Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 4 décembre 2014 à 10h20
Loi de finances pour 2015 — Enseignement scolaire

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances pour 2015 a, je ne vous le cache pas, un goût amer, et ce pour deux raisons au moins.

Premièrement, cette année, aucun rapport budgétaire n’est spécifiquement consacré à l’enseignement professionnel ; c’est une première depuis quinze ans !

Cette décision prise après le renouvellement sénatorial par la nouvelle majorité UMP-UDI est un symbole qui en dit long sur les objectifs oubliés de ceux qui prétendaient, voilà sept ans, vouloir « revaloriser » la filière professionnelle. §Pas un mot n’est consacré à cette filière qui, en 2013, représentait 27 % des bacheliers français, alors même que s’annonçait cette année pour eux l’épreuve de vérité en termes de poursuite d’études, un des objectifs affichés par les promoteurs de la réforme du bac pro en trois ans, et que les nouveaux pouvoirs des régions sur la carte des formations auraient nécessité notre expertise !

Je tenais à le dire en préambule, pour continuer à défendre cet enseignement pour lequel j’ai eu l’honneur d’être sept ans durant, sous différentes majorités sénatoriales, rapporteur pour avis de la commission de la culture.

Deuxièmement, la crise de recrutement des enseignants persiste ! Je souhaite poursuivre le dialogue que nous avons entamé sur ce sujet voilà trois semaines, madame la ministre, lors de la question d’actualité que je vous ai posée.

Aujourd’hui, l’UMP, par la voix du rapporteur spécial, M. Longuet, dénonce, au travers des créations de postes inscrites à ce budget, une « politique du chiffre ». C’est un comble de la part de ceux qui, pendant cinq années, ont mené la pire politique du chiffre, en supprimant plus de 80 000 postes à l’éducation nationale ! L’amendement que M. Longuet défendra au nom de la commission des finances vise à revenir sur les créations de postes de stagiaire et à diminuer le nombre de remplacements dans le second degré, en minorant de 160 millions d’euros les crédits de la mission pour 2015. C’est un mauvais remake de la période Darcos-Chatel !

Pourtant, la crise de recrutement est aujourd’hui incontestable. En 2013, 10 959 équivalents temps plein travaillé inscrits en loi de finances n’avaient pas été consommés, et ce pour deux raisons principales qui confirment le diagnostic que j’avais établi dès 2011 à l’issue des travaux de la mission d’information sur le métier d’enseignant : d’une part, les concours de recrutement ne font pas le plein, tout comme les postes de stagiaires et de contractuels ; d’autre part, les sorties ont été en 2013 plus nombreuses que prévu, sauf en ce qui concerne les départs en retraite, dont le nombre a été moins important qu’escompté.

Le premier degré, que certains pensaient à l’abri, connait aussi des problèmes de recrutement. Si l’académie de Créteil est particulièrement touchée, elle n’est pas la seule ; les petites annonces publiées par Pôle Emploi en attestent.

La politique de recrutement rétablie depuis 2012 était donc absolument indispensable.

Ce qui fait débat entre nous, au sein de la gauche, tient à l’ampleur de la crise, aux raisons de cette dernière et aux moyens d’y remédier. Ainsi, le Gouvernent s’est fixé pour objectif de créer 54 000 postes à l’éducation nationale pour répondre aux besoins. Or, lors des travaux de la mission d’information précitée, face à la crise de recrutement que nous avions identifiée et aux besoins de démocratisation de notre système éducatif, j’avais chiffré les recrutements, en tenant compte du remplacement des départs à la retraite, à 150 000 sur cinq ans !

Sur les raisons de la crise, la lecture de l’édition 2014 de l’ouvrage intitulé France, portrait social publié par l’INSEE confirme que les effectifs d’enseignants dans le second degré sont en baisse depuis 2004 ! L’INSEE montre que « de 2003 à 2007, les effectifs d’élèves et d’enseignants ont diminué conjointement. À partir de 2007, le nombre d’élèves s’est stabilisé, il réaugmente même à partir de 2011, tandis que le nombre d’enseignants, lui, continue de diminuer. » En somme, il y avait en 2013 11 % d’enseignants en moins qu’en 2000 pour seulement 4 % d’élèves en moins.

La crise de recrutement, notamment dans le second degré, est donc antérieure à 2007. Elle a été amplifiée et accélérée par la révision générale des politiques publiques et la masterisation.

Au sein de l’éducation nationale, la révision générale des politiques publiques s’est traduite par une diminution du nombre de postes ouverts au concours, lesquels ne compensent plus que la moitié des départs en retraite, particulièrement importants en 2011.

