Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le dynamisme et la qualité de notre recherche constituent un enjeu essentiel pour notre pays : investir dans la recherche aujourd’hui, c’est préparer la croissance de demain. La politique publique de la recherche a donc vocation à soutenir la recherche et, parfois, à l’orienter.
L’effort public en faveur de la recherche peut tout d’abord être apprécié au regard des crédits alloués. C’est pourquoi j’esquisserai, en premier lieu, les grandes lignes du budget de la recherche pour 2015.
Je précise d’emblée que les crédits consacrés à la recherche ne sont pas tous regroupés dans les programmes dits « Recherche » de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». L’action n° 17, Recherche, du programme 150, « Formations supérieures et recherche universitaire », que vient de présenter M. Philippe Adnot, est dotée de 3, 8 milliards d’euros en 2015 : en tenant compte de ce montant, le total des crédits en faveur de la recherche s’élève à 14, 4 milliards d’euros.
Mon analyse se centrera sur les programmes de la mission spécifiquement orientés vers la recherche, dont les crédits s’établissent à 10, 6 milliards d’euros.
Cela étant, une approche purement quantitative ne saurait suffire pour comprendre pleinement les défis auxquels la recherche est confrontée aujourd’hui. Je proposerai donc, en second lieu, quelques pistes de réflexion sur les problématiques auxquelles doit faire face la recherche française.
La rédaction initiale du projet de loi de finances pour 2015 conduisait à une relative stabilisation des crédits alloués à la recherche. L’heure étant au redressement des comptes publics, cette préservation relative des moyens accordés à ce secteur nous paraissait traduire la priorité donnée par le Gouvernement aux dépenses d’avenir.
En effet, dans la rédaction initiale du projet de loi de finances pour 2015, les crédits ne devaient connaître qu’une baisse modérée, inférieure à 1 %. Quant au budget triennal à venir, de 2015 à 2017, il devait également constater une stabilisation des crédits de la recherche.
Deux programmes dépendent du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche : le programme 172, « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », qui concentre l’essentiel des opérateurs de recherche publique et bénéficie d’environ 60 % des crédits alloués aux programmes dits « Recherche », et le programme 193, « Recherche spatiale ». Hier se tenait au Luxembourg une réunion de l’Agence spatiale européenne qui devait décider de l’avenir du programme Ariane. Je me réjouis de l’accord historique auquel les partenaires européens sont parvenus pour développer le nouveau lanceur Ariane 6.
Dans ce programme de 4 milliards d’euros, la France s’est engagée à hauteur de 52 % et l’Allemagne à hauteur de 22 %. La France a conforté sa position de leader européen et tous les pays du programme sont désormais à même de continuer à construire ensemble une politique spatiale susceptible de résister au redoutable concurrent américain Space X et de garantir à l’Europe son autonomie pour l’accès à l’espace.
Le programme 190, « Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables », rattaché au ministère de l’écologie, bénéficie d’un financement élevé avec 1, 4 milliard d’euros de crédits pour 2015. Et les quatre programmes restants, rattachés à différents ministères – défense, culture, agriculture, économie et industrie – sont dotés de crédits dont le montant total s'élève également à 1, 4 milliard d’euros.
Si j’ai donc d’abord observé avec satisfaction la stabilisation des crédits de la recherche, j’ai regretté ensuite que cette préservation soit remise en cause : les crédits des programmes de recherche ont en effet été réduits à hauteur de 66 millions d’euros par un amendement du Gouvernement adopté par l’Assemblée nationale dans le cadre d’une seconde délibération sur la seconde partie du projet de loi de finances pour 2015. La commission des finances du Sénat, qui pensait d’abord proposer au Sénat l’adoption des crédits, a finalement décidé de proposer l’inverse, en raison de cette minoration.
Cette réduction est d’autant plus regrettable, monsieur le secrétaire d'État, qu’elle fait écho à des annulations de crédits importantes pour la fin de la gestion 2014, annulations intervenues par décret d’avance sur la présente mission. Ce sont ainsi près de 200 millions d’euros en autorisations d’engagement et 264 millions d’euros en crédits de paiement qui ont été annulés. Comme le Président de la République, je dirai que les dépenses de recherche doivent être sanctuarisées : ce sont elles qui permettent l’innovation, dont nous savons bien qu’elle est devenue aujourd’hui le moteur de la croissance.
Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d'État, que soient rétablis les 66 millions d’euros de crédits prévus initialement dans le projet de loi de finances pour 2015.
Au-delà de la nécessaire préservation des crédits de la recherche, j’aimerais rapidement évoquer trois enjeux qui me paraissent structurants pour l’avenir de notre recherche.
