Madame la ministre, c'est un euphémisme que de dire que la politique que vous menez ne suscite ni l'enthousiasme ni l'assentiment des avocats, des magistrats et des personnels relevant de votre ministère. Vous voyez que je m'exprime de manière très mesurée. En réalité, ces professionnels, inquiets, désapprouvent votre politique. Il y a beaucoup d'incompréhension et une dépêche de l'Agence France-Presse diffusée hier fait état d'une « vague profonde de révolte ». Notre collègue Robert Badinter a déclaré qu'il ne se souvenait pas avoir vu autant d'inquiétude, d'amertume, d'anxiété.
Telle est la situation, madame la ministre, et vous comprendrez que, au moment où nous abordons la discussion de votre projet de budget, je ne puisse passer sous silence cet événement majeur que constituent cette incompréhension, cette colère qui se sont encore manifestées hier. Je tenais à vous dire, et ce pourrait être là mon seul message, qu'il faudrait écouter ces professionnels, ouvrir le dialogue, considérer que tout peut être revu, mais ne pas agir d'une manière qui leur donne le sentiment qu'ils ne sont pas compris, ni même entendus.
J'évoquerai maintenant, bien sûr, la question de la carte judiciaire, qui suscite beaucoup d'inquiétude dans toute la France.
Tout d'abord, je trouve profondément anormal que le Parlement n'ait jamais été saisi de ce sujet, pourtant important. Je me permets de suggérer ici la création d'une commission d'enquête parlementaire sur ce thème, qui serait particulièrement opportune dans ces circonstances.
Par ailleurs, ce que nous constatons sur le terrain, dans nos départements, dans nos régions, c'est qu'il s'agit non pas d'une réforme, mais d'un plan de fermeture de tribunaux. Nous ne sommes pas pour le statu quo, nous pensons que des modifications doivent intervenir, mais il aurait fallu d'abord recenser les besoins, définir des orientations, dialoguer avec les personnels, les élus concernés pour bâtir une nouvelle organisation des tribunaux de ce pays.
Au lieu de cela, vous êtes allée, semaine après semaine, annoncer des fermetures de tribunaux. Comment voulez-vous qu'une telle méthode soit féconde, soit comprise, soit positive ?
Enfin, je soulèverai une contradiction : alors que l'on nous a beaucoup parlé, au cours des années précédentes, de justice de proximité - vous connaissez nos réserves à l'égard de l'instauration des juges de proximité -, comment expliquer que l'on porte aujourd'hui atteinte, dans une telle mesure, à la proximité de la justice ?
Je citerai d'ailleurs, à cet instant, le rapport de M. du Luart : « La réforme engagée de la carte judiciaire répond à une exigence d'efficacité, mais elle doit se concilier avec le souci de ne pas éloigner la justice du justiciable. »
Je pense, mon cher collègue, que l'on devrait faire connaître votre rapport dans un certain nombre de communes de ce pays !