Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en septembre 2001, l’usine AZF de Toulouse explose, causant 31 décès, 2 242 blessés et détruisant 30 000 foyers. La France découvre alors qu’une partie de ses citoyens vit exposée à des risques industriels majeurs, conséquence d’une urbanisation toujours plus proche des sites industriels.
En mars 2013, le dégagement accidentel, dans l’usine de Lubrizol, près de Rouen, d’un produit dont l’odeur est proche de celle du gaz naturel est ressenti jusqu’à Paris, provoquant la panique dans son sillage ; de nombreux services de secours seront submergés.
Entre ces deux accidents aux origines et conséquences bien différentes, douze ans ont passé. Douze ans pendant lesquels la question des risques industriels a fait l’objet de plans d’action gouvernementaux mis en musique via des lois, décrets et autres circulaires... Douze ans de construction d’une culture du risque en France qui peine encore à se développer.
Toutefois, force est de constater que les acteurs locaux concernés que sont les collectivités et les industriels semblent avoir entamé un dialogue à travers les PPRT.
Cet outil ne concerne pour l’instant que les sites les plus dangereux de type Seveso, classés comme tels du fait de la présence en quantité importante de substances dangereuses.
La directive européenne 96/82/CE, dite « directive Seveso », distingue deux types d’établissements selon la quantité totale de matières dangereuses stockées ou utilisées : les établissements Seveso « seuil haut » et les établissements Seveso « seuil bas ».
Si les mesures de sécurité et les procédures prévues par la directive varient selon le type d’établissements afin de conserver une certaine proportionnalité, l’étude de dangers constitue la clef de voûte du dispositif. Elle sert de base à l’élaboration des PPRT en France, et vise à minimiser les risques à la source, à prévoir les effets d’un accident, à limiter les dégâts humains et matériels sur site et en dehors et à organiser le recours aux services de secours, le tout en relation avec les collectivités.
Les industriels doivent également, depuis peu, travailler de concert. C’est en tout cas ce que souhaite l’État français à travers sa nouvelle doctrine, présentée en avril 2013, en matière de gestion des risques industriels : mutualisation des procédures, des équipements de protection, des études de dangers... L’exercice semble déroutant pour les industriels : alors qu’ils commencent seulement à maîtriser le dialogue avec les collectivités, les voilà sommés d’échanger entre eux ; un exercice à l’épreuve du terrain.
Que ce soit en France ou en Europe, les politiques de gestion des risques industriels se construisent donc au rythme des accidents. Ce retour d’expérience est nécessaire et participe progressivement à la mise en place d’un dialogue entre les acteurs locaux concernés.
Votée à la suite de la catastrophe d’AZF de 2001, la loi du 30 juillet 2003, dite « loi Bachelot », prévoit la mise en place de PPRT autour des installations à « haut risque » et une meilleure maîtrise de l’urbanisation autour de ces sites via des actions de protection.
L’usine AZF, classée Seveso 2, propriété de la société Grande Paroisse, filiale de Total, avait alors été entièrement détruite. L’ancien site chimique, qui s’étendait sur soixante-dix-huit hectares, a aujourd’hui fait place à un projet de cancéropôle, après une opération de dépollution de la zone – menée par Total – qui aura duré trois ans, de la fin de l’année 2004 à 2007.
L’explosion de l’usine AZF a donc mis en lumière les failles de la gestion du risque industriel en France. Si, jusqu’à la catastrophe, la législation visait avant tout une prévention du risque à la source dont l’effort portait essentiellement sur l’exploitant, la loi Bachelot a impliqué l’État, les collectivités locales et les citoyens.
Quelle est la méthodologie des PPRT ?
La loi Bachelot a fixé un nouveau cadre méthodologique autour de ses sites à risque en créant les PPRT. Ces plans délimitent un périmètre d’exposition aux risques autour des installations classées à haut risque, à l’intérieur duquel différentes zones peuvent être réglementées en fonction des risques.
L’étude de dangers constitue la base de la maîtrise de l’urbanisation et de la délimitation du périmètre des plans, dans le but d’assurer la coexistence des sites avec leur environnement, dans des conditions sécuritaires.
Il s’agit de prévenir les risques d’accident et de pollution liés aux installations industrielles et agricoles – notamment les installations classées pour la protection de l’environnement –, aux canalisations de transport de fluides dangereux, à l’utilisation d’explosifs, au transport de matières dangereuses, aux équipements sous pression et à la distribution et à l’utilisation du gaz.
Après une phase de réduction des risques à la source, le PPRT est ainsi prescrit sur un périmètre d’étude issu de l’étude de dangers du site.
Après instruction technique, concertation et enquête publique, le PPRT est approuvé par le préfet et annexé aux différents documents d’urbanisme – plan local d’urbanisme, ou PLU, schéma de cohérence territoriale, ou SCOT, et programme local de l’habitat, ou PLH.
Il prévoit des restrictions sur l’urbanisme futur : restrictions d’usage et règles de construction renforcées. Des aménagements ou des projets de construction peuvent être interdits ou subordonnés au respect de prescriptions. Dans ces zones, les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents peuvent instaurer un droit de préemption urbain.
