Ces particularités, renforcées par une coopération fiscale plus qu'aléatoire, avaient valu à Andorre d'être placée sur la « liste grise » des paradis fiscaux de l'OCDE.
Durement touchée par la crise de 2008, Andorre a entrepris une de diversifier son économie, fondée sur le tourisme, le commerce et la finance, et surtout de réformer en profondeur son système fiscal. Ont ainsi été instaurés : un impôt de 15 % sur les plus-values immobilières ; un impôt de 10 % sur les bénéfices des sociétés ; une TVA unique de 4,5 % ; et, à compter du 1er janvier 2015, un impôt sur le revenu des personnes physiques, fixé à 5 % ou 10 % en fonction du revenu.
Ces réformes ambitieuses, ainsi que la signature de 26 accords d'échange de renseignements fiscaux, ont permis d'envisager la signature d'une convention fiscale, que la principauté sollicite de longue date. L'accord signé le 2 avril 2013 est le résultat de ces négociations.
Que contient cette convention fiscale ? En fait, elle est pour l'essentiel très classique, et largement conforme au modèle de l'OCDE le plus récent, qui date de 2010. Lorsqu'elle s'écarte du modèle, c'est tantôt pour s'adapter - sans malice - aux spécificités de la législation des deux pays, tantôt pour se montrer plus exigeante que le modèle.
Les clauses d'élimination des doubles impositions sont ainsi conformes à celles qui figurent dans les autres conventions fiscales signées par la France. Ces clauses visent à répartir entre les deux États le droit d'imposer les différents revenus. Ainsi, les bénéfices d'une entreprise sont taxés dans le pays où elle a son siège, sauf si elle dispose d'un « établissement stable » dans l'autre pays. Les revenus passifs (dividendes, intérêts, redevances) sont imposés dans le pays de résidence du bénéficiaire, sous réserve d'une retenue à la source de 5 % maximum. L'imposition des plus-values est partagée en fonction d'une série de critères. Les salaires et les pensions sont respectivement imposés dans l'État d'exercice et de résidence, sauf pour les traitements et pensions de la fonction publique, qui sont imposés à la source.
La présente convention se distingue du modèle de l'OCDE par l'introduction plusieurs clauses anti-abus - cinq clauses catégorielles et une clause générale - qui permettent de refuser les avantages de la convention.
Une autre spécificité de la convention franco-andorrane est qu'elle ne prévoit pas de dispositif d'échange d'informations fiscales, mais qu'elle renvoie, à la place, à l'accord de coopération en matière fiscale signé par les deux pays le 22 septembre 2009.
Toutefois, il ne faut pas voir là une volonté d'échapper aux standards les plus récents en matière de coopération fiscale. En fait, la signature de cet accord spécifique s'explique par le fait qu'à l'époque, Andorre n'avait pas de convention fiscale avec la France qui aurait pu servir de support. Mais ses clauses ont sensiblement le même niveau d'exigence que celles du modèle 2010 de l'OCDE, notamment au regard du secret bancaire, alors même qu'elles sont antérieures.
De plus, l'administration fiscale nous a fait savoir qu'Andorre répondait de manière satisfaisante aux demandes de la France. Il faut à cet égard rappeler que la législation andorrane n'autorise pas la création de structures opaques telles que les trusts.
Certes, l'accord de 2009 prévoit seulement l'échange d'informations fiscales à la demande, qui est comme vous le savez moins efficace que l'échange automatique, puisqu'il suppose une bonne volonté de la part de l'État interrogé. Toutefois, Andorre s'est formellement engagée, le 29 novembre 2014 à Berlin, à mettre en oeuvre l'échange automatique d'informations d'ici 2018. La France s'y est engagée pour 2017. De plus, la principauté a signé la convention multilatérale de l'OCDE qui prévoit l'échange automatique, et mène actuellement des négociations avec la Commission européenne en vue d'appliquer les standards les plus exigeants en la matière.
