Intervention de Marylise Lebranchu

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 décembre 2014 : 1ère réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Audition de Mme Marylise Lebranchu ministre de la décentralisation et de la fonction publique et de M. André Vallini secrétaire d'état à la réforme territoriale

Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique :

André Vallini et moi-même avons participé, dans toute la France, à des débats républicains tenus à huis-clos afin de favoriser la libre expression des participants ; nous étions vendredi dernier à Caen. Le projet, enrichi, a évolué sur de nombreux points.

Le Président de la République et le Premier ministre souhaitent que ce texte atteigne sa forme définitive à partir d'accords trouvés en amont avec le Parlement, en particulier avec le Sénat. Le président du groupe UMP, retenu ce matin par une session budgétaire dans son département, m'a fait part de son souhait que nous fassions mieux, cette fois, que lors de l'établissement de la carte régionale. Nos échanges ont fait apparaître des divergences transpartisanes. On nous reproche d'avoir changé d'avis au sujet des départements : c'est vrai. Envisageant tout à la fois la question constitutionnelle, la nécessité d'avoir des majorités et la question des solidarités territoriales, le Président de la République et le Premier ministre ont tranché : nous avons un mandat devant nous pour nous poser ensemble la question du devenir des départements. Nous devons en revanche être attentifs dès maintenant aux compétences essentielles maintenues à cet échelon.

Le rapport Raffarin-Krattinger posait l'alternative de très grandes régions dans lesquelles les départements seraient conservés, ou de petites régions sans département. Nous avons réalisé un choix intermédiaire : les régions sont assez grandes pour que se pose la question de l'échelon de proximité et du lien entre la région et le bloc communal. Certains préconisent que cette fonction continue d'être celle des départements.

Ce texte fait suite à la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, qui a créé la conférence territoriale de l'action publique (CTAP), outil essentiel pour adapter la gestion des compétences à la réalité géographique et historique diverse des régions de France. Conscient de cette diversité, l'État est prêt à faire confiance aux élus pour trouver des accords dans chaque région.

Leurs compétences économiques doivent être renforcées, afin que chacune définisse une stratégie originale associant l'enseignement supérieur, la recherche et le développement, et les transferts de technologie : quel secteur privilégier ? Pour quelles créations d'emplois ? Notre pays est victime de l'antienne de la fin du XXème siècle selon laquelle l'économie des services allait substituer ses emplois à ceux perdus dans l'industrie. Il faut au contraire continuer à travailler sur ces deux piliers de l'économie, dans le cadre de stratégies élaborées par chaque région. Elles sont seules à pouvoir aider directement les entreprises, notamment par une entrée temporaire dans leur capital dans certains cas précisément définis - création, difficultés créées par de très gros marchés - qui requiert aujourd'hui de passer devant le Conseil d'État.

Nos échanges avec les deux commissaires européens compétents ont fait apparaître que les régions pourraient apporter leur garantie à des prêts bancaires de longue durée de la Banque européenne d'investissement (BEI), en particulier dans les secteurs présentant des risques en matière de technologie.

Les régions sont également confortées dans leurs fonctions relatives à la formation professionnelle. Espérons que cela contribue à mettre fin à la concurrence entre enseignement initial dans les lycées professionnels ou techniques et formations en apprentissage portées par les chambres des métiers, les chambres de commerce ou d'autres organisations. Nous ne sommes pas allés jusqu'à donner aux régions une compétence sur l'enseignement professionnel.

Les régions conduisent énormément de schémas, nécessitant beaucoup d'études, de recherches et, finalement, de dépenses publiques qui ne sont pas toujours utiles. Limitons-les au schéma régional de développement économique, d'innovation, d'internationalisation et au schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire, portant sur l'intermodalité et l'environnement. La nécessité d'un engagement des régions pour les infrastructures est manifeste : certains schémas de cohérence territoriale (SCoT) et plans locaux d'urbanisme (PLU), conçus en fonction de l'histoire locale, ont dû être entièrement repris après la création d'un pôle gare ou d'un dispositif d'intermodalité. La discussion est ouverte sur le contenu, l'opposabilité et la cohérence du schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire.

La question des instances exécutives et délibératives ne nous semble pas relever immédiatement de la définition des compétences.

