Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette année encore, le débat budgétaire sur les infrastructures de transport sera entièrement parasité par la saga de l’écotaxe. Du report l’an dernier à l’abandon cette année, cette ressource tant attendue n’arrivera finalement jamais dans les caisses de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF.
Madame la ministre, je dois admettre que nous avons eu du mal à vous suivre dans vos tergiversations. Nous sommes d’ailleurs heureux que vous puissiez aujourd’hui vous exprimer devant la représentation nationale sur le sujet. En effet, vous n’aviez pu vous rendre disponible pour répondre à l’invitation de notre commission des finances le 29 octobre dernier, et, le lendemain, lors des questions d’actualité au Gouvernement, vous n’aviez pas souhaité répondre à la question que je vous avais adressée. Depuis lors, nous avons eu l’occasion de lire beaucoup de choses dans la presse, mais vous conviendrez qu’un dialogue direct est bien préférable si l’on veut éviter tout malentendu.
Je disais donc que nous avons eu du mal à vous suivre. Permettez-moi de rappeler quelques épisodes de la saga de l’écotaxe.
À l’automne 2013, l’écotaxe est suspendue après le mouvement des Bonnets rouges. À la demande du groupe socialiste, le Sénat crée une commission d’enquête sur le contrat signé entre l’État et Ecomouv’, le consortium privé chargé de collecter l’écotaxe. Comme vous le savez, j’ai présidé cette commission d’enquête.
Nous avons conclu que le recours à un prestataire extérieur était la meilleure des solutions pour l’État, qu’au regard des pièces examinées ce contrat avait été conclu de manière régulière et, enfin, que le prix élevé reflétait les exigences de l’État en termes de fiabilité du système de recouvrement, notamment au vu des demandes faites par les douanes.
Nous avons également obtenu la certitude que, au début de l’année 2014, le système mis en place par Ecomouv’ était en parfait état de fonctionnement.
Nous avons enfin constaté qu’un dispositif en tout point similaire existait et fonctionnait sans problème en Allemagne, pays où l’écotaxe rapporte 4 milliards d’euros par an.
En un mot, notre appréciation était positive sur le contrat Ecomouv’.
Parallèlement à nos travaux, notre collègue député Jean-Paul Chanteguet a rendu un rapport sur les évolutions possibles de l’écotaxe.
Sur la base de ces deux rapports, vous avez choisi, madame la ministre, d’une part, de transformer l’écotaxe en péage de transit poids lourds, dont le produit était moitié moindre, et, d’autre part, de confirmer Ecomouv’ comme partenaire de l’État par le biais d’un protocole d’accord signé, cet été, entre la société et votre ministère. Ce protocole reconnaît que le système fonctionne et prévoit l’indemnisation du cocontractant si l’État vient à rompre ses engagements.
Alors que le péage de transit poids lourds devait entrer en vigueur au 1er janvier 2015 et que le budget pour 2015 a été construit en tenant compte de cette ressource, nous apprenons par voie de presse que l’écotaxe est « suspendue sine die ». Pour l’anecdote, l’annonce est tombée au moment même où la commission des finances auditionnait le secrétaire d’État chargé du budget, qui a eu l’air aussi surpris que nous...
Enfin, le 30 octobre dernier, lors des questions d’actualité au Sénat, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, vous avez indiqué, en réponse à l’une de mes questions, que l’État résiliait le contrat signé avec la société Ecomouv’.
Pardonnez-moi d’avoir été un peu longue, mes chers collègues, mais il me semblait extrêmement important que nous ayons tous en tête ces éléments factuels.
La décision de résilier le contrat revient, de mon point de vue, à un abandon de l’écotaxe puisque l’État ne dispose plus des moyens pour la recouvrer. Sur cette question, madame la ministre, vous avez récemment déclaré : « Il y a beaucoup de confusion sur ce sujet : ce n’est pas la suspension de l’écotaxe qui est inscrite dans la loi, c’est la suspension des modalités de l’application de cette écotaxe sous la forme du contrat Ecomouv’, qui n’était pas opérante ».
Je vous rejoins sur un point : la confusion est grande. J’espère que vous nous aiderez à y voir plus clair à l’issue de ce débat.
Pour ma part, je soutiens que votre décision de résilier le contrat emporte nécessairement l’abandon de l’écotaxe, et cela entraîne deux conséquences d’un point de vue budgétaire.
La première, c’est le paiement d’une indemnité de résiliation à Ecomouv’, qui pourrait s’élever à 830 millions d’euros.
Aujourd'hui, nous assistons une fois encore aux atermoiements de votre ministère. Vous avez déclaré que le contrat ne serait pas constitutionnel, que le Gouvernement choisirait la voie de la négociation avec Ecomouv’, et que, éventuellement, la voie contentieuse serait une possibilité. Cette méthode me paraît préjudiciable pour l’image de l’État et de la France en général. Le protocole d’accord signé en juin dernier, sous votre autorité, est très clair sur les conséquences financières d’une résiliation décidée unilatéralement par l’État.
J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à de nombreuses reprises sur le sujet. Que le contrat soit ou non constitutionnel, c'est un faux problème, car, pour autant qu’il existe, il ne concerne que l’État. Dans tous les cas, Ecomouv’ est légitime à demander l’application stricte du contrat et du protocole d’accord et donc le paiement sans condition de l’indemnité de résiliation.
Il ne me paraît pas normal, dans un pays démocratique comme le nôtre, que l’État donne l’impression qu’il veut se soustraire à ses engagements contractuels pour des motifs fallacieux. Les investisseurs étrangers nous regardent, et ce type de comportement nous discrédite collectivement.
Je le dis ici solennellement : au vu des arguments aujourd’hui avancés, la voie contentieuse serait très périlleuse pour les finances de l’État.
En attendant, le Gouvernement tergiverse et a refusé d’inscrire le montant de l’indemnisation tant dans le projet de budget pour 2015 que dans le budget rectificatif pour 2014. Certes, le secrétaire d’État s’est engagé à ce que cette somme ne soit pas prélevée sur les crédits de l’AFITF, et nous y veillerons. Mais, alors, comment sera-t-elle financée ?
J’ai régulièrement posé cette question depuis l’annonce de la résiliation. Pour l’instant, je n’ai pas obtenu de réponse ; on m’a seulement donné des prétextes qui servent à repousser le moment où le Gouvernement devra faire face à ses responsabilités. Pour cette raison, j’estime que le budget des transports pour l’année 2015 est frappé d’insincérité. Mais ce n’est pas la seule conséquence de votre décision. Faute d’écotaxe, nous allons continuer à manquer cruellement de moyens pour réaliser les infrastructures de transport nécessaires à notre pays.