Tout d’abord, force est de le constater, en France, le financement de la recherche par projet peine à émerger. Hors PIA, il représente tout au plus 10 % des crédits du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au niveau national, l’érosion des projets financés par l’Agence nationale de la recherche montre que des progrès sont nécessaires.
Certes, après avoir diminué, les crédits alloués à l'Agence nationale de la recherche sont maintenant stabilisés, mais à un niveau qui nous paraît à la limite de l’opérationnalité. Il s’agit non pas d’augmenter à tout prix les financements sur projet au détriment des crédits récurrents, mais de trouver le bon équilibre entre ces deux modes de financement.
Par ailleurs, un autre équilibre doit être trouvé s’agissant des projets sélectionnés par l’ANR : 80 % de ces derniers relèvent de la recherche fondamentale, et certains opérateurs souhaitent donc que ce pourcentage baisse au profit de la recherche technologique.
La fixation d’un préciput véritablement compatible avec les frais de fonctionnement d’un laboratoire est en outre nécessaire pour éviter l’asphyxie de nos organismes de recherche. Si l’augmentation récente du préciput doit être saluée, des marges de progrès, là aussi, sont encore possibles.
Le programme des investissements d’avenir a permis de lancer des projets ambitieux, et il constitue, de notre point de vue, une réussite. Toutefois, même en cette période de forte contrainte budgétaire, il faut rappeler que les PIA doivent rester des programmes innovants tournés vers l’excellence, et non se substituer à des dotations budgétaires.
Au niveau européen, la France ne semble pas avoir tiré tous les bénéfices des différents programmes de recherche de l’Union européenne. Nos performances apparaissent comme insuffisantes au regard des capacités de la recherche française et dans la mesure où la France est le deuxième contributeur au budget de l’Union européenne. Le programme Horizon 2020 est maintenant doté en France d’un accompagnement renforcé des chercheurs, ce dont il faut se féliciter.
Cependant, ce dispositif ne semble pas avoir encore produit tous ses résultats. La France, avec une contribution de 16, 6 % au budget, aurait en effet obtenu un peu moins de 10 % des financements accordés aux lauréats des trente-huit premiers appels à projets du programme Horizon 2020.
Quant au niveau local, l’effort du Gouvernement dans les nouveaux contrats de projets État-région 2015-2020 doit être reconnu, même s’il demeure limité eu égard aux contrats précédents et aux futures compétences renforcées des régions.
Le deuxième défi concerne la complémentarité entre recherche publique et recherche privée. Alors que la recherche publique est financée, de façon lisible et transparente, par dotation budgétaire, la recherche privée est soutenue par l’État au travers d’aides directes, mais, surtout, par quatorze dépenses fiscales dont le coût global s’élèverait à environ 6 milliards d’euros en 2015, le crédit d’impôt recherche, ou CIR, représentant près de 90 % de ce total.
L’effet attractif du CIR auprès des entreprises internationales n’est plus à démontrer, de même que son effet de levier, un euro de CIR générant 1, 30 euro de recherche supplémentaire. Mais il convient de souligner que l’effort de recherche des entreprises françaises reste insuffisant, alors même que le soutien de l’État à la recherche privée est important.
Aussi, plusieurs pistes devraient être explorées pour que le crédit d’impôt recherche soit parallèlement plus favorable aux organismes publics de recherche et à l’embauche de docteurs.
D’une part, les dépenses privées de recherche sous-traitées à des organismes publics sont actuellement plafonnées dans l’assiette du CIR à 12 millions d’euros par entreprise. Pour favoriser le recours des entreprises privées à la recherche publique, ce plafond pourrait être relevé à 20 millions d’euros.
D’autre part, le taux de CIR de 5 % appliqué aux dépenses de recherche supérieures à 100 millions d’euros pourrait être conditionné à la conclusion de contrats de recherche avec des organismes publics ou à l’embauche de docteurs. En 2012, le nombre de docteurs recrutés par les entreprises s’est élevé à 1 305. Si ce chiffre a triplé en cinq ans, il reste faible quand on sait que 12 000 docteurs sont diplômés chaque année et que la recherche publique, y compris l’enseignement supérieur, en recrute 2 500.
Je voudrais par ailleurs rappeler, monsieur le secrétaire d'État, qu’une autre dépense fiscale, la taxation à taux réduit des plus-values résultant de la cession de brevets, présente un coût élevé, de l’ordre de 400 millions d’euros en 2014. Or son efficacité ne nous semble pas pleinement justifiée. Aussi, je propose que cette dépense fiscale soit supprimée ; les marges de manœuvre ainsi dégagées pourraient alors être réallouées en faveur d’un plan de relance de l’emploi scientifique, qui nous paraît nécessaire.