Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 3 décembre 2014 à 22h00
Loi de finances pour 2015 — Compte d'affectation spéciale : gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien des systèmes et des infrastructures de télécommunications de l'état

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’honneur et le courage de nos soldats, qui mettent leur vie au service de la défense de la nation, sont respectés par tous dans cet hémicycle.

Monsieur le ministre, nous rendons hommage à votre engagement sincère en faveur de la défense nationale, aux côtés de nos troupes, et à votre disponibilité envers les parlementaires.

Vous avez élaboré le Livre blanc de la défense et engagé la loi de programmation militaire en faisant, à juste titre, le choix de maintenir l’ensemble des capacités de notre pays dans un contexte d’économies nécessaires.

Mais c’est un choix qui a une incidence financière lourde.

L’équilibre de cette deuxième annuité de la LPM qui s’inscrit dans le projet de loi de finances pour 2015 est très fragile.

Le général de Villiers, chef d’état-major des armées, avec beaucoup de précautions oratoires liées à sa fonction, l’a répété tout au long de son audition par la commission des affaires étrangères : le budget est taillé au plus juste, il n’y a plus de marges, on ne peut aller plus loin sans risque de rupture de l’équilibre de la LPM.

Monsieur le ministre, vos choix budgétaires nous alarment. Vous avez reconnu avec honnêteté que le montant réel des actifs cessibles était probable mais non pas certain, et que le calendrier de la vente des fréquences de 700 mégahertz était hypothétique à la date prévue et pour un montant assuré.

Cette réalité nous inquiète fortement.

Vous sous-entendez donc vous-même que faire reposer le budget de la défense pour 2015, d’un montant total de 31, 4 milliards d'euros, sur 2, 3 milliards d'euros de ressources exceptionnelles est extrêmement périlleux. La Cour des comptes s’alarme des nombreux aléas qui affectent les montants prévus par la LPM ; elle déconseille – sans, hélas, réussir à dissuader – de recourir aux ressources exceptionnelles, surtout pour équilibrer les crédits de la défense, alors que nos forces sont engagées.

Des ressources aléatoires ne peuvent constituer un socle budgétaire ; elles doivent être remplacées par des ressources certaines. Si les cessions immobilières peuvent éventuellement être réalisées pour le montant prévu et dans les délais fixés – quoique ! –, la vente des fréquences de la bande des 700 mégahertz, pour un gain de l’ordre de 2, 1 milliards d'euros, soulève de multiples difficultés. En effet, elle est liée aux négociations internationales en cours qui rendent incertains le montant et la date de réalisation. Votre budget, fondé sur une perception du produit de la vente à la fin de l’année 2015, est dangereusement optimiste et rend le calendrier retenu trop aléatoire. Où trouverez-vous les ressources de substitution ?

Le montage des sociétés de projet, solution « innovante », permettra, certes, de répondre au besoin urgent de fonds. Mais qu’en sera-t-il sur le long terme ? Ces sociétés sont financées par le produit des cessions de participation d’entreprises publiques pour acquérir du matériel militaire auprès du ministère afin de le lui louer par la suite ! Constituent-elles une opération véritablement sûre et sage ? On peut émettre des doutes. Il s’agit d’une technique de débudgétisation appliquée à l’armement. Nous sommes déroutés par un mécanisme très innovant dans le contexte militaire, j’en conviens. Cependant, n’y a-t-il pas mélange inopportun des genres, car sont en cause des armes létales ?

En revanche, le programme d’investissements d’avenir a l’avantage d’assurer des ressources sûres ; il finance des projets du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, le CEA, et du Centre national d’études spatiales, le CNES. La direction générale de l’armement n’étant pas éligible, la question du changement de son statut a été avancée.

Ce sont les axes préconisés dans le rapport de l’Inspection générale des finances, l’IGF, et du Contrôle général des armées, le CGA, remis au ministère des finances au mois de juillet dernier, mais dont les députés et les sénateurs n’ont pas eu connaissance, malgré leurs demandes pressantes et répétées. Sont-ils l’objet d’un manque de confiance ou de considération ?

Par ailleurs, quelles seraient les implications de la transformation en établissement public à caractère industriel et commercial ? Les pistes de changement de statut évoquées sont-elles abandonnées ?

