants de notre pays ? Quel intérêt de maîtriser la dépense publique quand l'école ne peut plus répondre à l'attente des jeunes et des parents, quand on ne construit plus assez de logements sociaux, quand le droit à la santé n'est pas une réalité pour les plus démunis ?
Ce budget ne correspond pas aux nécessités du moment, à l'état d'urgence sociale dans lequel nous nous trouvons avec la confirmation de l'ampleur des inégalités et des problèmes sociaux vécus au quotidien par nos compatriotes.
C'est d'un tout autre budget qu'ont besoin les habitants de notre pays, qui vous ont d'ailleurs, à plusieurs reprises depuis 2002, signifié à quel point les choix que vous opérez ne sont pas les bons, à quel point la politique que vous menez ne correspond nullement à leurs attentes.
J'aimerais évoquer certains propos entendus lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale.
« Premièrement, ce projet de budget pour 2006 n'est pas sincère quant aux prévisions de croissance, au taux de croissance des dépenses publiques et à l'aggravation de la pression fiscale. Vous renoncez à dire l'extrême gravité de la situation de nos finances publiques et à en tirer les conséquences.
« Deuxièmement, ce texte représente une menace pour l'avenir de nos finances publiques.
« Troisièmement, ce texte comporte des mesures fiscales injustes. Au lieu de soulager la pression fiscale pesant sur les classes moyennes, vous concentrez les cadeaux fiscaux sur les plus gros contribuables : les deux tiers du coût du bouclier fiscal profiteront à 14 000 contribuables imposables à l'ISF, pour 250 millions d'euros. »
L'auteur de ce véritable réquisitoire contre le projet de loi de finances pour 2006 est notre collègue Charles-Amédée de Courson, député UDF de la Marne, qui expliquait ainsi la position de son groupe lors du vote de la première partie.
Comme nul ne l'ignore ici, seul le groupe UMP de l'Assemblée nationale a estimé utile de voter en faveur du projet de loi de finances qui nous est aujourd'hui proposé. Tous les autres groupes, qu'il s'agisse du groupe des députés communistes et républicains, du groupe des socialistes et apparentés ou encore du groupe UDF, ont voté contre ce projet de budget pour 2006, exprimant ainsi la nécessité d'un autre budget.
Par cette motion tendant à opposer la question préalable, nous entendons donc prolonger cette exigence.
Outre les raisons et les motifs que je viens d'évoquer, j'aborderai rapidement quatre raisons principales qui justifient, à notre sens, cette motion.
Tout d'abord, ce projet de loi de finances qui nous est présenté pour 2006 constitue un véritable déni de l'expression démocratique de nos concitoyens. C'est le respect du suffrage universel tel qu'il s'est exprimé le 29 mai 2005 qui est en cause.
La deuxième raison tient au manque de sincérité des hypothèses économiques retenues, qui a pour effet de faire débattre la représentation nationale sur un faux budget. Votre prévision de croissance, monsieur le ministre, que vous établissez à 2, 25 %, est infirmée par l'ensemble des conjoncturistes, qui l'évaluent en moyenne à 1, 8 %. Vos prévisions sont irréalistes et l'erreur potentielle contenue dans ce budget est de 20 %. Il s'agit donc d'un budget d'affichage, qui vous permet d'évaluer le déficit public de la France à 2, 9 % du produit intérieur brut en 2006, soit à un niveau inférieur aux 3 % exigés par les critères de Maastricht.
La troisième raison de réfuter ce projet de budget est que celui-ci continue à réduire l'autonomie fiscale et financière des collectivités locales. La réforme engagée de la taxe professionnelle, c'est-à-dire son plafonnement à 3, 5 % de la valeur ajoutée, aura des conséquences négatives sur les services locaux rendus aux populations.
Le congrès de l'Association des maires de France se fait l'écho des inquiétudes des élus locaux s'agissant des conséquences de ce projet de budget sur les finances locales. L'impôt local ne doit pas servir de variable d'ajustement à la politique fiscale de l'État, et l'autonomie financière des communes doit être préservée.
La quatrième raison qui justifie cette question préalable tient au non-respect de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dispose : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Cet article affirme le principe du respect de la faculté contributive. Le principe de la progressivité de l'impôt est également affirmé par la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1981 relative à l'ISF.
Or vous vous attachez à limiter cette progressivité, voire à l'éliminer. Ce faisant, vous favorisez les plus fortunés et vous augmentez le poids des impôts les plus injustes que sont la TVA et la TIPP.
Prenons l'exemple de la baisse de l'impôt sur le revenu. On peut tourner la question dans tous les sens, mais rien n'y fait : pour les 15 millions à 20 millions de contribuables qui sont, de toute manière, empêchés par la modicité de leurs revenus d'acquitter la moindre cotisation, cette réforme ne change rien.
Chacun sait pertinemment que les principaux gagnants de la réforme seront les catégories les plus aisées de la population, notamment celles dont les revenus non salariaux vont largement bénéficier de l'intégration de l'abattement des 20 % dans le barème.
Cet abattement, accordé aux salariés mais également étendu à d'autres contribuables, est un formidable jackpot fiscal pour les plus aisés, pour les plus fortunés.
Et que dire de cette accumulation de cadeaux, qui font suite à la réforme de l'imposition du patrimoine, à l'allégement de l'ISF, à la multiplication et à la persistance de multiples niches fiscales dont on sait parfaitement qu'elles n'ont aucune influence réelle sur la situation de l'emploi et de la croissance et qu'elles ne recouvrent qu'une seule réalité tangible : l'économie d'impôt qu'elles permettent aux initiés !
Les 3, 5 milliards d'euros que coûtera la réforme de l'impôt sur le revenu ainsi que les milliards d'euros de dégrèvements accordés au titre de la taxe professionnelle vont manquer à l'appel pour répondre aux urgences sociales en matière d'emploi, de santé, de logement, de politique de la ville, de soutien à la vie associative, à la création artistique, à la préservation du patrimoine culturel et des espaces naturels.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez que le groupe communiste républicain et citoyen appelle le Sénat, en adoptant cette question préalable, à faire valoir enfin d'autres choix que ceux qui nous sont proposés pour l'heure dans ce projet de loi de finances pour 2006.