Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette discussion, permettez-moi de saluer la qualité des interventions, qui démontrent tout l’intérêt que porte la Haute Assemblée aux sujets culturels. Je veux vous en remercier, au-delà des interrogations et critiques auxquelles j’apporterai les réponses les plus précises possible.
J’évoquerai tout d’abord de façon générale cette mission « Médias, livre et industries culturelles ». Avec près de 4, 4 milliards d’euros de crédits, elle connaît une augmentation de 0, 42 %.
On y retrouve les ambitions politiques que j’ai souhaité mettre en avant avec ce budget et que j’ai déjà pu rappeler lors de l’examen des crédits de la mission « Culture ». L’une de ces ambitions est sans doute plus prégnante que les autres au travers de ce budget : renforcer l’excellence française pour en faire un instrument au service du rayonnement culturel de notre pays.
Oui, et je l’assume comme telle, la mission que nous examinons aujourd’hui illustre parfaitement cette priorité, puisqu’elle comporte de nombreux champions nationaux. Il n’est qu’à songer, entre autres, à l’AFP ou à notre modèle cinématographique. Je pourrais citer aussi nos productions audiovisuelles. Philippe Haïm et Éric Valette, Fabrice Gobert ont ainsi été primés aux International Emmy Awards, respectivement pour Braquo et Les Revenants. Je pourrais bien sûr citer enfin notre industrie du jeu vidéo, avec des acteurs majeurs comme Ubisoft ou Ankama.
J’ai tenu à rappeler ce niveau d’excellence avant d’entrer dans le détail de cette mission, secteur par secteur. Trop souvent, en effet, on ne mesure pas suffisamment le poids de la culture française non seulement dans notre propre économie, mais, plus largement, dans l’attractivité de la France à l’étranger.
Je dirai à présent un mot de chaque secteur de cette mission budgétaire, afin de vous en présenter les grandes lignes, de vous rappeler nos priorités et l’ambition du Gouvernement, enfin de répondre à vos interrogations, mesdames, messieurs les sénateurs.
Dans le secteur audiovisuel, en cohérence avec la loi de novembre 2013, qui a de nouveau confié au CSA le pouvoir de nommer les présidents des sociétés de l’audiovisuel public, le Gouvernement a fait le choix de renforcer l’indépendance financière de ces sociétés, en réduisant progressivement la part de leur financement public reposant sur le budget général, qui aura totalement disparu en 2017.
La diminution de 102, 7 millions d’euros des subventions en 2015 sera compensée par la hausse des apports de la contribution à l’audiovisuel public, qui progressera de trois euros en 2015 en métropole et d'un euro outre-mer.
Par ailleurs, comme vous le savez, une réintroduction de la publicité en soirée sur les antennes nationales du service public n’a pas été retenue pour l’année 2015, car, aucune étude d’impact solide n’ayant été effectuée au préalable, nous avons craint qu’une telle réintroduction ne déstabilise les équilibres d’un secteur audiovisuel confronté à un marché publicitaire en crise et à l’arrivée de nouveaux acteurs réinterrogeant leur modèle économique.
Parallèlement, comme l’a annoncé le Président de la République, une réflexion doit être engagée – elle le sera – sur la modernisation du financement de l’audiovisuel public au-delà de 2015. Le Parlement y sera évidemment associé. M. Assouline a parfaitement résumé les enjeux d’une telle modernisation.
Vous le voyez, monsieur Baroin, contrairement à ce que vous avez déclaré lors de votre intervention, le Gouvernement veut mettre en œuvre un financement pérenne pour le service public de l’audiovisuel, au cœur duquel figure en effet la modernisation de l’assiette de la contribution audiovisuelle publique. Nous ne souhaitons pas le faire sans concertation ni étude préalable. En matière d’audiovisuel, je crois plus à la méthode de ce gouvernement qu’aux décisions brutales qui ont pu prévaloir dans le passé, comme M. Pierre Laurent l’a rappelé.
De la même manière, il nous faut tenir un discours de vérité sur l’audiovisuel public. La stabilisation des crédits au cours des trois prochaines années requerra de la part des sociétés concernées un réel effort de maîtrise de leur budget et d’économies, compte tenu de la progression de certaines de leurs charges. Cependant, elle ne remettra pas en cause leur capacité à assurer leurs missions.
Ainsi, je puis vous rassurer, madame Garriaud-Maylam, madame Lepage, monsieur Esnol : les grands équilibres des contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions et de France Média Monde seront respectés. De même, les dotations publiques à Radio France et à Arte seront stables ou en légère progression. La dotation de l’INA retrouve quant à elle un niveau proche de celui de 2013, après une diminution exceptionnelle de 20 millions d’euros l’an passé, compte tenu du prélèvement sur le fonds de roulement.
Permettez-moi également de vous apporter une précision, madame Garriaud-Maylam, madame Lepage, sur la spécificité de France Médias Monde. Comme vous le savez, le contrat d’objectifs et de moyens pour 2013-2015 signé entre l’État et France Médias Monde en 2014 prévoit un élargissement de la diffusion des médias de France Médias Monde sur le territoire national. France 24 est d’ailleurs désormais disponible sur la TNT, la télévision numérique terrestre, en Île-de-France.