Si la présente convention se limitait aux points que je viens d'évoquer, il n'y aurait rien à y redire : il s'agit d'une convention fiscale classique, équilibrée et conforme aux standards les plus récents. Mais l'accord franco-andorran comporte, en plus, une clause très particulière qui me semble problématique, et justifie, à mon sens, le rejet du texte.
L'article 25-1 d prévoit en effet que « la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d'Andorre comme si la présente convention n'existait pas ». Pour le dire autrement, cette clause permet à la France d'instituer une imposition des personnes physiques à raison de leur nationalité, et non pas à raison de leur résidence ou de l'origine de leurs revenus.
Cet élément est complètement dérogatoire par rapport au droit français, l'article 4A du code général des impôts prévoyant depuis longtemps une imposition selon un principe de résidence : l'obligation fiscale pèse sur ceux qui bénéficient des services publics - éducation, protection sociale etc. Au sein de l'OCDE, les États-Unis sont le seul pays à pratiquer une imposition selon la nationalité, étant entendu que l'impôt acquitté ailleurs par les citoyens américains ouvre droit à un crédit d'impôt aux États-Unis.
Cette stipulation est, de même, parfaitement dérogatoire par rapport au modèle de l'OCDE, fondé lui aussi sur un principe de résidence, repris par les conventions fiscales signées par la France.
Certes, la secrétaire d'État chargée du développement et de la francophonie, Annick Girardin, a juré devant nos collègues députés que « la mention d'une possible imposition des nationaux français résidant en Andorre est sans effet juridique », que celle-ci « résulte du contexte particulier dans lequel se sont déroulées les négociations » et qu' « aucun projet de ce type n'existe » dans les conventions actuellement négociées par la France.
Par ailleurs, la lecture attentive du texte de la convention, qui précise que « les autorités compétentes des États contractants règlent d'un commun accord la mise en oeuvre » de cette disposition, laisse planer le doute quant à la possibilité d'instaurer effectivement un tel régime, tant celui-ci est défini de manière vague...
Surtout, alors que la parole d'un ministre n'engage que son Gouvernement, une convention fiscale est susceptible de rester en vigueur des dizaines d'années - or la question d'un impôt lié à la nationalité revient très régulièrement dans le débat public. C'était par exemple une proposition des deux principaux candidats pendant la campagne présidentielle de 2012. Les Gouvernements passent, mais les textes demeurent.
L'inquiétude de nos compatriotes Français de l'étranger est donc bien légitime. Et elle pourrait bientôt faire écho à l'inquiétude des autres partenaires de la France, avec lesquels nous négocions actuellement de nouvelles conventions fiscales. Compte tenu de ces éléments, il me semble donc que le maintien de cette clause dans le texte de l'accord du 2 avril 2013 pose un problème de principe.
Ainsi, soit cette clause a vocation à s'appliquer, à court terme ou à long terme, et alors la modification fondamentale de notre système fiscal qu'elle implique exige la tenue d'un débat national. Cela ne saurait se faire par l'introduction en catimini d'une stipulation dans une convention fiscale. Cela exige la modification préalable, par le législateur, du code général des impôts. Soit cette clause n'a pas vocation à s'appliquer, et alors elle n'a plus sa place dans l'accord qui nous est soumis. Celui-ci doit être renégocié ou, au minimum, modifié par la signature d'un avenant.
Par ailleurs, je crois utile de préciser qu'il n'y a pas urgence : les stipulations de cet accord ne s'appliqueront concrètement qu'aux impôts dus au titre de l'année suivant celle de son entrée en vigueur. En d'autres termes, que la convention entre en vigueur le 1er janvier, le 1er juillet ou le 1er décembre 2015, elle ne sera de toute façon applicable qu'à compter de l'année 2016.
En conséquence, je vous propose donc de ne pas adopter le présent projet de loi de ratification.