Plus sérieusement, l’amendement aborde un vrai sujet. Avec Philippe Dallier, nous avons travaillé sur la fiscalité numérique, mais aussi sur le commerce électronique, la fraude douanière, etc. Nous avons très souvent parlé de la fiscalité numérique en commission. Nous en reparlerons sans doute. J’entends bien qu’il s’agit d’un amendement d’appel. Je ne souhaite pas que la question de la fiscalité numérique soit évacuée.
Monsieur Bocquet, je souscris totalement à vos propos sur l’érosion de nos bases fiscales en raison du développement d’internet ; cette érosion concerne en particulier l’impôt sur les sociétés et la TVA. Le commerce électronique et la publicité en ligne, par exemple, donnent lieu à une délocalisation de nos bases fiscales.
Toutefois, si votre amendement, qui vise à instaurer une taxe sur la publicité en ligne et une taxe sur les services de commerce électronique, était adopté en l’état, il n’atteindrait pas son but mais aurait au contraire pour conséquence une nouvelle délocalisation de nos bases fiscales. L’instauration d’une taxe sur la publicité en ligne due, en vertu du principe de territorialité de l’impôt, par les régies publicitaires et les annonceurs installés en France conduirait ces derniers à s’installer ailleurs : ils organiseraient leurs campagnes de publicité depuis l’étranger.
De même, l’instauration d’une taxe sur les services de commerce électronique due par toute personne vendant par internet des produits à des particuliers établis en France – l’intention est louable – conduirait toutes les entreprises de commerce électronique installées dans notre pays à partir à l’étranger. En effet, quel intérêt auraient ces entreprises à rester en France alors qu’il leur suffirait de s’installer notamment au Luxembourg ou en Belgique pour échapper à la taxe ?
On observe déjà ce phénomène en matière de vidéo à la demande et de musique en ligne. Tous les sites qui commercialisent ces services dématérialisés sont installés au Luxembourg, compte tenu du différentiel de taux de TVA.
Votre amendement pose un problème de territorialité de la taxe. Il ne s’agit pas d’évacuer la question que vous soulevez, mais votre proposition ne pourrait être mise en œuvre que dans un cadre au moins européen.
L’érosion de nos bases fiscales en raison du développement du numérique et des stratégies des grands groupes de ce secteur nous préoccupe considérablement. Je suis complètement d'accord avec vous sur ce point.
Un certain nombre d’avancées ont été ou sont en train d’être réalisées. L’Union européenne a relancé le projet d’une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, dit projet ACCIS. À compter du 1er janvier 2015, la TVA sur les services en ligne sera – enfin ! – due dans le pays du consommateur, et non plus dans celui de l’entreprise. Cela vise le cas du Luxembourg dont je parlais à l’instant. Concrètement, si quelqu'un achète un film ou télécharge de la musique depuis la France, c’est la TVA française qui s’appliquera. Des mesures ont également été prises pour renforcer le contrôle des prix de transfert.
Je le répète, l’instauration de taxes uniquement françaises sur la publicité en ligne et les services de commerce électronique raterait sa cible. Ce serait un encouragement à la délocalisation des sites à l’étranger.
J’espère que nous pourrons travailler sur cette question tout au long de l’année. Je ne dis pas cela simplement pour vous inciter à retirer votre amendement. Je pense qu’il s’agit d’un vrai sujet. Philippe Dallier et moi-même y sommes très sensibles. C’est également le cas de plusieurs de nos collègues. Il faut approfondir cette question plutôt que d’instaurer deux taxes sans en avoir mesuré les effets. La commission émet donc un avis défavorable – non pas sur le principe, mais parce que l’amendement n’est pas directement opérationnel.