Je rappelle toutefois que la mission première de France Médias Monde est de s’adresser au public international. Nous devons donc collectivement veiller à la cohérence des offres du service public.
En ce qui concerne l’avenir de France Télévisions, je veux à cette tribune être très claire et répondre aux inquiétudes du sénateur Leleux aussi bien qu’aux attentes positives du sénateur Assouline. Comme l’a précisé le Président de la République, l’État actionnaire fera part de sa vision stratégique sur l’avenir de France Télévision dans la perspective de la désignation d’un président par le CSA dans le courant de l’année 2015.
Dans le plein respect des pouvoirs que ce gouvernement a redonnés au CSA, il s’agit ici de tracer les objectifs fondamentaux de France Télévision et de l’audiovisuel public, en tenant compte d’un contexte profondément transformé par le numérique, où la concurrence s’est fortement accrue avec la multiplication des chaînes et des écrans, et où les usages et les attentes du public se sont profondément transformés.
Il faut partir de ces attentes, de ce nouvel environnement, afin de définir le rôle et la place du service public aujourd’hui, pour la télévision linéaire et numérique. C’est ce que font régulièrement les autres grands opérateurs du service public à l’étranger, notamment la BBC.
Ce travail d’analyse sera conduit par les services de l’État. Le Parlement sera naturellement consulté.
Dans le secteur du cinéma, la majorité a décidé dès son arrivée aux responsabilités de mettre fin à l’écrêtement des taxes affectées au Fonds de soutien aux industries techniques cinématographiques et audiovisuelles, compte tenu du lien très spécifique et automatique entre la recette et la dépense qu’elle finance. Les taxes affectées au Fonds de soutien sont la base de calcul des soutiens versés par le CNC au secteur du cinéma et de l’audiovisuel. C’est, en quelque sorte, une « épargne forcée », dont la pertinence et l’efficacité ont été maintes fois reconnues. Telle est ma position, mais également celle du Gouvernement.
Je déplore que la majorité sénatoriale ait réintroduit ce dispositif, montrant ainsi les limites de son attachement à la culture et à l’exception culturelle. Je souhaite que le reste de la discussion parlementaire permette de revenir sur cette situation extrêmement préjudiciable au cinéma français.
Pour sa part, le Gouvernement n’affectera pas les capacités d’action du CNC par un prélèvement sur les réserves de l’établissement. Bien au contraire, afin de prendre en compte le recul prévisionnel de 10 % des recettes attendues du CNC par rapport au budget primitif de 2014, l’établissement sera autorisé à puiser dans sa réserve de solidarité pluriannuelle afin d’amortir l’impact conjoncturel de cette baisse sur les investissements du secteur et d’éviter un effet récessif, lequel serait préjudiciable à la diversité de la création, à l’activité et, in fine, à l’emploi.
J’évoquerai à présent les industries culturelles elles-mêmes. Afin de répondre aux questions soulevées notamment par Mme Mélot dans son rapport, je tiens tout d’abord à dire mon attachement à la filière musicale, pour qui l’arrivée du numérique a profondément bouleversé et reconfiguré la chaîne de valeur, emportant avec lui tous les modèles existants de création, de production et de diffusion, alors même que l’écoute musicale, en ligne ou en concert, est toujours au cœur des pratiques culturelles des jeunes et des moins jeunes.
Pour soutenir l’ensemble de cette filière, constituée de très petites entreprises, qui illustrent la reprise du développement créatif, et d’entreprises plus importantes, qui créent des effets d’entraînement, j’ai proposé de réformer le crédit d’impôt phonographique, qui soutient l’enregistrement d’albums par de jeunes artistes, afin de le rendre tout simplement plus incitatif. Cette réforme permettra de donner de la visibilité aux acteurs pour les trois prochaines années et de leur permettre de s’adapter à la réalité du tissu entrepreneurial – il s’agit d’entreprises plus jeunes, parfois de petite taille.
Par ailleurs, le budget pour 2015 permettra la poursuite du soutien au réseau des labels indépendants. En cette fin d’année 2014, j’ai en effet décidé la mise en place d’aides exceptionnelles aux plateformes de musique en ligne innovantes. Près de dix plateformes seront aidées dans ce cadre.
Enfin, le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine intégrera des mesures en faveur de la filière musicale, afin notamment d’améliorer la transparence des relations entre artistes-interprètes, producteurs et plateformes. Il s’agit de moderniser nos outils de régulation à l’ère numérique, comme le Gouvernement l’a fait dans le domaine de l’audiovisuel ou du livre.
Un autre des défis qu’il nous appartiendra collectivement de relever dans les mois à venir est celui de la mutation structurelle du secteur de la presse. Cela me donne l’occasion de répondre aux interrogations de M. Baroin et de Mmes Bouchoux et Laborde.
