Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, s’agissant du débat sur la politique des territoires, si j’ai bien conscience de la diversité des enjeux que cette question présente, je me concentrerai ici sur le volet « politique de la ville », dans le peu de temps qui nous est imparti.
Pour reprendre le propos du philosophe Henri Lefebvre dans Le Droit à la ville, il faut poser « politiquement le problème de la société urbaine ». Il nous faut comprendre les enjeux auxquels nous avons à faire face, nous fixer des objectifs politiques, puis nous donner les moyens d’y répondre.
En matière de politique de la ville, le constat est aujourd’hui plutôt alarmant : les tensions sont bien présentes dans nos quartiers, et nous les ressentons ; la situation de nombre de nos concitoyens se dégrade dramatiquement, dans un contexte de mise en cause des services publics et de la protection sociale, et ce constat est encore plus vrai dans les quartiers populaires, où les populations sont plus qu’ailleurs en proie aux injustices et aux inégalités.
Dans les quartiers dits « prioritaires », la part des jeunes adultes au chômage est de près de 50 % ; les sans-diplômes sont, eux, 57 % ; quelque 22 % des ménages de ces quartiers sont concernés par une allocation chômage et près de 23 % de la population vivent avec moins de 60 % du revenu médian. Ces difficultés sont connues ; il faut y répondre.
Le Gouvernement, à maintes reprises, a rappelé la dimension prioritaire qu’il accordait à la politique de la ville. De fait, conduire une mutation profonde de cette dernière, la rendre plus lisible, plus juste, plus efficace, ce sont des objectifs que nous approuvons pleinement. C’est ce qui avait amené notre groupe, il y a un an, à voter la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Nous avions alors soutenu les avancées positives que représentaient notamment la reconnaissance du rôle central du maire ou encore l’adoption du principe de la participation des habitants au travers des conseils citoyens. Enfin, nous avions acté le lancement du nouveau programme de renouvellement urbain.
Notre vote n’était pas un blanc-seing donné au Gouvernement, et force est de constater que le budget que nous examinons aujourd’hui, autant que la situation dans laquelle se trouvent nos quartiers les plus en difficulté, donne raison à notre prudence.
La politique de la ville a bien souvent été pensée comme à part, alors qu’elle devrait au contraire constituer le ciment d’une politique publique au service des populations. Aujourd’hui, même cette « roue de secours » est remise en cause par la quête « austéritaire » de réduction des déficits à n’importe quel prix.
Madame la secrétaire d’État, vous déclariez il y a peu que la « politique de la ville est une politique de cohésion sociale » : revenons sur les objectifs qui ont été fixés.
La réforme de la géographie prioritaire a réduit de 2 500 à 1 300 le nombre de quartiers bénéficiant de la politique de la ville. Si nous entendons l’argument d’une meilleure concentration des moyens, nous ne pouvons cependant que nous inquiéter de l’avenir des 1 200 quartiers dorénavant exclus de ces programmes prioritaires, qui concernent près de 200 communes et trois millions de nos concitoyens. Rien ne justifiait, selon nous, de restreindre aussi drastiquement la liste de ces quartiers.
Par ailleurs, seul le critère du revenu a été retenu pour identifier les territoires dits « prioritaires », alors que nous savons pertinemment que des réponses satisfaisantes exigent une prise en compte plus globale des problèmes posés aux habitants de ces quartiers.
Notre groupe sera extrêmement vigilant à ce que ces quartiers déclassés ne soient pas oubliés et puissent, comme cela était prévu dans la loi de février 2014 à la suite du vote de l’un de nos amendements, bénéficier de contrats de ville adaptés, avec la mobilisation des crédits de droit commun.
Un autre aspect sur lequel a beaucoup insisté le Gouvernement est justement la mobilisation du droit commun, notamment par une implication accrue de tous les ministères au travers de conventions bilatérales.
En dehors du fait que nous n’avons aujourd’hui aucune connaissance du contenu de ces conventions, posons-nous la question : comment une action plus efficace peut-elle être mise en place dans un climat d’austérité généralisée, qui amène le Gouvernement à réduire toutes ses interventions ?
L’exemple de l’éducation nationale est à ce titre parlant, puisque l’on sait à présent que les 60 000 postes supplémentaires promis seront pourvus, pour une très grande majorité d’entre eux, non par des postes pérennes de titulaire, mais des postes de stagiaire.
Va-t-on répondre aux besoins de formation de la jeunesse, a fortiori dans les quartiers prioritaires, avec des postes de stagiaire ? Qu’en est-il des établissements sortis de la géographie prioritaire, qui font l’objet d’une forte mobilisation ces derniers jours ?
Si la défense de ce budget de la politique de la ville repose donc en grande partie sur l’argument selon lequel les crédits de droit commun seront davantage mobilisés, ce que nous ne pouvons que soutenir, la traduction concrète demeure plutôt floue.
Enfin, je dirai quelques mots sur l’aménagement et le renouvellement urbains, au cœur de la politique de la ville. La loi de 2014 a prévu le lancement d’un nouveau programme pour la rénovation urbaine qui devra être mis en œuvre par l’ANRU. Doté de cinq milliards d’euros sur dix ans, ce programme est censé bénéficier aux deux cents quartiers dont les dysfonctionnements sont jugés les plus importants, quartiers encore inconnus à ce jour.
Toutefois, pour mener à bien ses missions, c’est de 9, 3 milliards d’euros, et non pas de 5 milliards, que l’ANRU aurait besoin. En effet, le PNRU 1 n’est pas encore achevé et près d’un tiers des crédits d’engagement reste encore à verser. On ne peut donc que constater « l’impasse financière » dans laquelle se trouve l’ANRU, comme l’ont noté les rapporteurs de la majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale.
Depuis 2008, l’État n’a pas versé un seul euro à l’ANRU, ses dotations relevant presque exclusivement d’Action Logement, qui doit aujourd’hui – c’est un comble – emprunter pour satisfaire l’ANRU ! Plus encore, le maintien du système d’avance de l’ANRU, qui existait jusqu’à présent, est remis en cause pour le nouveau PNRU. Sans ce dispositif, les communes ne pourront plus démarrer de chantier, faute de trésorerie ou de capacité d’endettement.
Au final, ce budget est bien loin des exigences auxquelles nous avons à faire face. La baisse de la dotation globale de fonctionnement a un impact sur l’ensemble de nos communes, et ce n’est pas l’amendement voté à l’Assemblée nationale visant une hausse de la dotation de solidarité urbaine, aussi intéressant soit-il, qui pourra réparer les dégâts que cause à des milliers de communes une telle réduction.
De même, les crédits spécifiques de la politique de la ville, qui devraient être plus soutenus que jamais, sont encore réduits, contrairement à ce qui a été affirmé. Sont particulièrement concernés, par rapport à l’année passée, la réussite éducative et les postes d’adultes relais. On nous demande de ne pas nous inquiéter… Madame la secrétaire d’État, vous avez déclaré que « gouverner, c’est faire des choix ». Nous veillerons à ce vous assumiez ces choix.
En tout état de cause, nous ne voterons pas les crédits du programme 147, tels qu’ils nous sont aujourd’hui proposés.