Intervention de René-Paul Savary

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 décembre 2014 : 1ère réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Examen du rapport pour avis

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, rapporteur pour avis :

La commission des affaires sociales s'est saisie pour avis des articles 23 et 24 du projet de loi relatif à l'organisation territoriale de la République, dit « NOTRe ».

Avant de vous présenter en détail ces deux dispositions, je reviendrai quelques instants sur le contexte dans lequel nous examinons ce texte. Le projet de loi « NOTRe » constitue le troisième volet de la réforme territoriale proposée par le Gouvernement. La loi de modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles, dite « Mapam » a été promulguée le 27 janvier dernier. Le projet de loi relatif à la délimitation des régions est en cours de discussion au Parlement et doit être examiné par le Sénat la semaine prochaine en nouvelle lecture. Le troisième volet - cela est régulièrement regretté - n'est pas un texte de décentralisation. Il n'a pas pour objet, comme cela a été fait par le passé, de transférer des compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales, mais doit permettre, selon le Gouvernement, de renforcer l'efficacité de l'action des collectivités territoriales par une clarification de leurs compétences respectives et par l'affirmation des niveaux régional et intercommunal. Plutôt qu'un texte de décentralisation, il s'agirait donc, dans l'esprit, d'un texte de rationalisation.

Dans le champ des politiques sociales, c'est au département qu'a été confié, depuis 2004, le rôle de chef de file. Or, à la date du dépôt au Sénat du texte que nous examinons aujourd'hui - il a été enregistré à la Présidence le 18 juin dernier -, l'avenir des départements semblait scellé puisque l'exposé des motifs du projet de loi envisageait clairement leur suppression à l'horizon 2020, dans le cadre d'une révision constitutionnelle. Mais les données du problème ont évolué. Lors du débat organisé au Sénat le 28 octobre dernier, le Premier ministre a reconnu le rôle indispensable que jouent les départements « en matière de protection des populations les plus fragiles et de soutien aux communes ». Il a par ailleurs indiqué que les conseils départementaux, qui seront renouvelés au mois de mars prochain, devraient être confortés dans leurs compétences de solidarités territoriales et humaines, renvoyant à l'après 2020 l'hypothèse d'une réforme dont les contours ne sont aujourd'hui pas définis. C'est donc au regard de ces éléments nouveaux que nous devons désormais examiner la façon dont le projet de loi « NOTRe » envisage l'articulation entre les différents niveaux de collectivités territoriales.

Deux articles concernent plus spécifiquement le champ de compétences de notre commission. L'article 23 prévoit la possibilité d'organiser, dans le cadre d'une convention, le transfert ou la délégation de sept groupes de compétences, ou d'une partie d'entre eux, des départements vers les métropoles. Six de ces groupes de compétences entrent dans le champ des politiques sociales, le septième étant relatif au tourisme, à la culture et à la gestion des équipements sportifs. L'article 23 dispose par ailleurs que, dans l'hypothèse où aucune convention n'aurait été conclue sur au moins trois des sept groupes de compétences au 1er janvier 2017, leur totalité serait transférée, de droit, aux métropoles.

Quelles sont les six groupes de compétences sociales pouvant faire l'objet d'un transfert ou d'une délégation ? Il s'agit de la gestion du fonds de solidarité pour le logement, des missions confiées au service départemental d'action sociale, c'est-à-dire en pratique des travailleurs sociaux des circonscriptions d'action sociale du département, de l'adoption, de l'adaptation et de la mise en oeuvre du programme départemental d'insertion, de la gestion du fonds d'aide aux jeunes en difficulté, des actions de prévention spécialisée menées auprès des jeunes en difficulté et de leurs familles, de l'action sociale menée notamment auprès des personnes âgées. La rédaction de cette dernière disposition étant particulièrement floue puisqu'elle laisse à penser que l'ensemble de la compétence d'action sociale des départements pourrait être transférée aux métropoles.

