Tout d'abord, je tiens à remercier Mme Borvo Cohen-Seat d'avoir bien voulu me laisser sa place en cet instant.
Le budget de la mission « Justice » connaît maintenant depuis plusieurs années - cette tendance ayant été amorcée du temps de votre prédécesseur - un taux de croissance significatif. Je tiens à saluer ce bon budget.
Petit à petit, la justice sort du premier de ses problèmes, le manque de moyens, pour aborder la question plus profonde, dont les aspects sont multiples, de sa rénovation et de sa réorganisation. Madame le garde des sceaux, je vous félicite de vous attaquer à cette vaste tâche avec une résolution à laquelle tout le monde rend hommage.
Le préalable absolu de cette réorganisation de la justice est la réforme de la carte judiciaire. Nous en sommes conscients depuis longtemps, puisque nous avions déjà soulevé ce problème il y a dix ans dans un rapport que j'avais rédigé avec M. Jolibois, au nom de la commission des lois. À l'époque, nous avions souligné que rien ne pouvait être entrepris pour réorganiser notre système judiciaire sans une révision préalable de la carte judiciaire.
Cette révision est nécessaire pour deux raisons, qui sont aussi évidentes l'une que l'autre.
Première raison, notre carte judiciaire, qui est un héritage non pas d'un demi-siècle, mais bien de l'Ancien Régime, voire pratiquement des anciens baillages, ne correspond plus du tout aux nécessités actuelles et à la géographie réelle des contentieux.
Je demande régulièrement que l'on publie la carte des juridictions et les volumes de contentieux pour chacune de ces juridictions. On pourrait y ajouter la carte des villes moyennes ou importantes qui ont un nombre d'affaires très important, mais qui n'ont jamais eu de TGI.
J'évoquais avec M. Philippe Nogrix l'exemple de la ville d'Avranches, où j'ai été élevé, qui avait un TGI pour 7 000 habitants alors qu'à Fougères, où il y avait trois fois plus d'habitants et donc d'activité, il y avait simplement un tribunal d'instance.
La situation était donc très inégalitaire. Nous ne parlons que des communes qui perdent des juridictions sans évoquer celles qui n'en ont jamais eu et qui donc n'ont pas l'occasion de pleurer sur ce qu'elles perdent ! Quelle maigre consolation !
Ce n'est pas la différence entre les situations qui soit choquante en elle-même, puisqu'elle est bien souvent utile. Ce qui est un mal, c'est l'insuffisant volume d'activité de certaines juridictions et la surcharge de certaines autres. Le mal le plus grave, c'est que la charge de travail puisse varier considérablement. À l'époque où nous avons mené notre enquête - je ne pense pas que la situation ait beaucoup changé -, le rapport était de 1 à 5, d'autant que cette disparité en engendre d'autres, notamment en termes de délais de traitement des contentieux.
Lors de cette mission, nous avions rencontré le président du TGI de Meaux qui avait moitié plus d'affaires à traiter que le tribunal de Nancy avec moitié moins de chambres. Il ne pouvait pas ne pas souffrir de cette situation inéquitable et véritablement absurde.
Quant à la seconde raison, nous l'évoquions déjà dans notre rapport il y a dix ans, elle a depuis pris de l'ampleur. Il s'agit de la nécessité de créer des équipes spécialisées, performantes, car notre droit est beaucoup plus sophistiqué qu'il ne l'était auparavant.
Ayant connu la justice et les tribunaux à une autre époque, ce n'est pas sans regret que je vois disparaître les charmes de ce monde d'autrefois.
Nous devons voir les choses en face, car nous sommes aujourd'hui dans un monde nouveau qui se caractérise par des éléments très différents, comme la concentration urbaine, le développement du contentieux de masse, la sophistication du droit, la nouvelle culture des magistrats actuels, qui ont absolument besoin de travailler dans des équipes, et la diversification des modes de traitement.
Pour faire face à cette différence, il faut, c'est certain, restructurer notre appareil judiciaire. Il faut le repenser en profondeur et adopter de nouveaux modes de fonctionnement.
Cette démarche soulève naturellement un certain nombre de questions.
Je dois dire que je supporte mal la protestation des villes moyennes contre la perte de leur tribunal. Je rappelle en effet que de nombreuses villes moyennes, et même parfois de taille plus importante, n'ont jamais eu de tribunaux. Ce fait assez singulier mérite d'être constaté.
Par ailleurs, les temps ont changé : le tribunal d'une ville moyenne ne joue plus le rôle d'animation culturelle et sociale - c'était un milieu humain plein de vitalité - que nous lui avons connu.
Ainsi, la moitié des magistrats ne résident pas dans la ville où ils rendent la justice. Ils résident ailleurs ! Et ceux qui y résident ne sont que très peu liés à la vie locale. M. du Luart sait cela mieux que moi.
C'est à la décentralisation que nous devons aujourd'hui l'animation des villes moyennes. Elle est source de nombreuses activités, de prises de responsabilités, de potentialités. Cela dépasse de beaucoup ce que les tribunaux pouvaient apporter à ces villes, et qu'ils ne leur apportent plus de toute façon aujourd'hui.
On avance l'argument de la proximité, mais c'est un peu la tarte à la crème, enfin ! On ne se rend tout de même pas au tribunal comme on se rend au bureau de poste, ...