Il faut pourtant que la maison SNCF évolue pour se préparer à cette ouverture à la concurrence, qui finira bien par arriver. En attendant, des promesses de gains de productivité ont été faites. Dont acte ! À nous de suivre précisément leur réalisation.
Mais pourrons-nous fermer les yeux longtemps sur le problème du surcoût de notre entreprise nationale par rapport à ses concurrents qui peut aller jusqu’à 30 % ? Nous verrons ce qui ressortira des négociations en cours sur le cadre social harmonisé applicable à l’ensemble du secteur, monsieur le secrétaire d’État, nouveaux entrants compris, mais je dois vous avouer que je suis extrêmement dubitatif quant à l’atteinte des objectifs fixés dans la loi du 4 août dernier.
Une autre piste de travail réside dans la lutte contre la fraude. Celle-ci coûte chaque année 300 millions d’euros à la seule SNCF, 100 millions d’euros à la RATP, sans compter les réseaux de transport de province. Au bas mot, c’est un montant de l’ordre de 500 millions d’euros qui s’évapore sous nos yeux. C’est énorme !
La SNCF commence à réagir, en réduisant, par exemple, la durée de validité des billets. C’est en fait l’ensemble du cadre juridique prévu pour lutter contre la fraude qui doit être revu.
Savez-vous que, pour être passible d’un délit de fraude d’habitude, il faut avoir fait l’objet de plus de dix contraventions en une année ? Et, au 1er janvier suivant, on repart à zéro ! Comment ne pas qualifier ce système d’incitation directe à la fraude ?
La commission du développement durable m’avait autorisé, à l’unanimité des suffrages exprimés, à vous présenter un amendement visant à combattre plus efficacement cet incivisme. Il tendait à réduire à deux le nombre de contraventions qu’il faut recevoir en une année pour que le délit de fraude soit caractérisé. Cependant, je le regrette profondément, il a été déclaré irrecevable par la commission des finances, au motif qu’il n’entre pas dans le périmètre du projet de loi de finances.
J’espère que nous pourrons bientôt l’intégrer dans un autre texte, car il s’agit d’un sujet très important, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, pour le maintien du contrat social, dont notre nation a le plus grand besoin actuellement. Ce transfert de charges des fraudeurs aux usagers qui, eux, paient leurs titres de transport, est incivique, amoral et scandaleux !
J’en viens à un autre défi : le retour effectif de l’État stratège. La loi portant réforme ferroviaire, adoptée cet été, a souligné l’importance d’un État fort en matière de gouvernance du système. J’approuve totalement cet objectif. Encore faudrait-il passer de la parole aux actes, car il y a des marges de progrès...
Je prendrai trois exemples. Le premier est celui de notre filière ferroviaire, la troisième du monde, qui est aujourd’hui en grand danger. Après avoir été pendant longtemps l’un des atouts de la France, son plan de charge va nettement diminuer à partir de 2016. Le secteur risque de devoir débaucher son personnel, avec des conséquences irréversibles en matière d’emploi, de compétences et de savoir-faire. Il faut absolument éviter d’en arriver là. Je sonne le tocsin, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État.
Il faut notamment changer notre modèle de production. À force de rechercher la sophistication, nous perdons en termes de souplesse et de coût. Notre offre n’est plus adaptée à la demande étrangère, qui recherche davantage de sobriété. Je soutiens évidemment les efforts réalisés pour le développement du train à très grande vitesse du futur, mais nous devons aussi nous tourner vers l’international. Or la demande mondiale s’oriente plutôt vers la grande vitesse ; nous y répondons mal.
J’insiste auprès de l’État stratège sur la nécessité pour notre pays d’imaginer des matériels qui soient non pas uniquement franco-français, mais exportables dès l’origine ; j’avais réussi à introduire cette dimension dans le projet de loi portant réforme ferroviaire. Dans cet esprit, il serait utile de créer un partenariat avec le ministère des affaires étrangères et du développement international et UbiFrance pour mieux évaluer la demande mondiale et en tirer les conséquences au plan national et à l’export.
Sur le marché français, il faudrait autoriser des expérimentations visant à regrouper la commande publique entre plusieurs donneurs d’ordre, afin d’éviter la démultiplication des coûts de développement des produits, un peu sur le modèle de ce qui existe dans le secteur aérien.
Enfin, l’État doit être attentif à l’évolution de l’offre des trains d’équilibre du territoire, ou TET, dont il est l’autorité organisatrice ; c’est le deuxième domaine dans lequel son orientation est indispensable. Il s’agit des trains Intercités, qui assurent une grande diversité de services, mais, malheureusement, avec un matériel de plus en plus obsolète. Ces trains étaient gérés et financés par la SNCF avant que l’État n’en devienne l’autorité organisatrice en 2011.
La convention signée avec la SNCF, qui devait arriver à échéance fin 2013, a toujours été considérée comme provisoire, puisqu’elle ne faisait que geler la situation héritée du passé. L’année dernière, le Gouvernement a décidé de la prolonger d’un an – jusqu’à la fin 2014. Or, cette année, qu’apprend-on ? Qu’une convention relais va être signée, afin de laisser encore un an à l’État pour définir sa stratégie. Où est donc cet État stratège que le Gouvernement revendique tant ?
Les problèmes à régler sont nombreux. Tout d’abord, l’architecture retenue pour assurer le financement des TET via un compte d’affectation spéciale majoritairement alimenté par la SNCF a été qualifiée par la Cour des comptes d’ « habillage juridique de la situation antérieure ». De fait, ce mécanisme n’est pas de nature à responsabiliser les deux parties concernées. La SNCF est censée recevoir des bonus si elle améliore la qualité de son service, mais ces bonus sont en fait financés par une augmentation de sa propre contribution au compte d’affectation spéciale. Pour sa part, l’État n’assume pas le surcoût résultant de ses décisions, puisque c’est le budget de la SNCF qui est la variable d’ajustement budgétaire.
Pour ce qui concerne l’offre, elle est très hétérogène et crée une véritable confusion entre les services de TER et de TET. Il faut que l’État définisse une stratégie. Je ne peux que me réjouir de la méthode employée dans le cadre de la commission Mobilité 21. Cette méthode a porté ses fruits. Il est vraiment dommage que l’État ait déjà perdu deux ans sur ce dossier.
J’en viens au troisième domaine dans lequel l’État devra exercer ses prérogatives : la libéralisation du transport par autocar. J’y suis évidemment favorable. J’ai toutefois été très étonné d’entendre le Gouvernement nous annoncer tout d’un coup cette mesure, après avoir refusé tout aussi catégoriquement, au mois de juillet, l’ouverture à la concurrence du rail que je proposais. Cette politique me paraît contradictoire. Où est la cohérence ?
Je suis partisan de l’ouverture à la concurrence du transport par autocar, car elle permettra de faire baisser les coûts du transport et d’assurer un transfert modal supplémentaire. Cependant, il y a un risque sérieux de report du train vers la route, qui est, de fait, la véritable concurrente du rail. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement devra limiter la libéralisation aux itinéraires qui répondent aux besoins et aux attentes des usagers.
En conclusion, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, nous vous confirmons notre profonde inquiétude quant à l’état du secteur ferroviaire, et nous ne pouvons que vous inviter à prendre sans délai les mesures qui s’imposent.