Les PPRT peuvent également prescrire des mesures foncières de protection des populations sur l’urbanisation existante la plus exposée. Ces mesures doivent être prises par les propriétaires et exploitants. Des mesures supplémentaires sont prévues pour réduire le risque à la source sur les sites industriels, si elles sont moins coûteuses que les mesures foncières qu’elles évitent.
Les plans peuvent encore définir des secteurs à l’intérieur desquels l’expropriation peut être déclarée d’utilité publique pour cause de danger très grave menaçant la vie humaine, et ceux à l’intérieur desquels les communes peuvent instaurer un droit de délaissement.
Un plan ministériel a été mis en œuvre pour lever les « blocages » des PPRT.
Les PPRT prévoient des travaux de renforcement à effectuer sur les constructions voisines existantes pour en réduire la vulnérabilité. Toutefois, le financement tripartite – État, industriels, collectivités – de ces travaux a été au cœur des blocages : 407 plans devaient être validés au 31 juillet 2008 ; ils n’étaient que 248, soit un taux de 61 %, à être mis en place au 1er novembre 2013, selon les chiffres du ministère de l’écologie.
L’incident de l’usine chimique Lubrizol, à la fin de l’année 2013, à Rouen, a poussé le ministère à présenter le 11 avril 2013 un nouveau plan d’action afin d’accélérer la mise en œuvre des PPRT : l’objectif est que 75 % d’entre eux soient approuvés à la fin de 2013, et 95 % à la fin de 2014. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Quelles sont les raisons de ce retard ? Outre le financement des travaux prescrits chez les riverains, on regrettera l’absence de mesures d’accompagnement des propriétaires des biens concernés par la mise en œuvre des PPRT.
On pourra évoquer également la complexité des études préalables à mener et la difficulté éprouvée par certains industriels pour finaliser la réduction du risque à la source.
Je tiens ici à saluer l’effort de la plupart des industriels, qui ont investi 200 millions à 300 millions d’euros par an afin de réduire les risques de leurs établissements.
Ces investissements ont permis à ce jour de réduire les zones soumises aux mesures foncières d’environ 350 kilomètres carrés, tandis que près de 2 000 études de dangers ont été instruites.
Autres obstacles pointés : les procédures actuellement applicables sont redondantes et les collectivités de taille modeste ne disposent pas toujours des compétences pour les mener à terme.
Face à ces retards, un nouveau plan de prévention des risques technologiques prévoit douze mesures visant à répondre aux attentes des riverains, élus et industriels.
Il s’agit d’abord de mobiliser les moyens de l’État, notamment par l’élaboration d’un planning ambitieux inscrit dans la circulaire datée du 11 avril 2013 adressée aux préfets.
J’en viens aux pistes de financement des travaux riverains.
Côté financement, l’adoption d’un amendement de notre collègue député Yves Blein en juillet 2013, lors de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, a porté à 90 % le taux de la prise en charge des travaux imposés aux riverains selon la clé de répartition suivante : 40 % à la charge de l’État sous forme de crédit d’impôt, 25 % à la charge des industriels et 25 % à la charge des collectivités locales.
La loi prévoit désormais que les travaux de protection ne peuvent être prescrits que pour des aménagements dont le coût n’excède pas 20 000 euros pour un particulier – ou 10 % de la valeur vénale du bien –, 5 % du chiffre d’affaires lorsque le bien est la propriété d’une société, et 1 % du budget lorsqu’il est la propriété d’une collectivité.
Le plan prévoit en outre un accompagnement des riverains afin qu’ils bénéficient de micro-crédits et des aides de l’ANAH.
Nous devons donc mieux articuler la politique de prévention des risques avec la politique du logement.
Parmi les pistes de financement, nous pourrions mobiliser les fonds « 1 % logement » pour créer des aides complémentaires ou des prêts à taux zéro et étendre aux bailleurs sociaux et à la maîtrise d’ouvrage d’insertion le crédit d’impôt instauré au profit des propriétaires privés pour financer les travaux de protection prescrits.
Pour notre groupe, les PPRT, qui sont un bon outil, ne doivent pas empêcher le développement des activités économiques. Il s’agit surtout d’éviter que les interdictions et restrictions prévues par les plans de prévention des risques technologiques n’empêchent l’implantation ou le développement d’activités économiques dans les zones concernées.
Dans ces zones, les règles relatives à l’élaboration des PPRT peuvent être adaptées, en tenant compte de la vocation de ces plateformes et de la culture de sécurité des entreprises concernées.
Le 25 juin 2014, soit quelques jours avant son limogeage, Delphine Batho a signé une circulaire mettant en œuvre cette nouvelle doctrine : elle dresse la liste des dix-sept plateformes industrielles concernées et fixe les règles d’acceptation des nouvelles activités industrielles, de protection des salariés exposés aux risques et de gouvernance collective.
Six mois plus tard, cette nouvelle doctrine a-t-elle produit des résultats ? Il existe encore un écart entre la circulaire et la capacité du terrain à y répondre.
S’il y avait bien une demande initiale des industriels à ce que la mise en place du PPRT autour des sites Seveso ne pénalise pas les autres activités économiques, il semble que les plans soient aujourd’hui un peu plus complexes, ce qui nécessite un véritable travail de concertation.
En vérité, le risque zéro n’existe pas, à moins de vouloir vivre dans un environnement confiné, qui rejette tout type de développement.