Je vous présenterai quatre amendements à cet article. Les trois premiers visent à mieux définir les groupes de compétences susceptibles de faire l'objet d'un transfert ou d'une délégation et à supprimer toute ambigüité quant à l'étendue des missions concernées. Je vous proposerai en particulier d'en exclure le service départemental d'action sociale. Les équipes qui travaillent au sein des circonscriptions d'action sociale jouent en effet un rôle pivot pour l'orientation vers les différents services du département, notamment ceux de l'aide sociale à l'enfance ou de la protection maternelle et infantile, qu'il n'est pas prévu de transférer aux métropoles. Introduire une dissociation entre ces services m'apparaît donc peu pertinent voire dangereux pour la qualité du service rendu aux populations. Le quatrième amendement que je vous soumettrai a quant à lui pour objet de supprimer le caractère automatique du transfert de compétences au 1er janvier 2017. J'estime en effet que seule une démarche volontaire, pleinement partagée par les deux acteurs concernés, peut s'avérer pertinente en la matière.

L'article 24 supprime la clause de compétence générale des départements, tout comme le fait l'article 1er pour les régions. Il propose par ailleurs de réécrire en partie l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales afin de fixer une liste des domaines dans lesquels le département est compétent. Sont notamment compris l'aide aux personnes en situation de fragilité, l'accueil des jeunes enfants, l'autonomie des personnes ou l'accès aux droits et services. L'intérêt d'une telle liste me semble limité. La règle selon laquelle, du fait de la suppression de la clause générale de compétences, le département intervient « dans les domaines de compétences que la loi lui attribue », se suffit à elle-même. En outre, l'article L. 3211-1 dispose d'ores et déjà que le département a pour mission de « promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale ». Conserver cette formulation générale tout en l'améliorant afin de faire clairement apparaître les deux piliers sur lesquels repose l'action des départements - la solidarité des hommes et la solidarité des territoires - me paraît plus pertinent. Je vous proposerai donc un amendement en ce sens.

A ce stade de mon intervention, j'aimerais pouvoir aller plus loin. Nous examinons un texte de clarification des compétences entre collectivités territoriales, il serait légitime que je puisse vous proposer un certain nombre de mesures structurelles permettant de mettre fin à des doublons qui, dans le domaine social et médico-social, freinent l'action publique et limitent son efficacité. Le rapport Jamet en 2010, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) en 2012, la Cour des comptes au mois de septembre dernier, pour ne citer que quelques-uns des travaux qui ont été menés sur ces questions, ont tous recommandé de clarifier les règles d'autorisation et de financement dans le secteur médico-social. Nous aurions notamment pu, en nous inspirant de leurs préconisations, créer un chapitre nouveau au sein du projet de loi qui aurait été consacré à la clarification des relations entre les conseils généraux et les agences régionales de santé (ARS). J'envisageais principalement trois mesures en la matière :

- mettre fin au financement conjoint par l'assurance maladie et par les conseils généraux des centres d'action médico-sociale précoce (Camsp) afin d'aligner leur régime juridique sur celui qui s'applique à l'ensemble des autres structures pour enfants en situation de handicap ;

- entamer un rapprochement entre les maisons d'accueil spécialisées (MAS) et les foyers d'accueil médicalisés (FAM), dont nous savons qu'ils accueillent des publics aux profils sensiblement identiques ;

- confier aux départements la responsabilité des maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer (Maia) afin de faciliter l'articulation entre ces dernières et les centres locaux d'information et de coordination (Clic).

Malheureusement, je ne peux rien vous proposer en la matière. Tout transfert de compétences entre personnes publiques, même s'il s'effectue à enveloppe de financement constante, est considéré comme irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. Les règles de recevabilité financière sont particulièrement strictes en temps normal. Elles confinent à l'absurde lorsqu'il s'agit d'examiner un texte dont l'objet même est d'organiser la répartition des compétences entre collectivités territoriales : en souhaitant exercer pleinement sa mission, le Parlement prendrait le risque de contrevenir à la lettre de la Constitution. J'ai soulevé le problème à plusieurs reprises au cours des auditions organisées sur le projet de loi. Jeudi dernier, la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, Marylise Lebranchu, s'est montrée attentive et m'a indiqué qu'elle évoquerait la question avec la ministre des affaires sociales, Marisol Touraine. Je souhaite vivement que nous puissions entamer un dialogue constructif avec le Gouvernement afin que l'article 40 ne conduise pas à empêcher toute initiative du Parlement sur ce texte.