À ce phénomène se sont ajoutés les effets de la masterisation : à partir de 2011, il faut avoir validé un master, ou du moins y être inscrit, pour s’inscrire au concours, quand précédemment de nombreux candidats n’étaient titulaires que d’une licence. Ce changement a entrainé des réorientations, comme le souligne l’INSEE. Certains candidats « n’ont pas souhaité ou pas eu les moyens de poursuivre, voire de reprendre, leurs études jusqu’au master. D’autres ont dû reporter leur candidature de quelques années, le temps d’obtenir leur diplôme. Une fois celui-ci obtenu, leurs perspectives professionnelles se sont élargies et certains ont choisi un autre métier » ; c’est notamment ce qui s’est passé s’agissant des études de mathématiques.

C’est pourquoi je propose une nouvelle fois d’agir simultanément sur deux leviers.

Premier levier, il faut mettre en place une formation alimentée par de véritables prérecrutements. Les étudiants ne doivent pas être utilisés comme des moyens d’enseignement en responsabilité d’élèves dès la première année de master.

Former des enseignants demande du temps : il faut leur donner les moyens matériels et financiers de mener leurs études à bien et de réussir le concours. En effet, le nombre d’inscrits – j’y insiste, et nous l’avons vu depuis deux ans – ne fait pas le nombre de reçus !

Une question, qui est pourtant fondamentale, me semble ignorée : de quels enseignants avons-nous besoin ?

Notre société est de plus en plus structurée par des savoirs complexes, des savoirs savants qui modèlent les situations auxquelles sont confrontés les citoyens et les travailleurs.

Cette évolution pose donc à notre société, et a fortiori à l’école, un défi d’élévation du niveau de connaissances. Il s’agit non plus d’apprendre par cœur, de restituer un savoir, mais de « comprendre », de « substituer », de mettre en relation des savoirs. Cette exigence de « réflexion » se conjugue avec des contenus devenus plus notionnels.

Nous soutenions donc l’idée de « refondation » de l’école, principe qui, selon nous, devrait irriguer davantage la réforme de la formation des enseignants.

Il faut aussi donner aux enseignants les moyens de faire évoluer leur pratique pour assurer la réussite de tous les élèves, ce qui implique une formation de haut niveau construite dans un continuum conjuguant savoirs disciplinaire et professionnel, dans un système d’allers-retours en lien avec la recherche, avec une entrée dans le métier progressive allant du stage d’observation au stage en responsabilité.

La relance du processus de démocratisation de notre système scolaire, appuyé sur le principe que tous les élèves sont capables d’apprendre, implique cette exigence dans la formation des enseignants.

J’en viens au second levier : il faut instaurer un plan pluriannuel de recrutement par degré et par discipline, ce qui implique d’affiner les prévisions sur les départs en retraite et sur les effectifs d’élèves.

L’existence d’un tel plan permettrait de donner de la visibilité aux étudiants souhaitant s’engager dans le métier d’enseignant, de sortir de la gestion dans l’urgence à chaque rentrée, et de faire refluer les inégalités qui règnent d’une académie à l’autre pour pallier le manque d’enseignants titulaires. Elle permettrait également de sortir de la situation d’urgence que nous avons connue voilà quelques semaines encore, dans l’académie de Créteil.

Un concours « supplémentaire » ? Pourquoi pas, s’il s’agit de rattraper les « bons candidats » de toute la France. C’est ce qui avait été fait en 2013 avec les deux concours ; mais pourquoi le limiter à la seule académie de Créteil, soit à 500 postes ?

J’en viens au nouveau parcours alternant en deux ans, dans lequel des étudiants en master 1 et en master 2 seraient chargés de classes à mi-temps et payés un SMIC mensuel. Ce parcours serait articulé avec un concours « spécifique » en fin de master 1, lequel validerait les acquis professionnels des étudiants.

Deux aspects m’inquiètent.

Tout d’abord, avec ce parcours, nous demeurons dans un système qui persiste à placer les étudiants immédiatement en responsabilité de classes : quid de leur master, du lien avec la recherche, du temps pour un retour sur leur pratique ? Nous sommes encore très loin des ambitions auxquelles j’aspire.

Ensuite, un tel parcours ouvrirait une brèche dans le principe national du concours, fondement du statut de la fonction publique.

Toutes ces raisons, diamétralement opposées à celles de nos collègues de l’UMP et de l’UDI-UC, expliquent que le groupe CRC ne votera pas les crédits de cette mission, a fortiori si l’amendement déposé par M. Longuet devait être adopté.

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