Intervention de Valérie Létard

Commission des affaires économiques — Réunion du 9 décembre 2014 : 1ère réunion
Nouvelle organisation territoriale de la république — Examen du rapport pour avis

Photo de Valérie LétardValérie Létard, rapporteure pour avis :

Le 5 novembre, notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République déposé en première lecture au Sénat, conformément à la tradition. Ce texte vise à renforcer l'efficacité de l'action des collectivités en substituant à la clause de compétence générale une répartition des responsabilités plus précise par niveaux de collectivités.

Notre commission a décidé d'examiner plus précisément les volets économie et tourisme, traités dans 7 des 37 articles de ce projet : les articles 2 et 3 donnent à la région le premier rôle dans le soutien au développement économique ; l'article 4 est consacré au tourisme ; l'article 6 traite du schéma régional d'aménagement et développement durable du territoire, pour son impact économique ; les articles 18, 19 et 20 renforcent le bloc des compétences obligatoires des intercommunalités en matière de tourisme et l'article 28 prévoit la création de guichets uniques en matière de tourisme.

J'ai procédé à plusieurs auditions et consultations tout en participant aux travaux de la commission des lois où des points de vue très divers se sont exprimés. Sept rapporteurs relevant de six commissions interviendront sur ce texte : Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, pour la commission des lois, Charles Guené pour la commission des finances, Catherine Morin-Desailly pour la commission de la culture, Rémy Pointereau pour la commission du développement durable et René-Paul Savary pour la commission des affaires sociales.

Dans ce contexte, mes propositions s'ordonnent autour d'un message simple : l'analyse des transformations économiques et sociales de terrain - et non pas l'esprit de système - doit guider l'adaptation du cadre juridique des interventions économiques des collectivités locales. Seul le réalisme assurera l'efficacité économique, la cohésion sociale et la préservation de la motivation des élus pour répondre aux attentes des entreprises et des citoyens. De plus, la situation actuelle ne nous donne guère le droit à l'erreur.

Au cours des auditions, certains intervenants ont rappelé qu'il n'était pas simple de distinguer parmi les interventions des collectivités celles qui sont de nature purement économique. Les collectivités territoriales, comme l'État, sont, par l'exercice direct de leurs compétences, des agents économiques de premier plan en tant qu'acheteurs et en tant qu'employeurs. Cependant, dans la logique juridique, ce rôle doit être distingué de celui d'intervenant au profit des entreprises du secteur marchand. Par leurs actions diverses en matière d'aménagement, d'infrastructures et de services aux entreprises, les collectivités contribuent à créer un environnement favorable à l'implantation et au développement des entreprises. Ces actions ne relèvent pas de la compétence « développement économique » au sens du projet de loi mais elles contribuent au dynamisme des territoires.

Les interventions économiques des collectivités territoriales avoisinent 6,5 milliards d'euros soit le septième de celles de l'État. Les régions y consacrent 2,1 milliards d'euros (soit 8,3 % de leur budget 2011), les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) 1,7 milliard d'euros, les départements 1,6 milliard d'euros (1,6 % de leur budget) et les communes 983 millions d'euros (1,5 %).

Si les dépenses d'intervention économique des collectivités ont progressé de près de 1% en moyenne annuelle sur la période 2007-2011, celles des départements ont décru de 14 %, en particulier à partir de 2010, et surtout au détriment de l'investissement (- 23 %) ; celles des régions ont progressé de 18 %, et celles des communes et groupements à fiscalité propre de près de 7 %. Ces dépenses se répartissent à part égale entre fonctionnement et investissement.

Le cadre juridique de ces interventions a été redessiné par deux lois de décentralisation récentes : celle du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, a institué le rôle de chef de file de la région, qui implique l'obligation de conventionnement pour certaines aides, ainsi que la nécessité, pour une collectivité infrarégionale souhaitant créer un dispositif propre, d'obtenir l'accord de la région ; la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, a supprimé la distinction entre aides directes et indirectes pour adapter le droit français à celui de l'Union européenne. Le régime actuel ne traduit pas de choix tranché en faveur d'une région chef de file incontestable en matière d'interventions économiques. Si les aides indirectes libres ont disparu, le nombre d'aides à l'immobilier que les collectivités peuvent octroyer sans accord de la région s'est accru.

Nous connaissons tous, sur nos territoires, le résultat de ce maquis institutionnel. À l'heure où les contraintes budgétaires se font toujours plus pressantes, il est grand temps de revoir notre copie, afin de rendre l'intervention des collectivités la plus efficace possible.

