Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Administration générale et territoriale de l’État », vous le savez, comprend trois programmes d’inégale importance : le programme 232, « Vie politique, cultuelle et associative », doté de 302, 3 millions d’euros ; le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l’intérieur », doté de 719 millions d’euros ; et le plus important d’entre eux, le programme 307, « Administration territoriale », doté de 1, 717 milliard d’euros de crédits de paiement, ce qui représente une baisse de 0, 4 % par rapport à l’année dernière, soit une baisse de 3, 8 millions d’euros en crédits de fonctionnement et une perte, c’est là l’essentiel, de 180 équivalents temps plein.
Constatons que, depuis 2008, changements de majorité ou pas, l’administration territoriale de l’État vit sous le signe de la réforme permanente. De la réforme de l’administration territoriale de l’État, ou « RéATE 1 », pour le gouvernement précédent, à la deuxième mouture de la modernisation de l’action publique, ou « MAP 2 », pour l’actuel gouvernement, l’objectif est toujours le même : réorganiser, mutualiser, réduire les effectifs. Ainsi en huit ans les services préfectoraux ont-ils perdu 10 % de leurs effectifs, passant de 30 228 équivalents temps plein en 2007 à 27 143 prévus pour 2015.
Les objectifs de cette politique sont doublement ambigus.
Il s’agit, d’une part, d’optimiser l’affectation des crédits disponibles, d’améliorer l’efficacité du service public – souci de tout gestionnaire qui se respecte – et de donner, en même temps, la priorité à la réduction des dépenses publiques, ce qui est tout à fait autre chose. Autant dire : bien dépenser versus moins dépenser.
Il s’agit, d’autre part, d’améliorer l’efficacité de l’État gestionnaire de services à la population et d’assurer la présence de l’État républicain, des symboles et marques d’une République « une et indivisible » sur l’ensemble du territoire : « manager » versus gouverner, en somme. Cela pose la question d’une éventuelle redistribution des sous-préfets sur l’ensemble du territoire, de ses conséquences en termes politiques, mais aussi la question de l’éventuel remplacement du corps des préfets par un cadre d’emploi fonctionnel, ce que souhaite apparemment la Cour des comptes. Par manque de temps, je me contenterai de vous renvoyer à mon rapport pour de plus amples développements sur ces deux questions essentielles.
Ces objectifs contradictoires, la rhétorique officielle les présente un peu vite comme toujours conciliables, pour peu qu’on stimule le sens du service public et l’imagination des fonctionnaires. Malheureusement, c’est un peu plus compliqué.
Ainsi, malgré l’évidente bonne volonté des personnels, malgré leur capacité à s’adapter et à innover, le principe selon lequel réduire les crédits c’est mieux les employer, selon lequel moins de fonctionnaires c’est un meilleur service public, atteint aujourd’hui ses limites. D’où la suspicion que ne peut pas ne pas susciter chaque réforme nouvelle.
Ainsi en va-t-il de la récente création des maisons de l’État. Mesure pertinente de réorganisation de la localisation des services et de regroupement des moyens, elle laisse planer le soupçon de préparer discrètement la disparition des sous-préfets en secteur rural, remplacés par des chefs de bureau, évidemment moins coûteux.
Force est aussi de constater que l’amélioration de la gestion des services au public, dont le Gouvernement peut, à juste titre, se prévaloir – je pense par exemple à la réduction de la durée d’obtention de titres –, est parfois, sinon souvent, obtenue au prix de la mobilisation des moyens sur cet objectif au détriment d’autres. Les indicateurs de performance – c’est plus commode – les ignorent, le conseil aux élus par exemple, ou sont formulés en termes tels qu’ils ne permettent aucun contrôle réel. Que signifie, en effet, un taux de contrôle des actes dits prioritaires des collectivités en l’absence d’une définition stricte de la frontière entre ces actes prioritaires et les autres ?
De réforme en réforme, réalisée ou annoncée, comme celle de la carte des sous-préfectures, de réduction des effectifs en redéploiements, sans visibilité sur leur avenir, les agents des services déconcentrés, qui se sont adaptés comme ils ont pu, touchent le seuil de saturation. Leur constat est celui de l’inadéquation grandissante entre les moyens alloués à l’administration territoriale au regard de ses missions, nombreuses et diverses puisqu’elles vont de l’appui, du conseil aux élus au contrôle de légalité, en passant par la délivrance des titres ou la coordination des services déconcentrés de l’État sur un territoire parfois très grand.
Côté élus cette fois, on peine aussi à voir le lien entre la réorganisation territoriale version MAPAM puis NOTRe et les réformes successives de l’administration déconcentrée, alors qu’une bonne articulation entre les deux est essentielle à la réussite de chacune, plus essentielle, en tout cas, que la taille des collectivités. L’impression qui domine est celle de réformes parallèles conduites selon leurs logiques propres, quand ce ne sont pas des logiques changeantes, comme on a pu le constater s’agissant de la réforme territoriale.
Que les parallèles soient appelées à se rejoindre à l’infini n’est pas particulièrement rassurant.
Partageant ce constat, et inquiète quant au devenir de l’administration territoriale de l’État, la commission des lois, à la différence de la commission des finances, a émis un avis négatif sur les crédits de la mission.