Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le mouvement des connaissances, dont l’enseignement supérieur et la recherche scientifique constituent une dimension essentielle, est fondamental pour l’humanité. Dans un monde qui évolue de plus en plus vite, d’une complexité croissante, la transmission et le partage des savoirs sont en eux-mêmes des défis. Il convient donc de donner à toute la société la capacité d’accéder aux formes les plus élaborées de ce savoir.
S’interroger, comprendre, inventer et, pour cela, former, se former, chercher : ce sont là plus que jamais des enjeux vitaux et il faut donner à tous la possibilité de les saisir, sans limitation d’ordre social ou financier, afin que chaque citoyen soit en mesure de comprendre le monde et d’inventer le futur. C’est vers cette nouvelle étape de démocratisation de l’enseignement supérieur et de la recherche que doit tendre toute politique publique : donner à tous les étudiants la possibilité d’appréhender des savoirs complexes en garantissant un enseignement supérieur de qualité et une recherche de haut niveau.
Ainsi, ce que nous abordons aujourd’hui, par le biais de cet exercice budgétaire, a bien à voir avec la conception de la société que nous voulons. Malheureusement, je dois le dire d’emblée, notre vision du monde et de son avenir ne s’incarnent pas dans ce budget, pas plus que dans ceux des années précédentes.
Ce projet de budget est en effet soumis à l’injonction d’économie : une économie de 1, 6 milliard d’euros sera réalisée sur 2015-2017, amputant d’autant la capacité d’investissement.
La qualité de l’enseignement supérieur, les conditions d’études des étudiants et les capacités de recherche des grands organismes publics sont les premières affectées par ces baisses successives, dans un contexte général de développement de la précarité de l’emploi, notamment scientifique.
Le budget pour l’enseignement supérieur s’établit cette année à 23 milliards d’euros, soit une hausse de 0, 17 % – ce qui, en tenant compte de l’inflation, signifie en réalité une baisse.
Ainsi, la situation des universités, qui n’a cessé de se dégrader depuis la mise en œuvre de la LRU, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, adoptée par la droite mais sur laquelle le Gouvernement actuel n’est pas revenu, ne pourra évidemment pas s’améliorer. Dans un contexte budgétaire en berne, l’autonomie des universités et le passage aux responsabilités et compétences élargies a renvoyé aux universités la gestion de la pénurie, les amenant à réduire leurs actions pour éviter de se trouver en situation de déficit, ce qu’elles ne parviennent pas toujours à faire.
La dotation budgétaire de l’État, censée compenser ce transfert de responsabilité, se révèle, comme chaque année, insuffisante. Or, malgré cette insuffisance notoire, évaluée à 200 millions d’euros pour 2015, le Gouvernement a fait adopter à l’Assemblée nationale un amendement supprimant un total de 136 millions d’euros sur le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont 70 millions ponctionnés sur le budget des universités et un peu plus de 65 millions sur les organismes de recherche.
Cet amendement vient contredire la volonté affichée du Gouvernement d’œuvrer pour l’emploi scientifique, qui est supposée s’incarner notamment dans la création de 1 000 postes pour les universités en 2015. Le coût cumulé des deux mesures est au final négatif, d’une dizaine de millions en moins pour les universités. Cela suscite, je dois le dire, un grand émoi sur le terrain, d’autant que de nombreuses réformes ont été réalisées.
Faute de moyens, les universités sont contraintes non seulement de fermer des formations mais aussi, pour certaines, de geler une part importante de leurs postes afin de tenter de juguler leur déficit. La Cour des comptes l’a démontré, et Mme Fioraso elle-même l’a reconnu devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, la moitié des postes annoncés depuis 2012 sont, en fait, gelés.
Sur le fond, rien ne vient donc résorber les difficultés et la précarité de la situation de l’enseignement supérieur.
C’est la raison pour laquelle je me félicite que la commission de la culture du Sénat ait adopté à l’unanimité un amendement rétablissant l’ensemble de crédits de la MIRES, les 70 millions pour les universités et les 65 millions pour la recherche. Je souhaite évidemment qu’il soit adopté en séance publique. J’ai d’ailleurs déposé un amendement similaire.
La situation des organismes de recherche est aujourd’hui devenue intolérable, comme l’illustre le fait que 8 000 personnes aient manifesté le 17 octobre dernier à l’appel de « Science en marche ».
Néanmoins, aux 4, 2 millions d’euros d’économies réalisées sur leurs moyens de fonctionnement, le Gouvernement a souhaité ajouter cette ponction de 65 millions d’euros supplémentaires par le biais de son amendement.
Un comble quand on sait que la précarité atteint des records au sein des universités : elle touche environ 90 000 personnes, soit 30 % à 35 % des emplois, contre 17 % en moyenne dans le reste de la fonction publique ! Son reflux doit être une priorité et un des piliers de toute politique de l’enseignement supérieur et de la recherche, et faire l’objet d’une véritable programmation pluriannuelle d’emplois permettant une vision et une gestion à long terme.
Prenons l’exemple du CNRS : il a perdu 2 600 emplois, dont plus de 600 titulaires, depuis 2008 ; il en perdra 130 en 2015. En fin de compte, il fonctionne aujourd’hui avec 12 000 personnes non titulaires, soit l’équivalent de 8 000 équivalents temps pleins de titulaire.
Vous comprendrez que, face aux 6 milliards d’euros que représente le crédit d’impôt recherche – CIR – pour la seule année 2015, l’argument du manque de moyens ne tienne pas. Il résulte d’un choix politique que nous ne partageons pas.
Alors même que l’efficacité du CIR est remise en cause par la Cour des comptes, son maintien au détriment de l’emploi scientifique et du financement des organismes de recherche est incompréhensible. Il serait plus qu’opportun d’en réévaluer, au minimum, le montant, d’encadrer les conditions de l’obtention de ce financement public à destination des entreprises privées et d’en contrôler non seulement la légitimité mais aussi l’efficacité sur la recherche, l’innovation et, bien sûr, l’emploi scientifique. Car ces milliards sont autant d’argent soustrait à la recherche publique au profit d’entreprises comme Sanofi ou Thalès, entre autres, qui n’hésitent pas à licencier et à fermer des centres de recherche en France, alors même qu’elles font largement usage de ce dispositif.
Ce choix, tout comme le financement de la recherche par les investissements d’avenir, est la traduction d’une vision de la recherche utilitariste, au service de débouchés économiques de court terme, et non de la connaissance. Dans ce cadre, le développement des CDD n’a rien d’étonnant : il n’est que le corollaire de cette logique et du financement de la recherche sur projets incarnés par l’Agence nationale de la recherche. Je regrette que cette vision ait été reprise par le gouvernement actuel.
Il en découle implicitement une hiérarchisation des savoirs et des travaux de recherche, privilégiant la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale et marginalisant les sciences humaines et sociales.
Nous pensons, au contraire, qu’il est important de maintenir toute forme de connaissances, sans hiérarchie, et de permettre à toute forme de recherche d’exister, surtout celle qui a besoin de temps pour aboutir, avec son personnel scientifique propre, relevant de la fonction publique. Parce que nous savons que les défis à relever pour les générations futures sont immenses, il ne faut fermer aucune porte en cédant aux tentations de profitabilité à très court terme.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce budget. §