Je vous proposerai malgré tout un amendement qui, en contournant la contrainte de l'article 40, vise à mettre l'Etat face à ses responsabilités concernant la prise en charge des mineurs isolés étrangers. Il s'agit d'instituer un prélèvement sur les recettes de l'Etat destiné à compenser le coût financier que représente pour les départements la prise en charge de ces jeunes. Cette solution n'est pas parfaite et il aurait été bien préférable de pouvoir proposer un dispositif plus abouti. J'avais ainsi songé, m'inspirant en cela de recommandations du rapport remis par Isabelle Debré en 2010, à un dispositif se fondant sur le financement par l'Etat de la période de mise à l'abri, d'évaluation de la situation des jeunes et d'orientation et créant, au sein du fonds national de la protection de l'enfance, une section spécifique destinée aux départements particulièrement confrontés à l'accueil de mineurs isolés étrangers. Une telle solution n'était cependant pas recevable financièrement.

J'en viens au sujet de la régionalisation de la compétence « emploi », qui n'est pas abordé dans le texte, mais qui a été mis sur la table par l'Association des régions de France (ARF). En effet, dès lors que la région est compétente en matière de développement économique, de formation professionnelle et d'apprentissage, pourquoi ne pas aller au bout de la logique en lui confiant également la compétence « emploi » ?

Tout en conservant les règles actuelles nationales pour l'indemnisation des demandeurs d'emploi, l'ARF propose ainsi une expérimentation pour décentraliser l'accompagnement des demandeurs d'emploi aux régions volontaires, en leur transférant les crédits nécessaires de l'Etat et en prévoyant des conventions d'objectifs et de moyens conclues avec chaque acteur de la politique de l'emploi : Pôle emploi bien sûr, mais aussi les missions locales, Cap emploi, les maisons de l'emploi, ou encore les structures en charge des plans locaux d'insertion pluriannuels pour l'insertion et l'emploi (Plie)... Cette proposition ne peut cependant pas, selon moi, être portée par un amendement parlementaire, en raison, là encore, des règles très rigoureuses de recevabilité financière découlant de l'article 40 de la Constitution. J'observe avec satisfaction que lors de son audition jeudi dernier au Sénat, la ministre la décentralisation s'est dite ouverte à une expérimentation pour transférer certaines compétences en matière d'emploi aux régions, sans en définir toutefois, ni la portée, ni les modalités.

Afin de renforcer le rôle des régions en matière d'emploi tout en conservant les avancées de la loi du 5 mars dernier relative à la formation professionnelle, je vous proposerai tout à l'heure un amendement qui poursuit un double objectif.

D'une part, il renforce les missions de Pôle emploi, sur lesquelles devront se caler celles de tous les autres acteurs de la politique de l'emploi, tout en accélérant la déconcentration de l'opérateur public au niveau régional. D'autre part, il donne un rôle de chef de file aux régions pour coordonner l'action des différents intervenants, en modifiant au profit de celles-ci la gouvernance des comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop), créés par la loi du 5 mars dernier.

Cet amendement trace un chemin, il initie une dynamique, sans bouleverser le paysage institutionnel actuel. Pôle emploi a vocation à devenir à moyen terme l'opérateur de référence en matière d'emploi : des structures comme les missions locales et les Cap emploi doivent en devenir des émanations, tandis que le rôle des Plie et des maisons de l'emploi doit être évalué en toute objectivité pour déterminer au cas par cas leur plus-value. En outre, le Gouvernement devrait choisir un seul financeur public par type de structure, afin de supprimer les financements croisés devenus incompréhensibles. Les régions ont quant à elles un rôle à jouer pour mettre un terme à la « cacophonie » et au « capharnaüm » actuels, bousculer les habitudes et les inerties de certaines structures, et endosser la responsabilité politique des actions menées sur leur territoire. Trop d'énergie est dépensée pour coordonner les acteurs de la politique de l'emploi, au détriment des demandeurs d'emploi et des entreprises.

J'estime enfin nécessaire d'aller plus loin dans la réflexion autour de l'accompagnement social vers l'emploi. Nous devons absolument replacer l'individu au centre de politiques d'accompagnement globales sans se soucier de savoir si le demandeur d'emploi bénéficie ou non du revenu de solidarité active (RSA). Les actions d'insertion demeureront de la compétence du conseil général, comme aujourd'hui à travers le pacte territorial pour l'insertion (PTI), mais il faudra mieux les articuler avec les missions du Crefop, afin de conforter son rôle d'ensemblier des politiques de l'emploi au sens large à l'échelon régional.

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