Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en une période de montée des nationalismes et d’antisémitisme virulent, dans l’Europe de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, les promoteurs du sionisme eurent pour objectif de normaliser l’existence juive et de la sécuriser. Cherchant une solution à la « question juive », ils n’en créèrent pas moins une « question arabe ».
Martin Buber, le grand penseur juif allemand, rapporte à cet égard une anecdote étonnante. Max Nordau, l’intellectuel du mouvement sioniste naissant, bras droit de Herzl, apprenant soudain la présence d’une population arabe en Palestine, se serait précipité, affolé, chez Herzl, pour lui dire : « Je ne le savais pas ! Si cela est vrai, nous commettons une injustice ! »
Herzl, ses amis, ses successeurs, imprégnés par l’idéologie coloniale du XIXe siècle, s’imaginèrent qu’en apportant les bienfaits de ce qu’on appelait alors la « civilisation », ils réussiraient à convaincre les Arabes de Palestine d’accepter une implantation juive massive. Le roman d’anticipation de Herzl, Altneuland, traduit en français sous le titre Terre ancienne, terre nouvelle et paru en 1902, décrit une Palestine imaginaire vingt ans après la constitution d’un État juif. Il a son héros arabe, le notable Rachid Bey, à qui Herzl fait dire, naïvement : « L’immigration juive fut une bénédiction pour nous. »
Pourtant, dès 1891, le publiciste juif russe Ahad Ha-Am avait lancé une claire mise en garde : « Il ne faut pas nous cacher que nous allons vers une guerre difficile. » Voilà ce qu’il disait en parlant de la présence arabe sur place. La revendication d’un « droit historique » sur la terre de Palestine, terre biblique, terre des pères fondateurs du peuple juif, n’en occulta pas moins longtemps, aux yeux de ses promoteurs, la réalité d’une présence arabe, qui pouvait, elle, se prévaloir d’un « droit national », tout aussi légitime, sur cette même terre.
On ne reviendra, certes, pas en arrière. L’État d’Israël est né en 1948, et nul ne songe à contester son droit à l’existence et à la sécurité.