Si la clause de compétence générale des départements est supprimée, vos débats et nos échanges nous ont conduits à créer à leur intention une compétence de solidarité territoriale : un projet structurant important pour une commune, une intercommunalité, ou toute autre organisation, qui ne se réaliserait pas faute d'aide du département, manquerait au pays. Beaucoup de zones rurales ou montagnardes en particulier connaissent de grandes difficultés d'ingénierie ; la compétence de solidarité territoriale pourra y remédier. Reconnaissons cependant que la réflexion à ce sujet est en cours : il faut le dire, nous ne sommes pas prêts.

La suppression des départements suppose la majorité nécessaire à une révision constitutionnelle. Nous avons cinq ans pour élaborer une solution, pendant lesquels les compétences sociales et de solidarité seront les plus observées par nos concitoyens.

Le débat se concentre sur les routes et les collèges. Est-il opportun de transférer l'ensemble des infrastructures de mobilité, pour plus de cohérence ? La question me semble relever de la CTAP. Dans certaines cités scolaires, les personnels non enseignants relèvent de trois employeurs différents : collège, région et État.

Nous discuterons le 15 décembre prochain de la proposition de loi de M. Pélissard et Mme Pires-Beaune sur les communes nouvelles. Ce sujet, qui n'existait pas il y a deux ans, suscite un intérêt croissant de la part de nos élus locaux : ils jugent avec raison que certaines communes ne pourront assumer les politiques publiques nouvelles demandées par nos concitoyens - pour la petite enfance, notamment - faute d'une assiette fiscale suffisante.

Si la clause de compétence générale nous semble indispensable pour les communes, nous souhaitons supprimer le maximum de syndicats intercommunaux, dont le périmètre est inférieur ou égal celui d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. Cela représente 17 milliards d'euros de dépenses, 9 milliards d'euros en fonctionnement. Les syndicats départementaux qui fonctionnent bien, pour des frais modestes, seront évidemment conservés.

L'horizon de 20 000 habitants fera l'objet, comme le Premier ministre l'a promis avant l'été, d'adaptations. Les critères en seront la densité démographique et le temps nécessaire pour se rendre du centre de l'intercommunalité à sa frontière. La visioconférence ne saurait remplacer entièrement les rencontres entre élus, et j'ai pu me rendre compte moi-même que 20 000 habitants ne se trouvent pas aisément réunis dans nos régions de montagne. Une intercommunalité de 18 990 habitants en zone de vitalité démographique doit évidemment être conservée. Le seuil de 20 000 est un objectif fixé par souci des ressources fiscales. Si nous voulons préserver nos terres agricoles et nos espaces naturels, nous aurons à réformer la dotation globale de fonctionnement (DGF) en trouvant un autre critère que le seul bâti pour déterminer les dotations de l'État. Nous nous sommes donné jusqu'au mois de juin 2015 pour bâtir une proposition ; les préfets recevront d'ici-là des instructions simples.

Nombreux sont ceux qui souhaitent rouvrir le dossier des deux grandes métropoles de Paris et de Marseille. L'étude de l'OCDE sur l'évolution de leur PIB montre la nécessité de rationaliser la dépense publique dans ces grands ensembles, tout en y améliorant les conditions de logement et de transport. Marseille pose en outre des questions spécifiques en tant que grand port méditerranéen, qui perd de ses parts de marché par rapport à Gênes, Valence et Barcelone ; les équipements appellent une rationalisation. Nous sommes ouverts aux propositions de tous les groupes politiques et de tous les élus pour trouver un statut sui generis pour ces territoires, afin que leurs maires soient mieux entendus sur les plans d'urbanisme et sur leurs priorités d'investissement. Nous ne sommes pas favorables, en revanche, à leur donner la possibilité de lever l'impôt. La cotisation foncière des entreprises (CFE) varie de 5 à 30 sur l'aire de Paris, ce qui provoque beaucoup de dumping entre les territoires : seuls ceux qui peuvent la maintenir très bas continuent d'attirer des sièges sociaux. La concurrence n'est pas une valeur, mais un fait. Substituons-y la coopération en lissant la CFE, quel que soit le temps que cela doit prendre.

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