Intervention de Jean-Yves Leconte

Réunion du 10 décembre 2014 à 14h30
Expulsion des squatteurs de domicile — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte :

Cependant, ce n’est pas le sujet du jour. Peut-être faudra-t-il, après l’hiver, faire rapidement le bilan de cette récente évolution législative, afin de voir si elle a permis de mieux protéger le droit au logement de chacun.

J’en viens à la procédure pénale. En cas de flagrant délit de violation de domicile au sens de l’article 226-4 du code pénal, les forces de police ou de gendarmerie peuvent intervenir immédiatement et diligenter une enquête permettant notamment d’arrêter l’auteur de l’infraction sur les lieux et de le placer en garde à vue. Dans ce cadre, les interventions des forces de l’ordre se font sous l’autorité du procureur de la République, et non sous celle du préfet, comme le prévoit la circulaire du 26 août 1994 relative à la prévention des expulsions de locaux et à l’exécution des décisions de justice prononçant une expulsion de locaux d’habitation.

Aux termes de l’article 53 du code de procédure pénale, « est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit. » L’article 226-4 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur, punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet ».

La présente proposition de loi vise à modifier les dispositions de l’article 226-4 du code pénal afin de faire de la violation de domicile une infraction continue. Concrètement, dès lors que l’introduction dans les lieux aura été illicite, il ne sera pas nécessaire de caractériser de nouveaux comportements illicites durant le maintien dans les lieux pour que les forces de l’ordre puissent intervenir dans le cadre de la flagrance. Il s’agit d’ajouter à l’article 226-4 du code pénal un alinéa permettant aux forces de l’ordre de diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance tant que les occupants se maintiennent dans le domicile. Peu importerait donc que l’intrusion ait eu lieu plusieurs jours ou plusieurs semaines auparavant.

Si ce texte venait à être adopté, il serait donc possible, à tout moment, y compris en période de trêve hivernale, d’avoir recours aux forces de l’ordre sans aucun contrôle juridictionnel et sans respect du principe du contradictoire. Si ce n’est pas la position actuelle de nos juridictions, c’est néanmoins ce qui ressort déjà d’une circulaire de la Chancellerie datant de mai 1993, qui précise que « le nouveau code pénal étend la répression à l’hypothèse du maintien dans le domicile d’autrui, transformant ainsi cette infraction instantanée en délit continu ».

Je souligne également que les dispositions de la proposition de loi, telles que corrigées par notre commission des lois, permettraient aux forces de l’ordre de qualifier pénalement un lieu de « domicile » ou une infraction de « maintien dans le domicile » au sens de l’article 226-4 du code pénal sans qu’aucun juge puisse se prononcer et, le cas échéant, requalifier les faits. N’y aura-t-il pas des cas où la police ou la gendarmerie, sur lesquelles le texte fait peser une lourde responsabilité, ne seront pas en mesure, par exemple parce que les faits remontent à plusieurs mois, de déterminer si l’introduction dans le domicile a bien eu lieu à l’aide de voies de fait ou de manœuvres ?

Il n’en demeure pas moins que la protection des victimes de violation de domicile, souvent fragiles et désemparées, exige des dispositifs rapides, lisibles et efficaces.

Madame Bouchart, nous connaissons la situation dont sont victimes les habitants de Calais : c’est un concentré de la misère et des conflits du monde, mais elle témoigne aussi, lorsque l’on regarde les migrants, de la force de l’espoir et de la volonté de s’en sortir de ces gens qui cherchent une terre accueillante pour eux, ou supposée telle.

Les difficultés doivent donc être appréhendées dans une vision globale, intégrant la crédibilité de notre politique d’asile et la gestion de l’immigration au niveau européen ; nous avons évoqué cette question la semaine dernière avec nos collègues britanniques, dans le cadre d’une audition de la commission des affaires européennes.

Nous nous en sortirons par une meilleure convergence européenne et une révision des règlements Dublin et Eurodac, afin que les pays européens les plus éloignés des zones d’arrivée des migrants ne rejettent pas toute la responsabilité de la gestion des flux et de l’accueil des migrants sur les pays qui constituent les frontières sud et est de l’Union européenne.

Nous nous en sortirons aussi en chassant résolument tous les réseaux et toutes les mafias qui prospèrent là où la misère et l’espoir des migrants convergent.

Cela étant, il ne faut en aucun cas légiférer dans l’émotion, en adoptant une loi de circonstance qui ne serait qu’un communiqué de presse ne résolvant en rien ces problèmes précis et tragiques.

La plupart des squats de Calais ne concernent probablement pas des domiciles. C’est donc une réponse beaucoup plus large qu’il faut apporter. Pour ce faire, vous avez besoin de la solidarité nationale et de la solidarité européenne, et non de remettre en cause, à travers deux amendements, l’ensemble de l’édifice destiné à protéger non seulement la propriété et l’inviolabilité du domicile, mais aussi le droit au logement des plus fragiles, des familles sans moyens pour lesquelles un toit volé est la seule option si elles veulent ne pas être à la rue avec leurs enfants.

Cette situation, indigne de notre pays, est la conséquence de la crise sociale, de la situation de l’emploi, de la crise du logement, des blocages de notre société et de la précarité rampante et croissante. Mas avons-nous vraiment le droit de déchirer, à la veille de l’hiver, les outils juridiques qui permettent de garantir à chacun l’indigne minimum, alors que nous n’avons rien d’autre à offrir ? Tel est bien l’objet de vos amendements, qui visent à étendre les dispositions de la proposition de loi à l’ensemble des locaux susceptibles d’occupations illégales, qu’il s’agisse d’habitations, d’usines désaffectées ou d’autres locaux abandonnés.

Le groupe socialiste du Sénat votera évidemment contre ces amendements, qui ne correspondent en rien aux dispositions adoptées par la commission.

Attachés au respect du droit des victimes de violation de domicile, nous avons décidé de nous abstenir sur le texte de la commission, mais nous voterons contre la proposition de loi si l’un des amendements que je viens d’évoquer est adopté.

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