Cela étant, la sous-budgétisation chronique des OPEX atteint, cette année, un seuil inégalé et très inquiétant. Le coût prévu de 450 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2014 fut loin du compte final, plus de un milliard d'euros ! Le nombre d’hommes déployés sur les théâtres extérieurs était alors environ de 10 000, il sera cette année de 20 000 ! Cette budgétisation est plus qu’imprudente, elle est insincère.

Faut-il être présent au Mali ? Faut-il être présent en Centrafrique ? Faut-il être un coupe-feu entre Israël et le Liban ? Faut-il être sur le front de la lutte contre Daech ? Oui, sans aucun doute, tant pour notre sécurité que pour celle de l’Union. Néanmoins, la France n’a pas les moyens d’être le gendarme européen. Il est impératif de définir et d’exiger une participation financière des autres membres de l’Union, afin de soutenir l’effort français de défense des intérêts européens et de maintien de la paix dans des régions du monde où se joue la sécurité de l’Union.

La construction européenne est minée par les interrogations. Proposons donc une mutualisation des moyens militaires européens ; défendons le projet d’un livre blanc de la défense européenne ; relançons cette Europe de la défense qui nous fait si cruellement défaut. Je ne peux pas croire que celle-ci soit illusoire. Ainsi, le partenariat franco-britannique a toujours été le moteur de la défense commune, et le traité de Lancaster House de 2010 souligne la nécessité de « faire face ensemble à de nouveaux défis » et d’avoir « des capacités de défense robustes, qui puissent être déployées rapidement et puissent agir ensemble et avec un grand nombre d’alliés ».

Nous devons absolument bâtir le socle d’une défense européenne renouvelée. Monsieur le ministre, quelle position défendrez-vous auprès de la nouvelle Commission ? Quelle devrait être l’articulation de la défense européenne avec l’OTAN et nos alliés américains ? Ces derniers, malgré quelques gesticulations pour exprimer leur mécontentement quant à la crise ukrainienne, déplacent le centre de gravité de leur défense vers l’Asie du Sud-Est. Il est temps que les Européens assument leur défense s’ils ne veulent pas demeurer dans l’alignement, voire même dans la sujétion.

Afin de ne pas subir les effets de l’incertitude, nous devons avoir la capacité d’anticiper, de réagir et de peser sur les évolutions mondiales. Cette ambition, la vôtre comme la nôtre, est traduite dans le stratégique programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » et dans la fonction stratégique « connaissance et anticipation ».

Préparons l’avenir en préconisant de mutualiser, à l’échelle de l’Union européenne, la prospective et la recherche dans les domaines de l’aéronautique, du spatial ou de l’armement, en lien avec une industrie performante, car notre pays excelle dans ces domaines. La cybersécurité et le renseignement doivent devenir une priorité européenne ; l’absence de coopération et de coordination fragiliserait en effet considérablement leur fiabilité. Au mois de mars dernier, Jean-Louis Carrère s’alarmait et montrait à quel point notre défense était en danger. Il soulignait que « sans une diplomatie appuyée sur un outil militaire bien dimensionné, l’influence de la France et sa capacité à défendre sa place, ses intérêts et ses ressortissants connaîtraient un déclassement très significatif ». En deçà de 1, 5 % du PIB, la LPM est à la limite de mettre en danger notre défense nationale. Nous entrons dans l’incertitude dès le seuil de 1, 3 % franchi. Monsieur le ministre, ne nous faites pas partager le constat désabusé du doge de Venise au père de Desdémone : « Il vaut encore mieux se servir d’une arme brisée que de rester les mains nues. »

Il est de tradition de ne pas voter contre le budget de la défense. Le général de Villiers parlait d’une « année de vérité ». Or les crédits de votre ministère pour 2015 suscitent une inquiétude, hélas !, très justifiée.

Nous respectons votre action et nous sommes convaincus que, plus que tout autre, vous êtes soucieux de la vie de nos soldats.

Certains membres du groupe UDI-UC voteront ce budget ; certains s’abstiendront, notamment les rapporteurs pour avis ; d’autres, enfin, voteront contre pour manifester leur protestation à l’égard des incertitudes du budget. Mais nous avons tous comme objectif de vous aider à trouver les ressources nécessaires à la défense de notre pays. §

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