Je ferai une première remarque de caractère général.
Les dossiers fiscaux de plusieurs groupes multinationaux, appartenant à des secteurs économiques différents – entreprises industrielles ou de services, notamment dans le domaine du numérique, etc. –, révèlent les opérations et schémas fiscaux utilisés par les entreprises afin de réduire leur niveau d’imposition en France, mais aussi les difficultés rencontrées par l’administration fiscale dans l’exercice de ses missions de contrôle.
L’impôt est désormais perçu comme un coût parmi d’autres que les groupes multinationaux essaient de réduire, d’« optimiser », pour employer le langage à la mode.
Dans cette perspective, les grandes entreprises bénéficient du jeu complexe de la hiérarchie des normes qui fait primer les conventions internationales et le droit de l’Union européenne sur la loi fiscale française. Or le principe de non double imposition et les libertés de circulation européennes permettent aux plus grandes entreprises de localiser leur base taxable là où la fiscalité est la plus clémente, voire de réduire leur imposition au strict minimum.
Cette tendance a été rappelée par le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport d’octobre 2009 portant sur les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie mondialisée. Ce rapport révèle que les groupes les plus importants acquitteraient leur impôt à un « taux implicite d’imposition » de 13 % seulement, bien en deçà de celui des entreprises de taille intermédiaire ou des petites et moyennes entreprises.
Ma seconde remarque m’amène à l’objet de cet amendement.
Il ressort des investigations conduites au cours des derniers mois que le premier levier d’optimisation des entreprises multinationales relève des prix de transfert et de la restructuration d’entreprises. À cet égard, certains groupes transfèrent des fonctions, des risques ou des actifs stratégiques dans des États à faible taux d’imposition, laissant en France des sociétés aux activités beaucoup moins rémunératrices.
Pourtant, la réalité économique de ces entreprises demeure généralement inchangée, la rémunération allouée à la France ne correspondant dès lors plus à la richesse qui est effectivement produite.
Face à ces procédés abusifs, l’administration fiscale dispose de l’article 57 du code général des impôts. Celui-ci prévoit que les prix pratiqués entre entreprises d’un même groupe doivent être identiques à ceux qui sont pratiqués avec une entreprise indépendante. Ce dispositif fonde l’essentiel des redressements qui touchent les grandes entreprises, lesquels ont atteint 2 milliards d’euros en 2009 et 1, 4 milliard d’euros en 2010.
Toutefois, il semblerait que le dispositif prévu à l’article 57 précité ait perdu en efficacité du fait des évolutions de la réalité économique. Tout d’abord, la concentration accrue des entreprises rend plus difficile la comparaison des prix pratiqués au sein d’un même groupe avec ceux qui sont en vigueur entre des entreprises indépendantes. Ensuite, les flux commerciaux portent de moins en moins sur des marchandises, mais concernent principalement ce que l’on appelle des actifs incorporels, qui sont facilement délocalisables tout en étant difficiles à évaluer par l’administration fiscale.
C’est exactement en ces termes que notre collègue Philippe Marini, ancien président de la commission des finances, avait motivé l’une de ses propositions de loi originales dont nous reprenons ici, sans la moindre hésitation, l’un des éléments clefs.
La lutte contre la fraude fiscale, devenue l’une des priorités de l’action gouvernementale, doit effectivement passer par une modification de l’article 57, arme anti-délocalisation des bénéfices qu’il nous faut moderniser et renforcer.
Les enjeux de la migration des assiettes fiscales, ajoutés aux nombreuses dispositions d’allégement de l’impôt – le régime des groupes et la consolidation des comptes ont également quelques effets pervers du point de vue de la délocalisation des profits et, plus encore, des activités – imposent que les propositions formulées il a un an et demi par notre éminent collègue trouvent leur place dans la législation fiscale de notre pays.