Dans une logique de cohérence et de simplification, nous devons consacrer le rôle de chef de file des régions en matière de développement économique. Leur fonction de coordination doit être spécifiée, car le développement économique est une vaste politique publique. Les régions sont, par exemple, le bon échelon pour organiser les plateformes de projection des PME et ETI à l'exportation, ou encore pour coordonner les stratégies d'attractivité. La coordination de ces actions s'impose, dans un contexte mondialisé, afin d'optimiser la visibilité de nos territoires.

Les spécificités des territoires doivent être mieux prises en compte, notamment par leur association forte aux schémas régionaux. Encourageons le dynamisme des collectivités, au moment où notre pays en a le plus besoin. Le soutien du développement économique passe par de nombreux vecteurs sur lesquels les régions n'ont ni monopole, ni véritable capacité de maîtrise d'ouvrage : animation de proximité de l'économie locale (réseaux d'affaires, interfaces avec l'université), aménagement économique du territoire (immobilier, foncier, dépollution des sols, réseaux...), services supports nécessaires pour attirer des entreprises (logement, offre culturelle et sportive, crèches etc..). Réfléchi au niveau régional, le schéma de développement économique doit être co-construit et co-produit avec les autres acteurs du territoire, intercommunalités et des métropoles en particulier.

Nous devons introduire dans la loi la souplesse nécessaire à l'élaboration de schémas qui soient vraiment du cousu-main. En matière de tourisme par exemple, on ne peut traiter de la même manière un territoire où rayonnent des stations touristiques classées, connues mondialement, et ceux dont le pouvoir d'attraction s'exercera dans le registre du tourisme vert ou industriel.

Comme l'a fait remarquer à juste titre Jean-Paul Delevoye lors de son audition devant la commission des lois, la carte territoriale ou la nouvelle répartition des compétences ne doivent pas être un objectif en soi ou une occasion d'appliquer des schémas de pensée verticaux hérités du passé, mais un moyen d'améliorer la performance économique de nos territoires et d'assurer la cohésion sociale. Dans ce que Laurent Davezies a appelé la « France périphérique », où le sentiment d'abandon domine, les collectivités sont en première ligne pour la sauvegarde de l'emploi. Favorisons des métropoles dynamiques, qui soient les locomotives d'un développement régional équilibré. Il nous faut pour cela clarifier les registres d'intervention entre le bloc local et le niveau régional, tout en respectant le principe de libre administration des collectivités locales et l'absence de tutelle de l'une sur l'autre.

Quant aux grands principes constitutionnels applicables aux interventions économiques décentralisées, le président de la section de l'intérieur du Conseil d'État, entendu par la commission des lois, a souligné que « la prescriptibilité des schémas régionaux frise la tutelle d'une collectivité sur une autre ». Le Conseil d'État a donc, par précaution, demandé que soit substitué le terme de compatibilité à celui de conformité.

Afin de surmonter tout risque d'incertitude juridique, tout en nous conformant à la logique économique et sociale, je vous proposerai d'introduire, à l'article 2, l'élaboration conjointe des schémas de développement économique. Nous ne pourrons bâtir une réforme durable en matière de développement économique sans une vision stratégique partagée et une co-construction du schéma de développement. C'est en travaillant ensemble que les régions et leurs territoires construiront des politiques alliant l'aide au tissu économique et la préparation des activités du futur. C'est pourquoi les orientations du schéma doivent être mises en débat au sein des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) pour un avis global.

Je vous proposerai d'assortir ce principe du mécanisme de contractualisation issu de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014. Des conventions territoriales d'exercice concerté clarifieront la mise en oeuvre des orientations du schéma et définiront l'implication des collectivités dans une territorialisation fine. Il importe, pour consolider les orientations régionales et leur donner une réelle cohérence, de les rendre consensuelles et de prévoir leur déclinaison territoriale. Loin d'opposer un niveau à un autre, mon objectif est de mobiliser toutes les énergies, afin de construire un projet commun, cohérent et efficace, qui favorise l'optimisation des ressources au service du développement des territoires

Enfin, je vous proposerai le maintien du mécanisme de sauvegarde prévu par l'article L. 1511-5 du code général des collectivités territoriales, permettant à une collectivité, en cas de carence de l'initiative régionale, d'intervenir en contractualisant avec l'État.

En matière de tourisme, le maintien de la compétence partagée me semble opportun, et appelle la même logique de schéma co-élaboré. Les stations classées doivent pouvoir transférer leur compétence tourisme aux intercommunalités - une souplesse fortement demandée par les associations des organismes de tourisme et les collectivités -, non y être contraintes, au risque de démotiver les communes concernées, dont le savoir-faire est précieux pour notre pays.

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