Conformément à l’engagement du Président de la République, l’année 2014 a été consacrée à la réforme des dispositifs des aides à la presse élaborée en 2013. Le Fonds stratégique pour le développement de la presse a été modernisé dans un décret de juillet dernier, afin de faciliter la transition numérique.
Nous ne faisons plus de distinction aujourd’hui entre la presse papier et la presse en ligne, car, comme le Gouvernement a eu l’occasion de l’affirmer lors de l’abaissement du taux de TVA aux services de presse en ligne, il n’existe pas de différence fondamentale entre les supports d’accès à l’information. Le principe de neutralité technologique doit donc s’appliquer.
De même, le Fonds stratégique pour le développement de la presse privilégie désormais les projets mutualisés. C’est indispensable à l’heure de la contraction des volumes que nous constatons. De même, il s’est adjoint des compétences d’experts en matière numérique, afin d’être plus pertinent et plus réactif dans le choix des projets financés.
Parallèlement, les critères de l’aide au portage ont été refondus, conformément aux engagements. Si l’année 2014 est bien une année de transition, le dispositif créé met fin à la distinction, si souvent décriée, entre aide au flux et aide au stock. Afin de mutualiser les outils de production, l’aide est désormais versée aux réseaux de portage eux-mêmes, et elle est bonifiée en cas de portage multititres.
De la même manière, l’aide versée aux éditeurs prend désormais davantage en compte l’évolution des volumes portés, tout en étant plus prévisible. Elle est dorénavant, je pense, une aide plus intelligente et plus efficace pour faire évoluer les comportements économiques. Il n’en demeure pas moins, comme le souligne justement le sénateur Pierre Laurent dans son rapport budgétaire, et comme l’a également déclaré David Assouline, que des enjeux d’ampleur attendent la presse dans les mois qui viennent, notamment en termes de diffusion.
Monsieur Laurent, j’ai pris connaissance avec attention des réformes que vous appelez de vos vœux, que ce soit en matière d’aides à la presse ou de portage.
Soyons très clairs : la chute des volumes constatée depuis deux ans, de près de 10 % par an pour la vente au numéro s’agissant de la presse quotidienne nationale et de 3 % à 5 % pour les autres acteurs ne sera pas soutenable pour la filière si l’ensemble de celle-ci n’engage pas des réformes à la hauteur des enjeux. En effet, ce sont bien les éditeurs eux-mêmes, et les autres acteurs de la filière, qui ont en main les conditions de leur mutation.
Cette mutation passe, comme certains d’entre vous l’ont rappelé, par l’ouverture résolue des réseaux de portage et par une mutualisation des moyens à la disposition des messageries. À cet égard, j’insiste pour que les travaux engagés entre Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse, les MLP, sur leur système d’information commun connaissent une accélération et produisent prochainement des résultats.
Cette mutation passe aussi par la recherche d’une plus grande efficacité économique du postage. J’espère que les travaux en cours entre La Poste et la presse magazine porteront rapidement leurs fruits.
Dans ce contexte, les moyens en faveur des différents réseaux de diffusion de la presse sont préservés en 2015, dans mon budget ou dans celui de mon collègue en charge de l’économie. Les moyens en faveur du pluralisme, un sujet qui vous est également cher, monsieur Laurent, monsieur Assouline, sont également préservés.
Dans un contexte de forte mutation, l’État a souhaité enfin concentrer ses moyens en faveur de la qualité de l’information. Tel est le sens de la priorité appuyée du Gouvernement à l’Agence France Presse, qui verra ses moyens augmenter de 5 millions d’euros en 2015.
Ce soutien budgétaire est un élément d’un soutien plus large à ce champion national qu’est l’AFP, l’une des trois seules agences de presse d’échelle mondiale. Non seulement l’Agence participe pleinement du rayonnement de notre pays à l’étranger, mais elle permet à l’ensemble de nos journaux, y compris sur les théâtres d’opérations difficiles, où les éditeurs peinent désormais à envoyer leurs propres journalistes, de disposer d’une information de qualité.
L’année 2014 a ainsi permis de sécuriser le financement public de l’Agence au niveau communautaire et d’élaborer, grâce aux travaux du député Michel Françaix, les voies et moyens d’assurer la nouvelle vague d’investissements nécessaires à la complète mutation numérique de l’agence. Le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFP, qui devra être signé avant la fin de l’année, traduira l’ambition que nous avons collectivement pour le devenir de l’Agence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, mes propos ne seraient pas complets si je n’évoquais pas avec vous les crédits en faveur des industries culturelles. Certains d’entre vous en ont parlé, notamment Mme Mélot dans son rapport budgétaire, ainsi que M. Baroin et M. Savin au cours de leurs interventions, les crédits de la HADOPI sont maintenus cette année au même niveau que ceux de l’année dernière : ils s’élèveront à 6 millions d’euros.
Je tiens à dissiper vos inquiétudes. Le montant retenu cette année tient compte de la situation financière globale de cette autorité administrative, qui pourra encore en 2015, même s’il s’agit probablement de la dernière année où cette solution pourra être retenue, prélever sur son fonds de roulement pour assurer le financement de ses missions.